Francais: le grave danger des demi-mesures

J’ai une admiration sans borne pour Guy Rocher, un des pères de la loi 101. C’est donc avec une fébrilité que je m’apprête à le contredire. Dans Le Devoir de samedi, il attirait notre attention sur le danger des demi-mesures. Ce n’est pas chaque décennie qu’un gouvernement a la capacité de donner un élan historique à notre langue nationale. Le PQ de 1977 a livré une réforme qui avait couvé pendant un quart de siècle et, comme le rappelle M. Rocher, le Dr Camille Laurin est allé au-delà des attentes. Mieux que d’autres, il avait compris à quelle profondeur il devait ancrer la réforme.

(Une version légèrement écourtée de ce texte a été publié dans Le Devoir.)

Une fenêtre semblable est ouverte pour François Legault. Un large consensus s’est établi sur le déclin du français et l’opinion attend des mesures fortes. Lui livrer des demi-mesures qui n’aurait pas la force nécessaire pour renverser la situation équivaudrait à gaspiller un moment historique.

Guy Rocher propose d’étendre la loi 101 au Cégep. Il est rejoint par un nombre croissant d’intervenants. Ils y voient, dans les outils disponibles, celui qui frappe le plus fort.

Malheureusement, et c’est là où je fausse compagnie à M. Rocher, c’est l’exemple même de la demi-mesure. Elle donne l’impression de la fermeté. Elle rate complètement la cible.

Elle interdit aux jeunes québécois qui sortent de onze ans d’enseignement primaire et secondaire en français et qui, donc, sont pour la vie parfaitement opérationnels en français, de flirter avec l’anglophilie inhérente aux cégeps anglophones. Le gain n’est pas inexistant. Mais il ne résout pas notre problème.

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Quel est-il ? L’extension rapide de l’anglais langue de travail à Montréal. C’est le moteur du déclin du français. Il découle en particulier de la propension de salariés non francophones d’imposer l’anglais au travail (selon l’OQLF, cette attitude est responsable du tiers des échanges en anglais). Certes, cette tendance délétère se heurte à une faible résistance de la part de francophones pour lesquels l’impératif de français langue commune est faible et encore davantage de la part d’allophones pour lesquels le français et l’anglais sont des langues secondes. Admettons aussi le facteur d’efficacité: les francos et les allos bilingues ne veulent pas perdre de temps à tenter de comprendre un anglo dont le français est trop faible.

Pour modifier cette dynamique, l’extension de la loi 101 au Cégep ou encore la réduction du financement des Cégeps anglophones est non seulement inutile mais, à la marge, contreproductif. En laissant les anglos (et les allos anglicisés) dans leur ghetto collégial, en retirant de leurs classes ceux qui parlent le français, on réduit leur contact déjà ténu avec la réalité francophone.

Le problème qu’il faut résoudre est exactement là où cette demi-mesure n’aide en rien: dans la formation des anglos et des allos anglicisés. Il faut faire en sorte que chaque future cohorte de diplômés de Dawson, de McGill et des autres institutions post-secondaires anglos doivent avoir acquis 1) une excellente maîtrise du français écrit et oral 2) la conviction que la nation québécoise tient mordicus à ce que le français soit la langue commune, que cela plaise ou non.

Il y a deux façons d’y arriver. La première est renforcer l’enseignement du français pendant les trois premières sessions d’un cours général de Cégeps anglos puis d’obliger l’étudiant à faire sa dernière session en immersion dans un Cégep francophone. Pour obtenir son diplôme il devra, comme son collègue francophone, réussir son examen de français final, éliminatoire. (Cela doit s’accompagner de cours de maintien du français au niveau universitaire anglo, avec examen final éliminatoire, et d’exigences de français pour les étudiants étrangers qui, sinon, sont un facteur d’anglicisation de Montréal.) J’ai défendu cette position pendant plusieurs années et elle figure au programme du PQ.

