Le mot en W

Pub conservatrice.

La chose est désormais actée. En politique canadienne, tout — je veux dire absolument tout — est « woke ». Nous devons cette extension infinie d’un terme naguère inconnu au travail combiné de Pierre Poilievre et de Justin Trudeau. Le chef conservateur a, le premier, étiré l’élastique sémantique en attribuant il y a deux semaines l’abandon du troisième lien autoroutier à cette engeance : « Trudeau et ses libéraux ont choisi la voie des wokes et de la guerre à la voiture. »

L’épithète, utilisée jusque-là pour critiquer des dérives idéologiques poussant à la censure et à l’intransigeance, se voyait brusquement étendue aux considérations environnementales, voire à l’absence de données scientifiques à l’appui du super-projet de tunnel. Pour faire court, il était désormais possible de conclure que, pour les conservateurs, pouvait être désigné woke tout ce avec quoi ils étaient en désaccord. Les conservateurs font d’ailleurs circuler sur les réseaux sociaux une image par laquelle « le programme woke de Trudeau » est tenu pour responsable de « davantage de crimes, davantage de surdoses, davantage de misère ».

Lors de son discours de jeudi dernier à la convention libérale, Justin Trudeau a haussé la mise. « Les politiciens conservateurs, a-t-il dit, estiment que nos politiques sont trop wokes ! » Après avoir laissé s’estomper les rires dans l’assistance, dans une belle envolée il a répété, comme incrédule, « trop woke ? », puis a sommé Poilievre de le rejoindre parmi les éveillés : « Wake up ! » (Réveille-toi !). À quoi ? À ses politiques en faveur d’un Conseil des ministres paritaire, à la réduction de la pauvreté et au financement de garderies à faible coût. D’un tour de main, le chef libéral a inclus dans le giron woke des politiques féministes et sociales-démocrates ancrées dans une époque où le mot même n’existait pas. Bref, est désormais woke la totalité du programme libéral.

Amant des mots et de leur sens, je déplore évidemment cette extension incommensurable d’un concept déjà un peu flou. Mais puisqu’il est devenu le mot pivot de la politique canadienne, donc de la prochaine élection, on peut se demander qui profite politiquement davantage de sa mise en vitrine ?

L’exemple américain

Aux États-Unis, les républicains utilisent le mot à satiété. Ils ont raison de penser que les électeurs centristes, essentiels dans les courses serrées, sont à la fois favorables aux politiques publiques avancées par les démocrates, mais rebutés par les théories nouvelles sur la race et le genre, issues du wokisme. Ils insistent pour associer constamment dans l’esprit des électeurs les démocrates avec ces dérives. Dans la réplique républicaine au dernier discours sur l’état de l’Union, la gouverneure de l’Arkansas — et ex-attachée de presse de Donald Trump —, Sarah Huckabee Sanders, a accusé Joe Biden d’avoir « livré sa présidence à une foule woke qui ne peut même pas vous donner la définition de ce qu’est une femme ».

Contrairement à Justin Trudeau, Joe Biden n’a jamais revendiqué le terme « woke ». Au contraire, il le fuit comme la peste. Il sait que plusieurs de ses militants s’en réclament, mais s’est battu corps et âme, lors de la présidentielle de 2020, contre une revendication qui leur est chère : définancer la police. Il promettait au contraire d’en augmenter le financement, tout en appuyant des réformes antiracistes en son sein. À la question « Le président est-il woke ? », son attachée de presse a récemment habilement patiné, refusant de céder ce trophée aux républicains tout en évitant de froisser les militants démocrates fiers de se déclarer tels.

Bref, puisque le terme est considéré comme un poison politique par la Maison-Blanche, pourquoi Justin Trudeau pense-t-il qu’en revêtant la cape wokiste, il peut en sortir gagnant ? En supposant qu’il ne s’agit pas d’une bourde, ou d’une coquetterie de rédacteur de discours, mais d’intelligence politique (Justin a quand même gagné la totalité de ses élections), j’avance deux hypothèses. D’abord, que son objectif premier est de vampiriser le vote néodémocrate pour augmenter le nombre de ses sièges en Ontario et en Colombie-Britannique. Moins l’électeur verra de différences entre le PLC et le NPD, et plus il sera apeuré par la perspective d’un gouvernement Poilievre, plus Justin sera une valeur refuge. Ensuite, il peut avoir décidé de redéfinir, dans l’esprit du public, ce que woke signifie. Si, plutôt qu’obsession racialiste et disparition des sexes, cela renvoie principalement au féminisme, à la baisse de la pauvreté et aux garderies à 10 $, cette redéfinition peut devenir rentable. L’opération me semble risquée. La posture de Joe Biden m’apparaît plus prudente.

Hillary et Pauline

Un des clous du spectacle du congrès libéral fut le dialogue entre la vice-première ministre Chrystia Freeland et Hillary Clinton. Cette dernière était intarissable sur le programme canadien des garderies à 10 $ par jour. Personne n’a gâché la sauce en relevant que ce ne serait vrai, pour le tarif, qu’en 2026 et que personne ne pouvait prédire quand il y aurait assez de places pour répondre à la gigantesque demande. « Il est important que vous fassiez savoir au monde ce que vous avez fait, a dit Clinton. 10 $ par jour pour la garde d’enfants, c’est extraordinaire ! »

Si seulement l’ancienne candidate à la présidence avait pu féliciter pour cet exploit une de ses architectes : Pauline Marois. Un des moments les plus tristes de ma vie politique fut de faire antichambre, avec Pauline, au Palais des congrès en septembre 2014, parce qu’on nous avait dit qu’il n’était pas impossible que Mme Clinton, invitée par la Chambre de commerce, lui accorde une ou deux minutes de son précieux temps. Certes, nous étions en campagne électorale, mais Hillary n’était plus membre du gouvernement américain et pas encore candidate présidentielle. Nous allions attendre en vain. Lorsque Clinton a pris la parole, à quelques mètres de la table d’honneur où était Pauline, il y eut un moment où elle s’est réjouie de ce que le Canada compte alors dans quatre provinces des femmes premières ministres. Je me suis dit que c’était le moment, qu’elle allait saluer l’une d’entre elles, présente dans la salle. Mais elle a fait comme si la première première ministre du Québec, une pionnière des politiques publiques féministes sur le continent, n’existait pas.

Pauline n’a pas dit un mot. Elle a encaissé. En mêlée de presse, ensuite, elle a dit tout le bien qu’elle pensait d’Hillary, de l’exemple qu’elle donnait à toutes les femmes d’Amérique. Bref, Pauline, elle, avait de la classe.

(Ce texte est une version légèrement plus longue que celle publiée dans Le Devoir.)

Justice pour les femmes toxiques

C’est un mouvement qui, pour l’instant, n’a pas obtenu de mot-dièse. Pas de #balancetonporc ou de #moiaussi. Mais cela ne saurait tarder, car le nombre de cas suffit à faire tendance. Notre Gouverneure Générale, Julie Payette, dut quitter ses fonctions après qu’une enquête interne ait révélé qu’une centaine de témoignages fassent état du « climat de terreur » que l’ex-astronaute faisait régner à Rideau Hall.  Marie-Ève Proulx dut renoncer à son poste de ministre de la CAQ après que dix de ses employés aient claqué la porte, pour cause de « gestion toxique » du personnel. La députée Marie Montpetit fut exclue du caucus libéral après que sa cheffe ait été mise au courant de plaintes de harcèlement qui, a dit Mme Anglade, ne lui donnait d’autre choix que de larguer celle qui était son amie. Pascale Nadeau, la brillante animatrice au visage d’ange, a disparu de nos écrans à la suite de plaintes sur un comportement trop brusque, particulièrement envers ses jeunes collaborateurs.

(Une version légèrement plus courte de ce texte a d’abord été publiée dans Le Devoir.)

Payette, Montpetit et Nadeau affirment n’avoir rien à se reprocher et crient à l’injustice. Proulx admet avoir « des torts, mais pas tous les torts ». Au moins, Proulx et Payette ont pu donner leurs versions des faits pendant l’enquête interne (Payette) ou une médiation (Proulx). Mais Montpetit et Nadeau ont été déchues sans jamais pouvoir connaître la nature des allégations. Pour Montpetit, aucun processus légal ou para-légal n’est en cours. Mme Anglade l’a éconduite sans même lui permettre de donner, en privé, sa version des faits. Sa cause n’a pas été entendue, mais sa sentence est tombée.

Préparez votre bas de Noël ! Cliquez pour commander.

Il y a là un problème majeur de justice naturelle, une iniquité procédurale qui ne peut être tolérée. La protection de la confidentialité du plaignant ne peut justifier l’incapacité de l’accusée à se défendre. Bigre, même la plus célèbre de nos esclaves noires, Marie-Josèphe-Angélique, exécutée en 1734 pour avoir provoqué un grand incendie dans le Montréal de l’époque, et probablement victime d’une erreur judiciaire, a eu le droit de confronter devant témoins chacun de ses accusateurs et de porter sa cause en appel.

Le fait est qu’à l’heure actuelle, les criminels et les agresseurs sexuels voient leurs droits mieux protégés par la procédure légale que les personnes soupçonnées de harcèlement psychologique au travail. Puisque ces causes deviendront, c’est l’évidence, de plus en plus nombreuses, un coup de barre majeur s’impose et doit venir du législateur.

Une injustice historique

Je veux cependant attirer l’attention sur une injustice plus grande encore. Depuis des millénaires, des hommes de pouvoir ont pu déployer leur intransigeance, leur arbitraire, leur mauvais caractère sans coup férir. Engueulades, colères, coups et blessures, renvois injustifiés, discriminations caractérisées, sans parler bien sûr de l’exploitation sexuelle imposée aux subalternes, y compris dans l’église. J’ai été informé, de mon vivant, que le lancer de cendrier était encore pratiqué par au moins un patron de presse.

Bref, les hommes toxiques ont eu des millénaires pour sévir. Pourquoi faut-il qu’au moment même où des femmes accèdent à des postes de pouvoir, on leur interdise ces coups de sang ? Je ne dis pas que ces comportements sont, ou ont jamais été, acceptables. Je ne fais que constater une iniquité de traitement. On peut arguer que la montée d’une juste intolérance envers ces climats de travail est justement consubstantielle à une féminisation du pouvoir, donc à une façon d’être plus apaisée, moins assaisonnée de testostérone. Je suis prêt à admettre que, à nombre égal, la proportion de patronnes toxiques soit plus faible que celle des patrons toxiques. N’empêche. Ceux-ci ont eu leur moment d’impunité. Celles-là, non.

Rétrospectivement, on en est réduits à ne pouvoir compter que sur les doigts d’une main les femmes toxiques qui ont eu droit à l’impunité. On en trouve trois en Grande Bretagne. Elizabeth I, qui a régné de 1558 à 1603, terrorisait sa cour et son personnel, cassant le doigt d’une de ses dames de compagnie, sortant son couteau pour menacer ses serviteurs. La reine Victoria, au pouvoir de 1837–1901, était connue pour ses colères épiques. Son mari le Prince Albert, craignant le conflit, se contentait de lui passer des notes sous la porte de ses appartements. Margaret Thatcher, première ministre de 1979 à 1990, imposait son autorité à ses ministres (tous des mâles) en les engueulant sans retenue. Résister à une de ses tirades était une marque de bravoure. François Mitterrand disait d’elle qu’elle avait « les yeux de Staline, la voix de Marylin Monroe ». Une blague de l’époque résume l’ambiance : préparant le repas qui serait servi à une rencontre de cabinet, Mme Thatcher affirme vouloir du steak. « Et pour les légumes ? » demande le chef cuisinier. « Les ministres, répond-elle, mangeront aussi du steak. »

Les colères d’Indira Ghandi, première ministre de l’Inde de 1980 à 1984 étaient également célèbres. Dirigeant elle-aussi d’une main de fer un conseil des ministres masculin, on la disait « le seul homme » du groupe. Pour contrôler les naissances, pendant une période noire de suspension des libertés, son gouvernement organisa la stérilisation forcée de six millions d’hommes.

Mais on ne trouve de trace de comportement toxique ni chez Golda Meir, première ministre d’Israël de 1969 à 1974. Ni chez Benhazir Bhutto, présidente du Pakistan de 1993 à 1996. Corrompue, oui. Colérique, non. Micheline Bachelet, au Chili, et Angela Merkel, en Allemagne : la placidité faite femmes. Et je puis témoigner de l’infinie patience de Pauline Marois.

Même la Grande Catherine, tsarine de toutes les Russies, fut une despote éclairée pendant 34 ans. Sa décision de faire assassiner un rival pouvant aspirer  au trône était un calcul, courant dans les monarchies, pas un mouvement d’humeur. Et c’est à tort que les jaloux ont fait, en France, une réputation sanguinaire à la Reine Margot, qui était au contraire une fine diplomate.

Tout cela pour dire que, côté règne de terreur, les femmes de pouvoir n’ont nullement abusé de leurs positions au cours des âges. Maintenant que leur nombre s’accroît de façon exponentielle, il eut été normal qu’on observe un rattrapage. Mais les irascibles n’auront pas cette opportunité. 

Il eut fallu découpler dans le temps la généralisation de la prise de pouvoir par les femmes d’une part et la pacification des rapports de travail de l’autre. Un écart d’un siècle ou deux, il me semble, aurait été un minimum.  Je sais, il n’y a pas de remède à cette injustice historique. Mais il fallait que ce soit dit. C’est fait.


Cliquez pour vous renseigner ou vous abonner !

Lire: Pauline à la page

Elle a bien failli tirer un trait définitif sur la politique. Un faux départ, au tout début. Embauchée comme attachée de presse de Jacques Parizeau en 1978, elle sort de cette expérience, écrit-elle, «traumatisée». Et elle promet qu’on ne l’y reprendra plus: « J’avais essayé, je ne m’y étais pas sentie à l’aise, point final.» La porte de la politique, ajoute-t-elle, était « verrouillée à double tour».

Que s’est-il passé, exactement, pendant les brefs sept mois de son passage au cabinet de Monsieur pour provoquer une telle révulsion de la chose politique ? Elle, si organisée dans les fonctions importantes qu’elle avait assumée dans le domaine du service social, explique qu’elle était désormais dans le noir complet sur ce que seraient ses activités du jour. Accompagner le ministre dans ses déplacements, réagir au gré de ses décisions et des chocs médiatiques, cela la pesait. Elle ne décidait de rien. Sans compter, écrit-elle. « l’importance des jeux de coulisses», les interprétations fausses de ce qui a été dit ou fait. L’obligation d’être toujours sur ses gardes.

Dans ce passage comme dans quelques autres de Pauline Marois – Au delà du pouvoir, l’ex-première ministre lève le voile sur des moments charnières de son parcours politique. Mais, comme si elle laissait à un biographe à venir la tâche de combler les vides, elle se réserve le droit de nous cacher l’anecdote, le dialogue, le détail croustillant qui nous ferait mieux comprendre de quoi ces moments étaient faits.

Il y a dans ce livre bien écrit — ses plumes Élyse-Andrée Héroux et Laurent Émond donnent à Mme Marois une éloquence qui sert superbement le récit — une double volonté: aborder le parcours dans son entier, y compris les moments difficiles, oui, mais se garder de régler des comptes où de nuire à ses ex-collègues.

La rivalité qui l’a opposée à Bernard Landry ne peut évidemment être esquivée. Elle y consacre plusieurs passages, indispensables à la compréhension des choses, mais ne mine pas complètement ce filon qui aurait pu dominer un ou deux chapitres. (Par contraste, l’autobiographie de Guy Chevrette fait de son propre conflit avec Landry le fil conducteur de l’ouvrage. L’hagiographie consacrée l’an dernier à M. Landry par Jean-Yves Duthel, truffée d’erreurs factuelles, est une enfilade de règlements de compte.)

Cliquez sur l’image pour vous abonner.

Comme souvent avec les autobiographies de personnalités politiques, on trouve au début du livre les meilleures pages. Le milieu familial, l’enfance, les passions, rébellions et amours, l’éducation. La rencontre de cette fille de milieu modeste avec les élèves friquées du Mont-Jésus-Marie de Québec impriment chez Pauline Marois une aversion des inégalités sociales qui ne la quittera pas. Sa vie entière est expliquée là, dans le refus de l’inégalité des chances et dans la volonté d’offrir aux plus modestes, et aux femmes, des avantages alors réservés uniquement aux hommes et aux riches.

Pauline en trois temps

Michel Chartrand est allé à Brébeuf mais parlait comme un charretier. Pauline tient de sa mère, puis de son éducation, le souci d’une langue de qualité. C’est la jonction entre cette façon de s’exprimer et la richesse accumulée par son entrepreneur de mari qui ont produit l’écueil le plus important que la vie mettra sur sa route.

Les toilettes de la Castafiore

Elle croit savoir exactement quand, qui et quoi ont cristallisé l’image de grande bourgeoise qui allait tant lui nuire. Lors de son arrivée au Ministère de la santé, en 1999, des travaux de rénovation sont en cours dans des locaux vétustes. La journaliste Elisabeth Thomson, de la Gazette, demande à voir les plans. Elle découvre qu’une nouvelle toilette, située entre deux salles de réunion, est plus coûteuse que les autres car elle est silencieuse. La facture des travaux s’élève à 400 000 $ au moment où le système de santé vient de subir une cure minceur. Mme Marois affirme qu’elle a appris l’existence de cette toilette dans le journal. L’affaire devient aussi virale qu’elle pouvait l’être avant l’invention des réseaux sociaux. Commentateurs et caricaturistes s’en donnent à cœur joie. Ne manquait que Serge Chapleau pour la dessiner en Castafiore pour que la mayonnaise prenne.

Mme Marois nous entraîne dans sa folle aventure, où elle accouche successivement d’une grande réforme, puis d’un enfant, à répétition. Il y a une forme d’héroïsme dans cette succession de tâches, impossibles à réaliser pour le commun des mortels et des mortelles.

Cette dame, dite « de béton» par Stéphane Laporte, a une constitution de fer. Mais elle nous révèle pourquoi elle ne s’est pas battue, au lendemain de la démission de Lucien Bouchard début 2000, pour prendre sa place. Elle était, pour une rare fois de son existence, en panne d’énergie. Hésitante. Bernard Landry, qui se préparait à cette éventualité depuis longtemps, avait cumulé de très nombreux appuis au conseil des ministres et dans le caucus. Pauline pouvait penser remporter le vote des membres, dont beaucoup étaient issus des réseaux de la santé et de l’éducation, où elle avait excellente réputation. Mais il lui aurait fallu toute son énergie. Ce serait pour une autre fois.

Elle nous raconte avec beaucoup de justesse la nuit du Métropolis, de la victoire électorale et de l’attentat politique qui, au fond, la visait. Elle fut, ce soir-là, admirable de sang froid, de sens de la décision et de la responsabilité.

Ensuite, les chapitres consacrés à son mandat de première ministre ne sont pas sans intérêt. Mais ils m’ont fait le même effet que la lecture des Mémoires de René Lévesque. Jusqu’à la prise du pouvoir, on sent la capacité de recul, l’émotion, parfois l’auto-dérision. Ensuite, non. On assiste à une défense du bilan gouvernemental, efficace mais sans grande nuance. C’est aussi le passage où Mme Marois se garde de raconter les débats internes, vifs et très intéressants, qui ont jalonné certaines de ses réformes.

C’est pourquoi j’aimerais proposer aux éditeurs la règle Lévesque/Marois. Si un ancien premier ministre souhaite écrire son autobiographie, exigez deux tomes. Un premier, sur tout le parcours de la naissance jusqu’aux portes du pouvoir, publiable immédiatement. Un second, sur les années de pouvoir, qui ne serait écrit que 10 ans plus tard.

Cette réserve étant émise, le parcours de Pauline Marois est à plusieurs égards exemplaire. Si cette lecture peut susciter 1000 vocations politiques, elle aura ajouté au legs considérable de notre première première ministre.

Pauline Marois – Au delà du pouvoir. On peut commander l’ouvrage ici.


A quatre heures du matin, le 16 octobre 1970, un événement inédit dans l’Occident de l’après-guerre se produit. Les libertés des citoyens sont suspendues. Près de 500 Québécois sont emprisonnés, presque tous pour simple délit d’opinion. Les résidences de 37000 Québécois, presque tous indépendantistes, sont perquisitionnées, sans mandat.

Ce livre raconte comment est née, a grandi puis s’est imposée dans la tête de deux premiers ministres l’idée d’infliger à la société québécoise un choc psychologique apte à traumatiser, non seulement les petits réseaux d’appui au terrorisme felquiste, mais l’ensemble du mouvement nationaliste. Il relate comment ils ont dû surmonter de nombreux obstacles pour y arriver : manœuvrer, inventer des complots et une inexistante «insurrection appréhendée».

Québec/USA – les symptômes politiques du virus

Malgré son nom qui rappelle la couronne, le virus planétaire n’est pas monarchiste. Il est plutôt anarchiste, en embuscade, cassant ce qui est le plus cassable.

Il n’en infecte pas moins tout le corps politique. On verra, demain, comment son impact fut inégalitaire. On mesurera les taux de mortalité dans les pays aisés et dans ceux qui le sont moins. Dans les quartiers populaires ou huppés. Chez les itinérants et les puissants. On verra aussi comment des pays aux niveaux de développement équivalents ont mieux ou plus mal géré la crise. Et alors la question se posera de la compétence exercée, ou de l’incompétence étalée, à danger égal. Après le bilan sanitaire, arrivera le bilan populaire.

Mais il y beaucoup à dire, même en début de crise. Au Québec, un jugement qui semble déjà définitif est porté sur nos deux chefs de gouvernement. Celui du Québec est applaudi, celui du Canada est honni.

La crise, ici, amplifie l »opinion que les citoyens avaient des deux hommes. Legault, déjà populaire, atteint des sommets. Trudeau, déjà affaibli, surnage à peine. Un Léger du 24 mars donne 94% de Québécois satisfaits de Legault, 44% seulement de Trudeau. Un écart de 50%. Gigantesque.

Les repasseurs le savent, une fois qu’on a fait un mauvais pli, il est difficile de retrouver une surface lisse. Trudeau deviendrait excellent demain, ce qui est, je l’avoue, douteux, il ne sera jamais vraiment dans la course.

La popularité politique en temps de crise

Ce n’était pas inévitable. J’étais conseiller de Lucien Bouchard au moment de la crise du verglas au début de 1998. Sa gestion de la crise l’a propulsé lui aussi dans les cimes des sondages. Son vis-à-vis fédéral, Jean Chrétien, n’avait alors pas la cote au Québec. Mais sa propre gestion de la crise l’a fait progresser considérablement. Il est vrai qu’il avait rendu l’armée disponible et que la présence des soldats sur le terrain fut très appréciée.

Legault a eu l’avantage d’être présent en tout début de crise, alors que Trudeau était en Afrique en train d’acheter des votes pour faire siéger le Canada au Conseil de sécurité de l’ONU. Pas une activité très populaire en soi. Legault avait aussi l’avantage juridictionnel: la santé publique étant une compétence provinciale. Il faudrait attendre l’impact économique pour que la parole fédérale devienne essentielle, et encore est-elle partagée avec celle du Québec.

Évidemment, Legault avait l’avantage de l’image — il incarne le bon père de famille plein de gros bon sens. On ne l’invite pas pour égayer nos soirées, on ne le voit pas bien au Conseil de sécurité de l’ONU et on hésite à l’inviter à un spectacle de Zaza. Mais pour tenir la maison debout, on lui fait d’emblée confiance.

Trudeau, lui, pouvait incarner le renouveau et la fraîcheur, mais n’a jamais réussi à projeter une image de puissance. Premier de cordée pour une excursion en montagne, oui, on le voit bien là. Mais pour manier l’équerre et le rabot, pour les gros travaux, il n’a jamais fait le poids. Facteur aggravant: depuis l’élection, il semble en chute d’énergie. On a vraiment l’impression qu’il aimerait être ailleurs.

Le hiatus entre le Québec et le Canada tient aussi au fait que les porte-paroles canadiens en santé, la ministre de la Santé, Patty Hajdu, ne s’exprime pas en français. Vous ne le savez pas, mais son profil est assez bon au Canada anglais. Ce qui explique que nos voisins canadiens soient plus satisfaits que nous, à plus de 70%, de la réponse d’Ottawa à la crise.

Le Coronavirus creuse donc la différence entre la nation québécoise et le pays canadien. Cela n’est pas nouveau et ne fait que consolider une situation existante.

La situation est politiquement digne d’intérêt, mais il faut se garder d’en tirer des projections hasardeuses. En 2013, Pauline Marois avait géré avec brio la crise de Lac Mégantic, mais elle n’en a tiré aucun bénéfice, sept mois plus tard, à l’élection de 2014. De même, début 1998, Lucien Bouchard est sorti apparemment invincible de la crise du verglas, puis de la déroute qu’avait constitué dans la foulée les audiences de la Cour suprême sur le renvoi sur la sécession. Autour de lui, on calculait les semaines avant une élection que nous allions remporter haut la main, nous mettant en piste pour un référendum gagnant.

La simple arrivée de Jean Charest à la tête du PLQ a complètement renversé la table et nous n’avons gagné l’élection de l’automne 1998 que par la peau des dents. L’indépendance, vous l’aurez peut-être observé, n’a pas eu lieu.

Le virus américain

La presse internationale est avec raison très dure avec la gestion de crise de Donald Trump. Les Américains sont plus partagés. Ils sont divisé moitié-moitié sur la qualité de sa gestion de la crise. Ils continuent à le créditer d’un taux de satisfaction autour de 44%, ce qui n’est pas le pire taux de sa présidence. (Un sondage Gallup récent lui donne même un niveau record, à 49%) Si l’élection générale avait lieu aujourd’hui, les sondages donnent au candidat démocrate potentiel Joe Biden une avance de 7%. C’est peu, car ces mêmes sondages relevaient avant la dernière élection une avance plus considérable à Hillary Clinton, avec les résultats que l’on sait.

Il y a plus intéressant encore. Les Américains sont divisés face au virus lui-même. Un sondage NBC/Wall Steet Journal montre que les citoyens d’allégeance républicaine sont moitié moins prompts que les démocrates à vouloir éviter les grands rassemblements. Deux fois plus de républicains que de démocrates sont toujours volontaires pour aller souper au restaurant.  De même, les trois quarts des démocrates craignent qu’eux ou des proches soient infectés, une angoisse qui affecte moins de la moitié des républicains.

Cette division reflète le clivage entre les villes et les campagnes. Les démocrates habitent davantage les villes, où le virus frappe davantage, que la campagne, dominée par les Républicains.

Mais des sondeurs notent que même les Républicains qui habitent dans les villes sont moins préoccupés par le virus que leurs voisins démocrates immédiats. Selon le journaliste Ronald Brownstein qui recense ces données sur le site de la revue The Atlantic, cela tient à la méfiance que ces citoyens de droite entretiennent envers les médias et les élites en général.

C’est ainsi que la majorité d’entre eux estiment que la crainte autour du virus est exagérée par les médias. Il est vrai que, dans un premier temps, le président et les médias conservateurs ont affirmé que le virus était une fabrication, une autre invention des démocrates visant à affaiblir le président.

Cela crée des distorsions. Les États qui sont les moins actifs contre le virus sont dirigés par des gouverneurs républicains, comme le Texas. Mais de grandes villes à l’intérieur de ces États ont des maires démocrates, comme à Houston, au Texas, qui, eux, veulent imposer du confinement.

Maintenant que Donald Trump se déclare « président de guerre » contre le virus, l’opinion républicain devrait s’assouplir, d’autant que le virus se propage sur tout le territoire, sans se soucier des frontières politiques.

Mais une nouvelle ligne de fracture est en train de s’ouvrir entre les républicains qui privilégient l’économie et les démocrates qui privilégient la santé. Alors que la Californie est en quarantaine, un député influent, Devin Nunes, affirmait ceci en entrevue: « si vous êtes en santé, vous et votre famille, c’est le temps de sortir, de faire des achats, d’aller au restaurant ».

En haut, en rouge, les lieux où les citoyens ont LE MOINS modifié leurs déplacements pendant la crise.
En bas, en rouge, les lieux ayant LE PLUS voté Républicain.

Une idée qui semble reprise par le président lui-même, qui craint que le remède, donc le confinement et le ralentissement économique, soit pire que le mal.

Au Québec, l’opinion est divisée sur la compétence et la rapidité avec laquelle nos dirigeants posent, essentiellement, les bons gestes.

Aux États-Unis, les citoyens sont divisés sur l’opportunité même de poser des gestes.

Tout bien considéré, on est bien chez nous.


La bande annonce de ma dernière balado:

On s’abonne ici

Bernard Landry: l’homme qui détestait l’ombre

Je n’ai jamais su ce qui a pu, chez le jeune Bernard Landry, tendre autant le ressort qui le poussait vers la lumière. Vers la lumière des projecteurs, bien sûr, dont il était friand. Mais aussi vers les lumières du savoir, de la politique, du pouvoir, de l’indépendance.

Je n’ai jamais su, mais je l’ai assez observé pour comprendre que ce ressort le définissait tout entier et lui procurait l’énergie débordante qui le faisait bondir vers ses objectifs. Lesquels ? Ils étaient nombreux mais tous enroulés, enchevêtrés, pour tout dire fondus, dans un seul tenant où se confondaient sa soif de notoriété, sa volonté farouche de faire comprendre à tous qu’il avait raison, quel que soit le sujet, son ambition politique, son amour du Québec, sa volonté indépendantiste.

Alors qu’on sentait Lévesque fondamentalement ambivalent, Parizeau parfois détaché, Bouchard quelquefois un peu las, Landry avait toujours son potentiomètre à la position maximale. Il était une incarnation du volontarisme politique et économique.

Comme ils disent en Abitibi, il ne baissait les bras que pour se retrousser les manches.

Il détestait l’ombre. Politiquement et personnellement. Leader étudiant, déjà cravaté, en 1964, il pestait contre l’ombre que portait le pouvoir économique anglophone (et francophobe) sur ceux qu’on appelait encore les Canadiens français. Rapidement, il en a conclu qu’il fallait sortir durablement le Québec de l’ombre canadienne. En 1976, l’avocat et économiste Landry fait partie du légendaire gouvernement Lévesque.

Lorsqu’on regarde et écoute, sortis des archives, la voix, le ton, l’attitude du jeune leader étudiant, puis du jeune ministre, on est frappés de découvrir comment sa personnalité est déjà entièrement constituée, qu’il n’en changera pas, jusqu’au poste de premier ministre et au-delà.

Mais il est encore dans l’ombre. De René Lévesque, ce qui va de soi. Mais aussi de Jacques Parizeau, qui domine l’action économique du gouvernement Lévesque et ne lui laisse que peu de rayons de soleil. Son heure ne vient toujours pas quand Parizeau tire sa révérence, début 1996, Lucien Bouchard s’imposant comme le choix de tous.

Mais Landry monte enfin en grade. Devient grand manitou des finances et de l’économie. Le chômage frise alors les 12 %. Au lendemain du référendum de 1995, accusé, et les autres indépendantistes avec lui, de nuire à l’économie québécoise, Landry en fait une affaire personnelle. Il déploie ses ailes, son talent, son audace.

Il avait résolu depuis 1982, et la publication de son énoncé de politique « Le virage technologique », que l’économie québécoise devait ajouter à ses richesses naturelles trop peu transformées localement un puits de richesse supplémentaire : les technologies du savoir.

Rien ne prédisposait le Québec à devenir un des hauts lieux mondiaux de la technologie. Bernard Landry a d’abord fait en sorte qu’il coûte moins cher d’investir au Québec en recherche et technologie que n’importe où ailleurs en Amérique. Chacun de ses budgets ajoutait sa panoplie de signaux favorables : par secteurs, régions, pour l’attraction fiscale des chercheurs.

Il était preneur de tout ce qui pouvait propulser le Québec vers le haut de la chaîne technologique.

Mais il ne suffisait pas de construire la maison, il fallait attirer les clients. Avant Bernard Landry, le Québec n’était plus sur la liste des sites potentiels d’investissement. En infusant de son volontarisme le nouvel organisme Investissement Québec, dirigé avec talent par Louis Roquet, il allait faire en sorte qu’en quelques années, le Québec remporte des prix internationaux pour la qualité de son accueil. Un revirement complet de situation. Avant Landry, la présence québécoise à Davos était anecdotique. Avec lui, et avec la Super-SGF qu’il avait constituée autour de Claude Blanchet, le cocktail annuel du Québec de Davos devenait une des attractions de ce haut lieu de l’investissement.

Sous les conseils de l’idéateur Sylvain Vaugeois, Landry décide de redéfinir de fond en comble, de simplifier à l’extrême, les programmes d’attraction pour convaincre la française Ubisoft d’installer ses pénates nord-américains à Montréal. C’est un signal fort de renaissance de la métropole. (À l’époque, le premier ministre ontarien Mike Harris disait dans les gazettes que l’économie montréalaise allait tellement mal que c’était « une ville sans heure de pointe » !) Ubisoft n’est qu’une entrée en matière. Landry crée ensuite la Cité du multimédia, puis tourne son appétit vers le commerce électronique.

Son audace coûte cher ? Oui. Il subit les foudres des critiques. Mais ça marche.

Les dépenses en R et D du Québec dépassent celles de l’Ontario. Montréal se hisse dans le peloton de tête des métropoles nord-américaines de ce qu’on appelle alors « l’économie du savoir ».

Le premier vendredi de chaque mois, Bernard Landry scrute avidement les données de l’emploi, et voit le chômage descendre sous 11, puis sous 10, puis sous 9 %, avec une courbe descendante plus abrupte que celle du voisin américain. Il est sorti de l’ombre. Il a fait sortir l’économie québécoise de l’ombre.

Son obsession pour la création d’emploi tempère ses élans sociodémocrates. Il tique lorsque Lucien Bouchard décide d’ouvrir les vannes pour créer le réseau des centres de la petite enfance. Il maugrée lorsque Louise Harel propose d’imposer l’équité salariale au secteur privé – une première en Amérique. Mauvaise humeur, oui, mais pas de veto. Devenu premier ministre, il retrouve son équilibre politique : c’est lui qui fait voter la loi de lutte contre la pauvreté, la plus ambitieuse du continent.

Faisons la part des choses. Bernard Landry n’a pas joué un rôle important dans l’atteinte du déficit zéro, un effort colossal porté par Lucien Bouchard, son président du Conseil du trésor Jacques Léonard et les ministres sectoriels. Landry jouait au contraire les pères Noël, saupoudrant des offrandes à chaque budget, alors que le Trésor serrait la vis pendant le reste de l’année. Il n’était pas non plus un joueur central dans les sommets économiques de 1996, dont il craignait l’échec. D’autres facteurs sont aussi en jeu dans la transformation du Québec en locomotive technologique.

Mais s’il faut identifier un acteur, désigner un moteur principal dans la modernisation de l’économie du Québec, on ne trouvera personne pour rivaliser avec l’action de Bernard Landry.

Je dirai davantage. Lorsque la crise économique a frappé, en 2008, le Québec fut un des endroits au monde qui a le mieux résisté au choc. Où le chômage, les faillites d’entreprises, les mises à la rue de propriétaires furent les moins importants. On le doit, pour beaucoup, à la modernisation du modèle québécois et de ses outils économiques qui fut l’œuvre de Bernard Landry.

Il y avait de la démesure dans son optimisme. Il prenait parfois ses désirs pour des réalités. C’était l’homme qui disait oui. Ministre, sa propension à s’engager dans tous les sauvetages d’entreprise, dans tous les projets, se heurtait parfois au refus glacial de Lucien Bouchard. Premier ministre, sa généreuse approbation de projets divers et variés faisait grincer, au Trésor, Joseph Facal et, aux Finances, Pauline Marois.

Il avait un rapport difficile aux médias. Journaliste, j’avais été un jour réveillé à l’aube pour subir ses foudres. Conseiller, je recevais ses appels outrés contre telle chronique, telle caricature. Il était particulièrement remonté contre un photomontage de la Gazette où on le voyait, fumant cigares, avec d’autres ministres, autour d’une table où étaient empilées des liasses d’argent. « Des gens vont penser que c’est vrai », pestait-il au bout du fil. Je lui conseillais calmement d’en parler à un avocat, dont je savais qu’il lui dirait qu’il n’y avait aucun recours.

Le calendrier a été cruel avec l’indépendantiste Landry. Il devient premier ministre à un moment de reflux de l’option. Il cherche des formules. Un point de passage.

Grand partisan de l’Union européenne, il parle « d’Union confédérale » entre le Québec et le Canada. Affirme même dans un moment d’égarement que, comme le drapeau européen flotte sur les parlements nationaux, l’unifolié de l’union confédérale canadienne pourrait flotter sur le parlement de Québec. Jacques Parizeau lui fera la vie dure, par personnes interposées, de Conseil national en Conseil national.

Bernard Landry souhaitait être « élu » premier ministre en 2003. Il était jusque-là héritier du poste, dans l’ombre électorale de Lucien Bouchard. Mais ses chances sont bonnes d’être porté par son propre soleil. Le taux de satisfaction de son gouvernement est élevé. Avec la « Paix des braves », il a établi l’étalon-or des ententes avec une nation autochtone. L’économie tient. La générosité sociale-démocrate est de retour.

Jusqu’à ce que, pendant un débat, son opposant Jean Charest instrumentalise assez vicieusement une déclaration faite le jour même par Jacques Parizeau sur son discours controversé du soir du référendum. Landry est évidemment incapable, dans les heures qui suivent, de mettre cette crise derrière lui, car il faudrait le faire en tandem avec un Jacques Parizeau rétif. À l’impossible nul n’est tenu. L’affaire traîne et pousse une partie des électeurs, non à changer de politique, mais à changer d’acteurs politiques, ces tiraillements entre souverainistes ayant un goût d’on-en-a-assez-vu.

Landry n’y est pour rien. Mais c’est lui qui trinque. Il devait complètement entrer dans la lumière le jour de l’élection de 2003. Mais c’est l’ombre qui revient.

La cruauté ne vient jamais seule. Chef de l’opposition en 2005, alors que François Legault et Pauline Marois attendent leur tour en coulisses, il faut à Bernard Landry un grand jet de lumière pour compenser, dans son vote de confiance, la défaveur relative dont l’opinion l’accable.

Il obtient 76 %, juge le score insuffisant et démissionne sur-le-champ. Geste qu’il regrettera amèrement pendant de longues années.

La consolation est mince, mais il peut au moins contempler la robustesse de son édifice. Jean Charest tente de démanteler ce qu’il a construit. La réaction est vive. Le gouvernement libéral doit faire marche arrière. Sur les crédits d’impôt. Sur la SGF. Sur plusieurs des instruments de concertation et de développement économiques bâtis par Bernard Landry.

Au crépuscule de sa vie, au moment de faire les comptes, Bernard Landry savait-il combien les Québécois lui devaient ? Pouvons-nous seulement commencer à le mesurer ? Le Québec de 2018 est, économiquement et technologiquement, complètement désinhibé. Ambitieux. Visionnaire. Audacieux. C’est qu’il y a dans l’air qu’on respire et dans l’eau que l’on boit, une dose du volontarisme de Bernard Landry. Une portion de son énergie. Un reflet de sa lumière.

Lire: Pauline et le pouvoir au quotidien

Comme tous les samedis, mes suggestions de lecture.

Pauline Marois au microscope

9782764634356Je me souviens d’avoir surpris Dominique Lebel dans son minuscule bureau de l’absurdement labyrinthique cabinet de la première ministre, rue Sherbrooke à Montréal. Il avait la tête dans les mains.

« Tu as l’air accablé ». Il l’était. Un article du matin avait fait déraper une négociation qui aurait du mieux se passer et qui allait ajouter à nos épreuves du début 2013.

J’avais applaudi à deux mains l’arrivée de Dominique autour de Pauline Marois, car cet ancien des jeunesses péquistes, de cabinets de Jean Doré et Gilles Baril, devenu entrepreneur et haut dirigeant de Cossette, me semblait superbement doué pour aider le nouveau gouvernement à surmonter une tare congénitale au Parti québécois: la difficulté à communiquer.

Dans son journal politique, Dans l’intimité du pouvoir, Dominique met en forme et livre une partie de ce qu’on le voyait écrire dans ses petits carnets noirs, du jour de notre élection en septembre 2012 à celui de notre défaite en avril 2014. La difficulté de communiquer n’est nulle part aussi évidente que dans le récit quotidien qu’il fait, en fin de livre, du naufrage que fut la campagne électorale de 2014.

Mais cette finale glauque, où Pauline perd le contrôle de l’agenda et n’a plus prise sur le réel, arrive en contrepoint de tout le récit qui précède où, au contraire, la première ministre apparaît au pouvoir comme une personne complètement aux commandes, complètement impliquée, complètement dédiée au bien commun.

Dominique ayant été responsable des dossiers économiques, le livre peut pêcher de ce tropisme. La présence et le poids des acteurs économiques surprendra le lecteur qui croit le PQ étranger à la chose. L’insistance de la première ministre à suivre personnellement les grands dossiers d’investissement pour stimuler la croissance et l’emploi, les rencontres à répétition avec les investisseurs étrangers (contribuant à la récolte record de 1,3 milliards $ d’investissement étrangers à Montréal en 2013), son cadrage personnel des négociations avec l’Europe ou avec Pétrolia, autant de signes tangibles, et trop peu connus, de l’engagement de Pauline pour l’économie et l’emploi. (Note partisane: si le PLQ n’avait pas mis à la poubelle notre politique économique Priorité Emploi, que tous avaient applaudi, le Québec n’irait pas si mal qu’aujourd’hui.)

L’auteur arrive bien à faire comprendre au lecteur l’inimaginable pression qui s’exerce au quotidien sur l’équipe d’un chef de gouvernement. Il entrelarde ses journées infernales de touches familiales (il a trois filles), de son jogging dans les villes du Québec et du monde où l’entraîne sa patronne et de notes sur ses lectures du moment et, cela est un tantinet agaçant, du nom de tous les excellents restaurants où il casse la croûte.

On apprend toujours des choses

Apprend-t-on des choses ? Oui, mais pas de scandale. Ministre de ce gouvernement, membre du Comité d’orientation et du comité ministériel sur l’économie (j’étais au commerce extérieur), j’y ai appris que l’équipe Marois avait envisagé une prise de participation stratégique dans l’aluminium, alors en grave difficulté donc plus abordable, puis l’avait écarté. Tiens donc.

J’y trouve la confirmation que la CAQ avait envoyé des signaux clairs de sa volonté de ne pas nous renverser au budget 2014, ce qui nous aurait donné le loisir de gouverner plus longtemps. (Je l’avais appris, d’une autre source, après le déclenchement de l’élection ce qui m’avait mis de fort méchante humeur.) Les membres du Comité d’orientation auraient sans doute aimé en être informés avant de conseiller la première ministre sur l’opportunité de déclencher l’élection. Je ne dis pas que la recommandation aurait été différente, et Dominique rend un grand service en racontant comment il semblait logique pour tous de déclencher en mars 2014 —  ce qui semble en rétrospective ahurissant.

Il y a des passages qui font sourire. Dominique semble surpris que, lors d’une réunion du Comité d’orientation en octobre 2013, s’enclenche sur la Charte une discussion « beaucoup plus houleuse que prévu ». Puis il ajoute: « Les ministres argumentent en sachant très bien que les choses vont suivre leur cours ». Façon de dire: cause toujours !

Il confirme dans un autre extrait l’absolue prépondérance des équipes du ministère des Finances dans tout les débats ayant un angle économique :

« Martine Ouellet et Bernard Lauzon viennent me rencontrer au cabinet de Montréal. Je les reçois dans mon bureau dénudé aux chaises dépareillées. Lauzon était le conseiller économique de Jacques Parizeau avant d’entrer dans la fonction publique au milieu des années 1990. Il est aujourd’hui haut fonctionnaire aux ressources naturelles. Lui et Martine Ouellet viennent discuter du dossier des redevances minières. Lauzon a fait ses propres calculs et projections et il me présente le résultat de ses recherches à la manière d’un professeur d’université. Ses résultats sont très différents de ceux des Finances. Je me dis qu’il faut quand même être culotté pour faire soi-même des projections qui viennent contredire celles de la batterie d’experts du ministère des Finances. J’admire l’audace, mais je ne vois pas bien à quoi rime tout ça. »

Dominique admet par la suite que nous avons beaucoup déçu dans ce dossier des redevances, dont une hausse marquée était une promesse électorale clé. La chute rapide des cours des métaux rendait le pactole promis inatteignable, mais Martine avait la conviction que les Finances sous-estimaient le potentiel encore disponible. Le témoignage du conseiller Lebel montre qu’il n’était tout simplement pas la peine de tenter de contredire, même avec la science déployée par un des élèves les plus brillants de l’économiste Parizeau, les conclusions des Finances. (En fait, sous Parizeau, on disait que le budget était « le budget Lauzon » tellement il y était impliqué.) J’aime à penser qu’à la place de Dominique, j’aurais organisé un débat entre Lauzon et l’expert des Finances sur ce dossier, devant moi et au moins un expert externe, pour aller au fond des choses et conseiller correctement la première ministre.

Je pourrais encore chipoter* sur tel ou tel dossier, par exemple lorsqu’il s’étonne que « la commande qui paraissait acceptable à l’automne s’est transformée en cauchemar au contact du réel. » Le conseiller semble n’avoir pas capté les signaux d’alarme envoyés par les ministres.

Plus globalement, je conseille au lecteur de lire d’abord les 3 dernières lignes de la page 422 et les sept premières de 423 du livre (6 avril 2014, juste avant la défaite) et ensuite la page 19 (10 septembre, six jours après l’élection de 2012)**.

Plus on connaît Couillard, plus on s’ennuie de Pauline

Il y a maintenant deux ans que les Québécois ont collectivement décidé de ne pas renouveler leur confiance à Pauline Marois. La période de deuil est terminée. La comparaison avec celui qui fut choisi à sa place peut se déployer.

Une des critiques les plus féroces de Pauline a ouvert le bal, dimanche dernier, dans Le Journal de Montréal. Lise Ravary. Extrait:

« Madame Marois, mea culpa

Il m’est déjà arrivé d’écrire que le gouvernement Marois se classait parmi les pires des 50 dernières années. Mea culpa. Malgré les cafouillages et les débordements autour de la charte des valeurs, il y a avait de la vie dans ce gouvernement, de l’intelligence, de la passion, des débats.

On pouvait ne pas être d’accord avec les choix de Pauline Marois, mais autre chose que du fluide glacial coulait dans ses veines.

Le refus de Philippe Couillard de prendre en considération les préoccupations sur la langue, l’immigration ou l’islamisme témoigne d’une distance malsaine avec l’électorat. »

Le livre de Dominique Lebel arrive à point pour rappeler à ceux qui l’ont déjà su et apprendre à ceux qui ne le savent pas, combien les Québécois étaient choyés d’avoir au gouvernail une femme de la trempe de Pauline Marois.

Son énergie, son honnêteté intellectuelle, son ouverture, sa détermination se déploient, à chaque page de ce journal politique. Il lui arrivait — rarement — de perdre pied. Et je termine en citant cette entrée de journal du lendemain d’un jour difficile. Car c’est exactement la Pauline telle que nous l’avons connue:

« Mardi 11 juin 2013.

Madame apparaît, radieuse. Le contraste est saisissant. La femme hésitante du caucus de la veille a laissé place à la battante. Chaque jour est un jour nouveau. Sa capacité de rebondir semble n’avoir aucune limite. C’est probablement l’une de ses grandes forces, cette manière de repartir à neuf chaque matin. »

*   *   *

*Ce genre de journal est inestimable pour les chercheurs, journalistes et historiens. Il est donc impardonnable que l’éditeur n’ait pas prévu d’index.

**Note à Dominique: tu vois, avec cette énigme, je vais mousser tes ventes !

J’ai aussi corrigé sur ma page Facebook deux inexactitudes me concernant.

À votre tour !

Vous l’avez lu ? Commentez-le ou faites des suggestions.

Pour les précédentes recensions, c’est ici.

Pauline: Au moins, les femmes étaient avec toi !

Chère Pauline,

Je t’ai écrit au lendemain de l’élection. En 36 heures, 90 000 Québécois sont venu lire l’hommage rendu, des centaines ont ajouté en commentaire leur émotion à la mienne, plusieurs avouant leur peine, leur choc, leurs larmes.

Qu’y a-t-il à ajouter ? Ceci: j’ai reçu hier soir une information que je veux partager avec toi, avec toutes les lectrices et tous les lecteurs de ce blogue.

On a beaucoup dit, depuis que tu diriges le Parti Québécois, que les femmes étaient plus dures avec toi que les hommes. Que ta présence, qui a pourtant permis aux femmes de briser le plafond de verre du pouvoir, ne t’avait pas mérité leur reconnaissance. Que ton combat pour les garderies à bas coût — qui ont permis à 70 000 femmes d’entrer sur le marché du travail — que ton combat pour les congés parentaux — qui ont permis à des dizaines de milliers de couples de choisir d’avoir un enfant de plus — que tout ça n’avait pas suscité pour toi un regard approbateur de la part des femmes québécoises.

Or la compilation des sondages internes du PQ de la campagne permet de déchirer ce mythe. Chez les francophones, les femmes t’ont choisi. Largement. Généreusement.

Les femmes avec Pauline

C’est, un peu, beaucoup, le cadeau d’adieu des femmes du Québec.

Emporte-le avec toi.

Jean-François

Très chère Pauline

Très chère Pauline,

La politique est ingrate. Ça, tu le savais. Tu l’avais vécu. Plusieurs fois. Tu t’étais relevée. Plusieurs fois. Tu nous avais, tous, relevés. Et depuis 18 mois, c’est tout le Québec que tu as relevé, le sortant des marais de la collusion, de l’immobilisme, de la résignation. Tu n’en a pas été récompensée. Loin s’en faut. Mais nous savons tout ce que tu as réparé, tout ce que tu as fait, tout ce que tu as mis en branle.

Nous savons, et nous le dirons sans relâche, combien ta compétence et ton énergie ont été notre boussole pendant ces 18 mois. Combien ta bonne humeur, ton écoute et ton esprit de décision nous ont servi de modèle, pendant ces 18 mois — et à l’avenir pour notre vie entière.

La politique est ingrate et, hier soir, elle t’a montré la sortie. Tu l’a prise avec élégance, avec sérénité, en évoquant l’histoire du Québec, la résilience, la durée. Des qualités québécoises que tu incarnes de la tête aux pieds.

Pauline, l’électorat a été dur, hier. Dur surtout envers notre grand rêve d’un pays à faire. Dur comme une troisième défaite référendaire. Dur comme un autre Non.

Les Québécois n’ont sanctionné ni le combat que tu as mené pour la langue française, ni celui d’un État plus laïque, ni celui de faire du Québec un modèle de transports électriques, ni ton choix de sortir le Québec du nucléaire, de l’amiante, des petites centrales, du gaz de schiste,  ni celui de chercher à savoir si nous avions du pétrole exploitable, ni celui de la souveraineté alimentaire. Ils ne t’ont pas reproché tes réformes pour l’intégrité des contrats publics, la moralisation du financement des partis, la liberté donnée aux policiers d’arrêter les maires corrompus.

Les Québécois ne t’en ont pas voulu, hier, d’avoir naguère inventé puis, ces 18 derniers mois, d’avoir complété le réseau de service de garde le plus envié d’Amérique du Nord, ni d’avoir introduit les maternelles 4 ans pour les démunis, ou prévu une augmentation historique du financement des groupes communautaires. Ils ne t’ont pas reproché d’avoir introduit une politique sur l’itinérance, d’avoir concentré les budgets de la santé pour les soins à domicile, d’avoir fait reculer, l’an dernier, du tiers le chômage chez les immigrants, d’avoir adopté des politiques économies applaudies par le patronat comme par les syndicats, d’avoir ramené la paix sur les chantiers de construction, d’avoir doublé les investissements étrangers à Montréal l’an dernier, d’avoir signé des ententes fructueuses et pragmatiques avec les premières nations que tu rencontrais avec franchise et respect.

Non. Rien de tout ça ne t’a été reproché hier.

Alors de quoi t’en ont-ils voulu ? De vouloir t’inscrire dans le combat des Lévesque, Parizeau, Bouchard et Landry. De vouloir, de tout de ton coeur et de tout ton cerveau et de toutes tes tripes, donner aux Québécois un pays.

Même pas, en fait. Tu as perdu parce que tu voulais laisser entrouverte la possibilité d’offrir aux Québécois le choix, si un jour ils le voulaient, de se donner un pays.

Fermer cette porte à double tour était plus important pour un plus grand nombre de Québécois que toute autre considération. Fermer cette porte valait tous les autres risques incarnés par le Parti Libéral.

Alors, Pauline, tu vois, tu n’as rien à te reprocher. On pourra pinailler sur telle ou telle décision tactique, c’est sûr.

Mais sur le fond, sur la trame, sur l’essentiel, tu t’es tenue debout, avec tes convictions. Tu t’es présentée telle que tu es, authentique, vraie et — oui — déterminée.

Gilles Vigneault le disait au lendemain du référendum de 1980: « Nous n’étions pas assez nombreux à penser comme moi ».

Hier, ma très chère Pauline, les Québécois n’étaient pas assez nombreux à penser comme toi. À penser comme nous.

Alors tu peux prendre tes quartiers de printemps avec le sentiment — non, pas le sentiment, la certitude — du devoir accompli. De la fidélité à tes convictions. Tu laisses derrière toi une équipe formidable. Trente députés que tu as choisis et qui t’ont choisie. Une base militante que tu as reformée et ressoudée. Malgré la défaite: le plus grand parti au Québec avec 90 000 membres et un financement populaire inégalé.

Il y a du ressort, dans cette défaite. Le ressort que tu as mis en nous. Il y aura beaucoup d’introspection à faire, dans les semaines et les mois qui viennent. Il y aura du découragement, des débats, des mauvaises humeurs. Puis le sens des recommencements, des consensus, des choix, de l’action.

Ce ne sera pas facile. Mais si nous avons le centième de ta sagesse et de ton courage, nous franchirons ces étapes en nous nourrissant de l’exemple que tu nous as donné toute ta vie durant.

Repose-toi, Pauline. Très chère Pauline. Tu l’as bien mérité. Nous t’emportons avec nous, tu fais partie de nous, dès maintenant et pour très longtemps.

Merci d’être ce que tu es. Merci tout court.

Au nom de tous ceux qui t’admirent et t’aiment,

Jean-François

Permalien de l'image intégrée

Les corrompus contre-attaquent: la Marois, « elle va y goûter »

Qui a intérêt à ce que Pauline Marois ne soit pas première ministre lundi soir?

Disons-nous les vraies vraies affaires. Depuis 18 mois, elle a mené une offensive sans merci contre tous les corrompus du Québec. Les Gilles Vaillancourt, accusé de gangstérisme, et tous ses amis en veulent à la chef du PQ d’avoir laissé la police faire son travail. Sont-ils des dizaines ou des centaines les cadres d’entreprises d’ingénierie, d’architectes, d’avocat, de comptables véreux qui s’étaient enrichis, avant elle, et qui ont perdu soit leur emploi, soit leurs bonus, soit leur réputation à cause d’elle?

À cause de Pauline Marois, de son équipe et de sa loi 1, les géants de l’ingénierie, les SNC-Lavalin, Dessau, Axor, qu’on croyait intouchables, ont été exclus de tout contrat gouvernemental pendant plus d’un an. Hier triomphants ils devaient, penauds, démontrer à l’Autorité des marchés financiers qu’ils avaient viré les crapules en leur sein, modifié leurs codes, changé leur culture.

La lutte de Pauline Marois contre la corruption a détruit les réseaux qui vampirisaient le Québec sous les Libéraux et a individuellement brisé les carrières des ripoux. Pas étonnant qu’ils lui en veulent et qu’ils passent à l’attaque, en ces derniers jours de campagne.

Souvenez-vous, avant le débat, lorsque Philippe Couillard avait annoncé que la dame de béton, « elle va y goûter » et qu’il avait « amplement » de munitions contre elle. Je n’en doute pas. Pour ceux qui souffrent du regain d’intégrité que connaît le Québec, la rancœur est forte et la vengeance est un plat qui se mange à chaud, dans les derniers jours de la campagne.

La source confidentielle qui a parlé à Alain Gravel n’avait, outre sa parole, aucune preuve à mettre dans la balance. Que sa volonté de mettre Mme Marois à l’écart pour que reprennent les bonnes affaires. