Stratégie indépendantiste: Éloge des caribous !

(Ce texte est publié ce matin dans Le Devoir, en réplique à un article de Pierre Dubuc et de Marc Laviolette.)

J’ai toujours été irrité par l’expression voulant que les péquistes pressés d’arriver à la souveraineté soient des « caribous ». Le mot renvoie à la tragique noyade de 10 000 caribous tentant de traverser en septembre 1984 une rivière Caniapiscau malheureusement gonflée d’un débit meurtrier.

caribousC’est faire injure aux caribous que de les croire tous aussi imprudents que ceux de 1984. D’abord, ceux-là ne représentaient que 1,5% de la harde locale, dite de « la rivière George ». La vérité est qu’une écrasante majorité de caribous traversent chaque année les rivières du Québec en choisissant des points de passage praticables, raisonnables, et assurant le succès du voyage.

C’est ce que je propose aux indépendantistes québécois. Faire l’indépendance le plus vite possible, en choisissant le point de passage le plus prudent, pour assurer le succès de la traversée vers le pays.

Marc Laviolette et Pierre Dubuc.

Marc Laviolette et Pierre Dubuc.

Dans Le Devoir de vendredi dernier, Pierre Dubuc et Marc Laviolette ont voulu faire croire aux lecteurs que ma proposition de préparer à partir de cet automne, méthodiquement et pendant six ans, un rendez-vous électoral pour l’indépendance pour 2022 — en se débarrassant dans l’intervalle d’un gouvernement toxique pour notre identité nationale — équivalait à abandonner notre objectif et de le repousser aux « calendes grecques ».

J’ai vérifié. Nul dictionnaire n’indique que ces calendes sont prévues pour 2022. Ils affirment plutôt que l’expression signifie que la chose discutée n’arrivera « jamais ».

Je reconnais à MM Dubuc et Laviolette le droit de vouloir entraîner leur part de harde vers le point de passage le plus risqué qui s’offre à nous. Mais il m’apparaît évident que lorsque près de la moitié (43%) de ce qui reste d’électeurs péquistes (25%) disent aux sondeurs qu’ils seront « moins enclins » à voter PQ si on leur propose un référendum dans le prochain mandat, on choisit la marginalisation. Et on augmente les chances que l’indépendance n’arrive jamais. Donc aux vraies calendes grecques.

Je préfère viser plus large. Pour déloger les libéraux et rebâtir tant au plan de l’emploi national et régional qu’aux plans de la langue, de l’identité, de l’enseignement de notre récit national, de la laïcité et d’une gestion prudente de notre immigration, il faut additionner tous ceux qui souhaitent ce changement. Donc entraîner avec nous beaucoup de Québécois qui – on s’en désole mais il faut l’entendre – ont développé une véritable hantise de la perspective d’un référendum hâtif.

Dubuc et Laviolette sont très aigris que des souverainistes comme Gérald Larose et Jacques Lanctôt appuient ma démarche. (Merci les gars, l’appui de Jacques m’avait échappé !) Mais c’est pire que vous pensez ! Sur l’aile gauche, Camil Bouchard s’est exprimé en faveur de ma démarche et estime que je serai un bon porte-parole de la social-démocratie que doit incarner notre parti. Sur l’aile droite, l’historien Éric Bédard et le sociologue Mathieu Bock-Côté estiment aussi que ma proposition stratégique est la bonne. Même Joseph Facal et Mario Dumont écrivent dans leurs chroniques qu’il s’agit du bon point de passage.

Cela s’appelle additionner. Les caquistes et les libéraux l’ont bien vu, eux qui ont fermement dénoncé mes propositions le lendemain de leur sortie, alors qu’ils étaient restés bien tranquilles lorsque Véronique Hivon, Alexandre Cloutier et Martine Ouellet ont fait connaître les leurs. Ceux-là ne semblent pas les inquiéter. Moi, au contraire, je les fais sortir de leurs gonds. C’est bon à savoir.

Mais la préoccupation de nos deux auteurs n’est pas d’additionner. Elle est plutôt de soustraire. Et ils consacrent une bonne part de leur texte à dénigrer et déformer des positions que j’ai défendues ces dernières années. Il serait trop long de les rectifier toutes. Mais voici le principal :

Sur Hydro j’ai en effet réfléchi, au temps du pétrole couteux, à une proposition de réaménagement des tarifs qui aurait complètement protégé le pouvoir d’achat des citoyens et créé des conditions nettement plus favorables à l’économie d’énergie et à l’émergence d’énergies alternatives. J’ai un temps pensé qu’une vente de 25% d’Hydro permettrait de réduire significativement la dette du Québec, pour mieux financer la santé, l’éducation et le filet social. Mais j’ai refait mes calculs et me suis ravisé (ce que les auteurs feignent d’ignorer).

Sur les anglophones il est vrai que j’ai davantage de respect pour notre principale minorité nationale que les deux auteurs. Vrai que j’estime qu’ils peuvent user des droits que Camille Laurin leur a accordés dans la loi 101. Vrai que je pense qu’il faut dialoguer avec eux dans un climat de franchise. Le discours du Centaur prononcé par Lucien Bouchard dans les mois suivant le référendum de 1995 fut un geste d’ouverture important et apprécié. Dubuc et Laviolette le qualifie de « capitulard ». Eh ben ! Pourtant, le discours réitère clairement notre volonté d’atteindre rapidement la souveraineté et avertit que si la proportion de francophones continue à décliner à Montréal, il faudra introduire des mesures supplémentaires de protection du français. J’ai écrit ce discours et j’en suis fier. Chef du PQ et Premier ministre, je continuerai dans cette voie.

Car comme tout bon caribou, je sais choisir les chemins du succès.