Si on veut résumer en une métaphore le résultat de l’élection du 7 avril, cela irait un peu comme ceci: nous avons beaucoup déçu notre blonde (notre électorat). Elle ne voulait pas embarquer dans notre beau grand bateau vers un référendum et vers la souveraineté — elle a compris que c’est là qu’on souhaitait aller quand on a sorti notre PKP. Plus généralement, elle ne nous reconnaissait plus vraiment et elle ne voyait pas pourquoi on lui imposait tout à coup un test de loyauté (électoral) alors qu’on aurait pu continuer à sortir ensemble un bout de temps (en minoritaire) sans brusquer les choses.
Bon. Elle nous a quitté. Elle: quelques centaines de milliers de nos blondes. Mais pour l’essentiel, elle ne nous a pas quittés pour un autre chum (PLQ ou QS). Elle est retournée chez elle, ou chez sa mère (abstention massive).
Tous ceux qui se sont déjà fait plaquer comprennent: ce serait pire si elle était déjà avec un autre chum. Cela pourra arriver. Pour l’instant, elle ne pense plus à nous. Mais nous pensons à elle. Elle n’attend pas notre appel. Mais nous avons son numéro. Si on appelle, il y a des chances qu’elle prenne le combiné. Mais avant de composer, il faudrait savoir ce qu’on va lui dire.
La proposition d’Alexandre
C’est, entre autres, l’intérêt de la proposition qu’Alexandre Cloutier a mise au jeu il y a quelques semaines. Pourquoi ne pas ouvrir la course au leadership — le principal événement de notre parti de la prochaine année — à une partie de notre électorat ? Pourquoi ne pas inviter les électeurs péquistes du 7 avril, mais aussi ceux d’hier et ceux de demain, à participer au choix du prochain (de la prochaine?) chef ?
Cela se fait depuis des générations aux États-Unis, dans le système des primaires où les électeurs démocrates et républicains choisissent leurs candidats, pour la présidentielle, mais aussi pour toutes les fonctions importantes. La technique a été appliquée avec grand succès par nos cousins les socialistes français et par nos adversaires les libéraux fédéraux.
Au lieu de devenir une course à la vente de cartes de membres, elle devient plutôt un débat public, ouvert, qui concerne tous ceux qui s’identifient aux valeurs du parti et souhaitent son succès.
Quel est le degré d’ouverture ? Il y avait 200 000 membres au Parti socialiste français au moment du vote. Il y a eu plus de deux millions d’électeurs à la primaire ouverte. Dix fois plus. Et il y a tous ceux qui ont su qu’ils avaient le droit de voter, qui y ont pensé, et qui ne se sont pas déplacés, mais qui se sont sentis impliqués dans le processus du simple fait qu’ils auraient pu y participer. (Il y a en ce moment 90 000 membres au PQ.)
Décupler l’impact d’une course au leadership. L’ancrer dans la réalité politique plus large. S’adresser directement à notre électorat potentiel. Dire à notre (ex) blonde qu’on pense à elle. Qu’on la veut dans notre vie. Qu’on souhaite qu’elle participe à la définition de notre avenir.
« À quoi ça sert d’être Édith Piaf ! »
C’est ce que disait la chanteuse légendaire lorsqu’on voulait la priver du droit de décider. Et c’est ce que pensent beaucoup de membres du PQ qui refusent, à bon droit, de se faire déposséder du privilège qu’ils détiennent de désigner leur chef.
Ils ont raison. Il ne peut pas y avoir d’égalité entre le militant du Parti québécois et l’électeur de passage. Mais il faut savoir que la course, telle que prévue en ce moment, provoque une opération de vente de cartes, donc l’éruption de dizaines de milliers de membres temporaires, qui pèsent sur la décision puis disparaissent dans le paysage une fois l’élection passée, sans avoir participé à une seule réunion, avoir collé une seule affiche, avoir démontré quelque militantisme que ce soit.
Il y aurait une autre façon de distinguer entre le rôle des membres et l’élection ouverte. D’abord le choix des candidats ne devrait reposer que sur les membres actuels du Parti. On peut aussi envisager que les membres actuels soient les seuls à participer à un premier tour: pour déterminer, disons, les quatre finalistes qui, eux, seraient ensuite soumis à l’élection ouverte. D’autres formules sont possibles mais il me semble indispensable que les membres soient fermement assis dans la cabine de pilotage de l’opération.
Et les électeurs ? On leur demande de signer une déclaration d’adhésion aux valeurs du parti avant de voter et de faire une contribution au moins symbolique: un petit deux ? (Les électeurs français donnaient un euro.)
Mais, répondent les très nombreux sceptiques: les fédéralistes vont venir voter pour infiltrer le processus, la fraude sera terrible, on va se retrouver avec le pire candidat possible…
Ce matin dans Le Devoir, les juristes Félix-Antoine Michaud et Jean-Bernard Marchand démontent ces arguments un à un dans Pour un processus ouvert à tous. Extraits:
Est-ce que les adversaires vont infiltrer le Parti québécois avec une primaire ouverte ?
Le principal argument contre les primaires ouvertes est la peur d’une infiltration par les adversaires du Parti québécois qui s’inscriraient en masse afin de faire gagner « un mauvais » candidat. Cet argument ne tient pas la route tant au regard des exemples internationaux que dans la pratique. De nombreux États des États-Unis utilisent un processus de primaires ouvertes afin de choisir le candidat démocrate, les républicains, qui ont la réputation de faire des campagnes agressives, n’ont jamais essayé de s’infiltrer dans le processus. En France, cet argument contre les primaires était aussi invoqué, l’expérience ayant montré hors de tout doute que ce n’était aucunement fondé et qu’il s’agissait plutôt d’une peur du changement. Enfin, dans un processus où il faut s’engager sur l’honneur à être progressiste et indépendantiste, les chances d’infiltration par les fédéralistes sont de beaucoup diminuées.
Si la mobilisation n’est pas suffisante ?
Un processus de primaire ouverte entraîne une obligation de résultat. Le Parti québécois devra mobiliser l’électorat progressiste et indépendantiste, il devra se reconnecter avec sa base pour convaincre ses membres qu’ils sont une partie de la solution. Il est certain qu’une faible participation et une mobilisation insuffisante auraient un effet néfaste sur le Parti québécois. Or, comme ce scénario n’est pas envisageable, les forces vives du Parti québécois et de tous ceux qui veulent participer à ce projet devront redoubler d’effort. Un échec pourrait être fatal, mais une réussite serait doublement gagnante, et ce, tant pour le Parti québécois que pour l’indépendance et les idées progressistes. Le jeu en vaut la chandelle.
Les primaires ouvertes sont une façon de concevoir la politique qui s’inscrit dans l’ouverture, la démocratisation des décisions publiques. Elles permettent d’opposer à la peur de l’électorat une confiance dans le peuple.
Le premier débat de l’avenir du PQ
Ce débat, auquel nous convie Alexandre Cloutier, appuyé par Léo Bureau-Blouin et quelques autres, est le bon débat à avoir maintenant. Celui de la reconnexion avec notre électorat. Celui qui ouvre les portes et les fenêtres du Parti. Celui qui admet une perte de contact et qui agit en conséquence.
C’est aussi un geste audacieux, à la mesure de la défaite. Michaud et Marchand ont raison de citer Danton dans leur texte d’aujourd’hui: « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ».
C’est ce qu’il faudra, de l’audace à la troisième puissance, avant de composer le numéro de nos centaines de milliers d’anciennes blondes…