J’estime que la détérioration du français à Montréal est si rapide (passer de 9 à 25% d’entreprises à bilinguisme intégral en 12 ans est catastrophique), que l’étiolement du concept de français langue commune est si grave qu’il faille désormais aller plus loin et poser un geste politique, symbolique et national plus résolu: le Cégep en français pour tous.

Il ne s’agit pas de fermer Dawson et les autres, mais de les transformer, sur 10 ans, en Cégeps francophones (entre 10 et 50% de leurs enseignants sont déjà francophones). Il s’agit d’un geste national qui affirme que dans ce coin francophone d’Amérique nous avons décidé de faire du Cégep en français le point de passage commun et obligatoire de toutes nos futures élites techniques et professionnelles.

J’entends l’argument: mais, la constitution ne protège-t-elle pas l’enseignement en anglais ? Seulement aux niveaux primaire et secondaire. Nous avons carte blanche pour les Cégeps.

J’entends: mais, les étudiants anglos seront pas de niveau ? Justement, il faudra les mettre à niveau dans les dernières années du secondaire.

J’entends: mais, la communauté anglo sera contre ? Elle sera contre toutes les réformes proposées. Opposition pour opposition, autant appliquer la bonne réforme. Cela dit, il est préférable d’arguer que cette réforme est inclusive, assurant aux jeunes anglos un réel succès dans le marché du travail francophone, que d’aller défendre l’atrophie des Cégeps anglos avec l’extension de la loi 101.

J’entends: mais les jeunes anglos vont partir en Ontario ? En ce moment, c’est ce qu’ils font, sortant de leurs Cégeps et universités sans réelle maîtrise du français. Une perte nette pour la communauté anglo et pour l’investissement dans leur éducation.

J’entends: oui mais là, ils vont partir faire leurs études en Ontario ? Nous sommes dans un pays libre. Mais il ne faut pas penser que la mobilité est si grande à cet âge. Les coûts sont énormes hors-Québec et ces exilés n’auraient pas accès à nos prêts et bourses.

J’entends: mais c’est énorme ! Oui, et c’est ce qu’il faut. L’exact contraire d’une demi-mesure. 


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Français: la ténacité du déclin

Les démolinguistes de l’OQLF ont fait tourner leurs logiciels prévisionnels pour tester la mesure la plus ambitieuse avancée depuis la loi 101 pour redresser le français : une immigration à 100 % francophone. Leur conclusion est brutale. La tendance à la baisse de la population qui a le français comme langue première est si forte, si lourde, si implacable, que même l’ajout de 100 % d’immigrants économiques parlant français pendant 25 ans ne suffirait pas à l’endiguer. C’est énorme. Comme se faire dire que le réchauffement climatique est inéluctable. La démonstration est donc faite que ce remède a un effet mesurable pour réduire la température du patient. Mais il ne suffit pas à éliminer la fièvre. Devant cette information nouvelle, le pharmacien compétent comprendra qu’il doit retenir ce remède comme base du traitement, mais lui ajouter d’autres ingrédients.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Il lui faut poser le bon diagnostic pour concevoir la multithérapie gagnante. Le patient n’est ni mort ni mourant. Son système immunitaire est atteint. En clair, la proportion des Québécois qui font partie des ni-ni augmente. Ni francos ni anglos, ils parlent une langue tierce à la maison. Le processus organique qui fait qu’un jour ils tomberont, à la table de leur petit-déjeuner, d’un côté ou de l’autre de l’alternative linguistique est la clé de notre avenir. Il faudrait que ce transfert se fasse à 90 % vers le français pour maintenir la prédominance francophone actuelle. Il plafonne à 55 %. Rien ne peut dicter ce choix. C’est la réalité linguistique collective qui l’annonce, le prépare, le conditionne. La politique linguistique, elle, peut pointer, ou non, dans la bonne direction.

Dans le peloton de tête des déterminants de ces transferts on trouve : la langue parlée au travail. La dégradation de la situation va comme suit à Montréal : les milieux passent de la situation actuelle, bilinguisme où le français est prédominant (1), à un bilinguisme intégral (2), puis à un bilinguisme à prédominance anglophone (3).

On avait compris des derniers recensements que la proportion des salariés montréalais passée à l’étape 2 (bilinguisme intégral) était de 9 % en 2006, puis de 15 % en 2016. La seconde étude publiée cette semaine, réalisée par Statistique Canada à la demande de l’OQLF, indique qu’en 2018, on en était à 25 %. Un bond fulgurant de 10 points de pourcentage en deux ans.

C’est capital. Le recul de la prédominance du français, la généralisation du bilinguisme intégral, la dévalorisation du français langue de travail commune ouvrent une voie royale à l’augmentation des transferts vers l’anglais.

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Voilà pour le danger. L’intérêt de l’étude est de raffiner le diagnostic en départageant le bilinguisme incompressible — le fait de parler anglais aux clients ou fournisseurs hors Québec — et le bilinguisme facultatif — celui qui atteste que le français n’est pas, chez nous, la langue commune. Ainsi, les salariés montréalais admettent que la moitié de leur utilisation totale de l’anglais est consacrée à servir… la clientèle du Québec. Donc des citoyens non francophones du Québec, dont on nous répète pourtant à satiété qu’ils parlent couramment le français. Cette clientèle non francophone fait quotidiennement le choix de ne pas faire du français sa langue d’interaction avec les salariés, pourtant majoritairement francophones. On dira : le client a toujours raison.

Alors, voyez ceci : dans plus du tiers des cas, l’anglais est utilisé parce que « les personnes avec qui je travaille préfèrent utiliser cette langue ». Preuve que les collègues non francophones, minoritaires, imposent l’anglais aux francophones, majoritaires. Pour une combinaison de raisons : leur maîtrise du français n’est pas suffisante et/ou le respect général de la notion de français langue commune s’affaiblit.

Un geste aussi lourd que celui de la loi 101

La mondialisation est un facteur réel, justifiant au moins 41 % de l’utilisation de l’anglais (le total est de plus de 100 %, car les raisons sont multiples). Si c’était le seul facteur, nous serions cuits, car nous ne faisons pas le poids face à la mondialisation. Heureusement, le principal facteur nous appartient : au Québec même, dans l’entreprise et parmi la clientèle, le français n’est pas la langue commune. Voilà ce qu’il faut changer. Comment ?

Puisque l’immigration francophone de tous est une condition nécessaire mais non suffisante, il faut poser un geste aussi lourd que celui de la loi 101. La décision, à l’époque, d’obliger tous les francophones et tous les futurs enfants d’immigrants à aller à l’école française et d’imposer le français dans tout l’affichage commercial était à la fois l’expression d’une volonté politique forte et l’imposition d’un changement concret dans la vie individuelle d’une large part de la population, principalement non francophone.

Un demi siècle plus tard, cette combinaison doit se retrouver dans une action forte qui aura pour résultat de (ré)installer le français langue commune dans l’entreprise montréalaise. Pour y arriver, les seuls contrôles a posteriori sont voués à l’échec. Il faut changer la compétence et l’état d’esprit linguistiques de chaque nouvelle cohorte de salariés, principalement non francophones.

Cela passe, vous me voyez venir, par la réelle exigence du français dans l’enseignement postsecondaire de tous : les cégeps en français pour tous (y compris les anglos et les allos), la connaissance du français préalable et des cours de français pour tous les étudiants étrangers, l’éducation professionnelle en français pour tous et, dans les universités anglophones, l’examen de français obligatoire et éliminatoire pour tous.

Cette action structurante non seulement assurera une réelle maîtrise du français pour tous les diplômés et futurs salariés montréalais, mais enverra aussi le signal politique que le français n’est, que cela plaise ou non, ni accessoire ni optionnel, mais incontournable.

Il faudrait, pour cela, que MM. Legault et Jolin-Barrette, comme MM. Lévesque et Laurin en leur temps, soient prêts à encaisser les effets secondaires politiques du traitement. C’est peut-être trop leur demander.


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Redresser le français: mode d’emploi

J’écrivais dans un texte précédent Affaibllir le français: mode d’emploi, combien était précaire la situation de la langue, notamment à Montréal.

La difficulté lorsqu’on discute de la question est que les éléments du déclin sont réunis, mais que son effet ne sera complètement mesurable que dans les années à venir. Certains indicateurs, pris isolément, peuvent même soutenir un discours jovialiste (utilisé jusqu’à très récemment par le PLQ, notamment, et plusieurs chroniqueurs.) La réalité est que si on figeait la situation linguistique québécoise à son niveau actuel, la prédominance du français se maintiendrait sur le long terme.

(Une version écourtée de ce texte a été publié dans Le Devoir.)

Mais nous sommes un peu comme un groupe sur un canot, ramant contre le courant, sur une rivière qui débouche sur une spectaculaire chute d’eau. Avant la loi 101, nous ramions très peu, et le courant nous rapprochait de la chute à une vitesse de, disons, 10 noeuds. Grâce à la loi 101 et à ses effets, nous avons ramé suffisamment fort pour avoir ralenti à 5 noeuds notre vitesse vers la chute. De la rive, des spectateurs applaudissent ce grand succès. Mais à moins de ramer jusqu’à annuler la force du courant, donc 0 noeuds, ou l’inverser, l’échec est assuré.

Petit rappel

L’histoire est connue mais mérite d’être rappelée. Arrivé au pouvoir en 1976, le Parti québécois héritait d’un déclin mesurable du français. Au centre-ville de Montréal, l’anglais s’imposait, souvent unilingue, sur les affiches. Parmi les enfants d’immigrants, 85 % choisissaient l’enseignement public en anglais, langue incontestée du succès. Au travail, la langue de travail était celle du patron, anglophone dans 83 % des cas.

René Lévesque ne savait pas, en donnant le dossier de la langue à Camille Laurin, que ce dernier proposerait, non pas une réforme, mais une révolution. Laurin avait compris que pour mettre fin au déclin d’une langue, il faut certes changer les lois, mais surtout bousculer les esprits. Faire savoir qu’une nouvelle ère commence. Qu’une nouvelle normalité s’installe.

Presque un demi-siècle plus tard, l’élan impulsé par Laurin s’est épuisé, rogné notamment par des juges fédéraux, une immigration linguistiquement désastreuse et un grave affaiblissement de la notion de français langue commune dans la métropole. Que faire ?

De petites réformes bienvenues, d’autres mesquines

Il y a dans les besaces des réformistes de bonnes mesures, à portée limitée. Étendre la loi 101 aux 175 000 salariés d’entreprises à charte fédérale. Faire de la connaissance du français une condition d’obtention de la citoyenneté canadienne au Québec. Obliger toutes les entreprises à traiter en français avec l’État québécois. Que du bon pain.

Puis il y a le pinaillage contre-productif : enlever à des municipalités leur statut bilingue, ce qui ne change rien au bilinguisme de leurs services ; interdire à des hôpitaux de régions d’offrir des services en anglais, comme si les blessés avaient besoin d’un test linguistique et comme si le niveau de bilinguisme réel actuel des médecins et des infirmières ne rendaient pas cette mesquinerie caduque ; faire en sorte que l’État ne puisse parler l’anglais qu’aux seuls membres de la « minorité historique ». Chouette idée, mais comment les reconnaître, au téléphone ?

Il faut être à la fois plus sérieux et plus ambitieux. Marquer, par l’ampleur des mesures prises, qu’un véritable virage s’opère.

Oser un vrai virage : immigration francophone

Plus d’un demi-million de personnes sont entrées au Québec ces vingt dernières années sans connaissance du français. Ils n’auraient jamais pu immigrer au Royaume-Uni sans connaissance de l’anglais (pourtant nullement en déclin) y compris pour des séjours courts ou du travail saisonnier. On pourrait simplement copier-coller ici la politique linguistique d’immigration britannique, en substituant le français à l’anglais, et le tour serait joué. Car c’est, numériquement, le facteur de déclin le plus important.

Le tabou du contrôle linguistique au point d’entrée doit tomber. Chaque fois qu’on l’aborde, on nous répond que tel ministre, tel banquier, tel artiste n’aurait pu immigrer sous un tel régime. Bravo. Mais seuls ceux qui sont passés au français participent à ce concert. On n’entend pas les autres, notamment les 50% qui ont fait un transfert linguistique vers l’anglais. C’est comme si on évaluait la saison 2019-2020 du Canadien en ne comptant que les parties gagnantes. Le déclin ne peut être renversé que si la connaissance du français au point d’entrée est obligatoire (et que si les réfugiés sont payés pour l’apprendre en arrivant). Tous les rapports nous le disent : avec un taux d’échec de 90 %, mesuré par la vérificatrice générale du Québec, la francisation n’a donné, ne donne et ne donnera que des résultats médiocres.

Parmi les nombreux commentaires suscités par ce texte dans Le Devoir, je retiens celui d’Anne Bernard, qui a longtemps oeuvré au ministère de l’immigration du Québec:

« Toute politique doit être incarnée dans la réalité. Voici un exemple: La ministre de l’Immigration sous le gouvernement de Pauline Marois, Mme Diane de Courcy, avait amorcé un virage notable en matière de sélection des immigrants ( catégorie travailleurs qualifiés uniquement) en exigeant un niveau de connaissance élevé du français ( niveau 7 = intermédiaire avancé) pour obtenir des points a la grille de sélection.

C’est alors qu’un mouvement important s’est opéré dans cette catégorie d’immigrants qui n’avait aucune connaissance du français. Je prends pour exemple les candidats provenant d’Iran. Avant cette exigence, ces candidats utilisaient la porte d’entrée du Québec et étaient sélectionnés sans connaissance du français ( et pouvaient obtenir des points s’ils avaient une connaissance de l’anglais). Bon nombre d’entre eux quittaient pour l’Ontario se sentant davantage anglophiles car ils immigrent au Canada et non au Québec. Les autres se fondaient a la minorité anglophone. Avec cette exigence de niveau 7, les Iraniens se sont mis a s’inscrire intensivement, en Iran, à leurs frais, à tous les cours de français offerts par les Alliances françaises afin d’être en mesure d’obtenir des points a la grille de sélection et être sélectionnés. Un changement majeur s’est opéré.

Toutefois il était possible et il est toujours possible d’être sélectionné au Québec sans connaissance du français. Concrètement parlant, il nous faut exiger que la connaissance du français de niveau 7 devienne obligatoire dans la sélection de nos immigrants, sans quoi nous n’atteindrons jamais nos objectifs, peu importe les énoncés politiques
les plus vertueux. » 

Le flot anglicisant de l’éducation post-secondaire

À Montréal, le flot anglicisant est amplifié par les succès des établissements postsecondaires anglophones, à la fois chez les jeunes Québécois et chez les étudiants étrangers qu’on compte désormais en dizaines de milliers. Aucune action marginale ne suffira à changer cette dynamique.

Pour obtenir aujourd’hui un résultat équivalent, dans le réel et dans le symbole, aux mesures de Camille Laurin, il faut assumer enfin concrètement l’idée que le français doit être, pour tous, la langue commune. Qu’elle doit donc être une composante incontournable de l’éducation.

(Le texte se poursuit après la pub.)

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Beaucoup sont fixés sur l’idée d’étendre la loi 101 au cégep et d’ainsi fermer leurs portes aux francos et allos qui n’ont pas transité par l’école primaire ou secondaire anglophone. Mais cela signifie enfermer les inscrits restants, jeunes anglos et allos et des milliers d’étudiants étrangers, dans un univers parallèle où le français est facultatif. C’est ainsi qu’on se retrouve avec un jeune anglo montréalais sur quatre qui avoue ne pas parler le français.

Le cégep est le passage obligé de tous les techniciens, professionnels, ingénieurs et élites du Québec. Si on croit sérieusement que tous ces diplômés vont travailler en français dans nos entreprises et nos établissements, il faut tirer la conclusion logique : au Québec, tous les étudiants, de toutes les langues et de toutes les origines doivent faire et réussir leur cégep en français.

Rien dans la constitution canadienne qu’on nous a imposée en 1982 ne protège l’enseignement post-secondaire anglophone ou francophone. Il n’y est question que de l’enseignement « primaire et secondaire ». Il y aurait certainement contestation, mais ce serait dans le fol espoir que la Cour suprême invente du droit nouveau pour trouver un droit post-secondaire là où il n’existe pas. Des anglos auraient bien sûr toujours le droit d’aller dans des collèges anglos non-subventionnés aux droits de scolarités très élevés. Mais même en ce cas, on pourrait faire en sorte que ses diplômés soient assujettis à un examen de français obligatoire et, si on le désire, à une session d’immersion obligatoire en cégep francophone.

Il nous est donc parfaitement loisible de décréter que tous les cégeps anglophones devront devenir francophones dans un délai de, disons, dix ans. La mesure sera structurante en amont, forçant les high schools à bien préparer leurs élèves à cette étape exigeante. D’ailleurs, sait-on que 12 % des profs de Dawson et 20 % de ceux de Vanier sont francophones ? Dans son excellent ouvrage Pourquoi la loi 101 est un échec, Frédéric Lacroix nous apprend que cette proportion est de 26 % au cégep Champlain, de 44 % à celui de Lennoxville et de 63% à celui de Québec. Ils n’attendent que le signal pour se mettre à enseigner en français !

Voilà le geste à poser pour planter profondément le pilier du français langue commune.

Les étudiants étrangers et l’université

Sur cette lancée, il faut faire en sorte que les étudiants québécois de nos universités anglophones maintiennent leur niveau de français et en démontrent la maîtrise pour obtenir leur diplôme. Nos étudiants étrangers devraient avoir terminé dans leur pays d’origine un cours d’introduction au français comme condition d’inscription puis, une fois chez nous, avoir dans leur cursus des cours obligatoires de perfectionnement.

Il y a donc pour l’essentiel deux approches dans l’indispensable chantier de redressement du français. Il y a les mesures prises en aval: les inspections, les règlementations, les sanctions. Je ne dis pas qu’elles sont inutiles, au contraire. Mais il s’agit d’énergie négative, de contrôle.

Je propose ici des mesures en amont. Plutôt que de contrôler l’utilisation du français, inonder le territoire d’un beaucoup plus grand nombre de parlants français. Tous les immigrants, tous les étudiants de Cégep, tous les étudiants étrangers, tous les étudiants d’universités, devenant chacun porteur d’une réelle connaissance de la langue commune.

Ces mesures auraient (auront ?) cumulativement un effet considérable: elles exprimeront concrètement la volonté nouvelle de la nation de vivre en français.

Le nouveau déclin du français est nourri par une injection permanente de résidents non francophones et par une augmentation constante du nombre de jeunes adultes montréalais pour qui le français est accessoire. Cette combinaison rend illusoire toute tentative de faire du français une réelle langue commune.

Le nouveau redressement du français doit passer par ces gestes fondamentaux : immigration francophone de tous, cégeps francophones pour tous.


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Le vrai message du Bonjour-Hi

Vous me direz que j’ai des passe-temps bizarres mais, je l’avoue, j’aime écouter les entrevues accordées par nos leaders politiques à des médias anglophones. C’est là qu’on avait entendu François Legault affirmer qu’on donnait trop d’importance à la connaissance du français dans la sélection des immigrants. C’est là qu’on a entendu Manon Massé annoncer que dans un Québec indépendant à-la-solidaire, l’anglais serait aussi une langue officielle (elle s’en est excusé, puis l’a répété dans une autre entrevue, s’excusant à nouveau).

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


L’entrevue qui m’a le plus retourné fut celle où l’alors premier ministre Philippe Couillard tentait de se dépatouiller de la crise provoquée par le « Bonjour-Hi ». En novembre 2017, je l’avais amené à voter à l’Assemblée nationale une motion rappelant que «Bonjour est un des mots de la langue française les plus connus chez les non-francophones du monde» et qu’il «exprime magnifiquement la convivialité québécoise». Voilà pourquoi, concluait la motion adoptée unanimement, l’Assemblée nationale «invite tous les commerçants et tous les salariés qui sont en contact avec la clientèle locale et internationale à les accueillir chaleureusement avec le mot Bonjour».

Pensant n’avoir qu’enfoncé une porte ouverte, le bon docteur Couillard fut estomaqué de voir ses ministres anglophones se dissocier de la motion et d’entendre les radios anglo-montréalaises monter aux barricades comme si le ciel linguistique leur était tombé sur la tête. « Je ne comprends pas, a-t-confié sur un ton empreint de sincérité sur les ondes de CJAD. Je viens de relire la motion et je la trouve très correcte ». Il s’engageait néanmoins fermement à ne lui donner aucune suite.

Ils ont choisi le Québec

Une information cruciale lui avait échappé. L’immense majorité des Anglos-Montréalais n’ont jamais accepté l’idée que le français devrait être notre langue commune. Je fus pendant 18 mois ministre chargé des relations avec nos Anglos et j’ai pris conscience du fossé conceptuel qui nous sépare. Globalement, nos concitoyens estiment à bon droit avoir consenti depuis 40 ans un effort considérable pour apprendre le français et devenir bilingues (à 70%). Toute conversation sur le sujet débouche rapidement sur une expérience personnelle déterminante : entre 1960 et 1990, environ 600 000 Anglos ont quitté le Québec pour vivre en anglais ailleurs sur le continent. Chaque Anglo-Québécois a des frères, des oncles, des amis qui ont choisi de tourner le dos au Québec d’aujourd’hui. Mais eux sont restés. Malgré ces déchirements, ils ont fait le choix du Québec et estiment n’en retirer, de la part des francophones, aucune reconnaissance.

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Avant, ils disaient Hi. Aujoud’hui, ils disent Bonjour-Hi. Voyez le chemin parcouru ? De l’unilinguisme à la prédominance du français. De leur point de vue, l’étape suivante, le Bonjour seul, équivaut à l’effacement de leur présence. Ça ne passe pas.

Dans l’enquête réalisée par le Journal de Montréal sur l’augmentation des cas où les clients sont reçus en anglais seulement dans des commerces de la métropole, on trouvait cette anecdote très révélatrice. «On est au centre-ville, a expliqué une employée du magasin Victoria’s Secret. Souvent, lorsqu’on accueille des clients en français, certains le prennent personnel et on se fait crier après.» Elle parle évidemment de clients anglophones, outrés qu’on les aborde dans la seule langue de Molière. Par conséquent, poursuit cette employée, certains collègues préfèrent s’adresser aux clients en anglais, par crainte de représailles.

Il est probable que ces cas soient peu nombreux. Suffisamment cependant pour moduler la réponse des commis pour éviter ces esclandres. On peut aussi penser que les clients francophones abordés en anglais ne manifestant pas la même agressivité, la solution coule donc de source. Le Bonjour-Hi est pour le personnel commercial montréalais un bouclier contre la mauvaise humeur de certains Anglos et une façon de savoir en quelle langue ils doivent poursuivre leur conversation. (J’avoue m’amuser parfois en leur répondant moi-même « Bonjour-Hi », ce qui provoque chez l’employé un bref choc synaptique.)

La controverse autour du Bonjour-Hi incarne donc parfaitement le défi auquel est confrontée la santé du français dans la métropole : la profonde résistance à la notion du français langue commune. Il n’est pas inutile de rappeler que selon Statistique Canada, dans ce Québec où, selon la loi 101, le français devrait être la langue normale et habituelle du travail, seulement le quart des Anglos œuvrent dans un lieu de travail principalement francophone (30% n’y utilisent jamais le français) et moins de la moitié des Allophones sont dans une entreprise où ça se passe principalement en français (20% n’y utilisent jamais le français).

De tous les indicateurs pointant vers une bilinguisation du réel, le pire, et rarement cité, est celui-ci. Selon Statistique Canada le nombre d’entreprises montréalaises qui opèrent de façon intégralement bilingue est passé de 9% en 2006 à 15% en 2016. C’est la bande-annonce du Montréal de demain.

René Lévesque et Camille Laurin ont opéré des changements titanesques en 1977, notamment en éducation et dans l’affichage, pour freiner le déclin. Après une brève embellie (due pour beaucoup à une immigration modérée en nombre et encline au français), le déclin est de retour. L’effort à déployer pour renverser à nouveau la tendance et établir pour la prochaine génération le français langue commune, doit être du même ordre. Comme on le dit de plus en plus dans nos entreprises montréalaises : Go Big or Go Home.


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Message de Couillard aux employeurs: Exigez TOUJOURS l’anglais!

Lorsqu’on est chef de parti, et plus encore aspirant premier ministre, les mots comptent. Les signaux envoyés à la société ont un impact sur les comportements. Et la société québécoise a toujours été très attentive aux signaux linguistiques émis par les élus. Pendant les années péquistes, les entreprises font plus attention à leur politique linguistique. Pendant les années libérales, c’est le contraire.

Je me souviens du jour où Lucien Bouchard avait fait venir les grands distributeurs dans son bureau pour leur dire qu’il n’acceptait pas que l’affichage bilingue revienne dans les grands magasins du centre-ville, ce qui était en train de se faire. M. Bouchard allait, dans son intervention, au-delà de l’exigence légale pour le français. Terrifiés à l’idée de subir une mauvaise publicité, donc une baisse de clientèle, à cause de cette polémique, les grands magasins ont juré de ne rien changer. (Cela s’est dégradé par la suite après l’arrivée du PLQ au pouvoir).

Philippe Couillard, lui, vient de donner le pire signal possible. En affirmant, au débat, que le bilinguisme était essentiel sur les lignes de montage des usines car il est possible qu’un client étranger veuille poser une question à un salarié, il vient de donner un terrible signal à tous les employeurs du Québec.

http://youtu.be/rN_KZ63zi1k

La loi 101 stipule qu’un employeur ne peut exiger la connaissance de l’anglais pour un employé que s’il fait la démonstration que cette langue est nécessaire pour réaliser la tâche. C’est souvent le cas: achats chez des fournisseurs étrangers, service à la clientèle locale et étrangère anglophone, exportations, etc. Mais ce n’est évidemment jamais le cas dans la fabrication.

Malgré la loi, l’OQLF a noté dès 2008 que 40% des employeurs de l’île de Montréal exigeaient systématiquement l’anglais à l’embauche — ce qui est nettement exagéré. Et qui a pour résultat que près de 40% des salariés allophones de l’île parlent principalement anglais au travail. De plus, la part de la main-d’œuvre des entreprises privées résidant sur l’île de Montréal et travaillant uniquement en français a diminué de 9,9 points de pourcentage entre 1997 et 2010. De plus, le pourcentage de ces employés travaillant généralement en français est passé de 45,3 % en 1989, à 41,0 % en 1997, puis à 32,1 % en 2010.

Le projet de loi 14, rejeté en bloc par le PLQ de Philippe Couillard, tentait de remédier à cette situation en balisant mieux cette obligation, à la fois pour les grandes entreprises et pour les moyennes, de 25 à 49 employés, que l’ont veut graduellement couvrir.

Pauline Marois et Diane de Courcy ont annoncé ce matin que cette disposition, comme les autres prévues dans le projet de loi 14, seront réintroduits dans une nouvelle réécriture de la Charte de la langue française sous un gouvernement du Parti québécois.

On sait maintenant ce qui se passerait sous un gouvernement du Parti libéral. Il est certain que la loi ne sera pas resserrée. Et il est à prévoir que la loi actuelle — trop faible — ne sera pas appliquée. Car le potentiel Premier ministre Couillard aura donné la permission — non, pas la permission — le mandat à tous les employeurs du Québec de réclamer la connaissance de l’anglais à l’embauche pour qu’il puisse répondre, le cas échéant, à la visite d’un acheteur étranger.

Le texte intégral de l’échange P. Couillard F. David au débat:

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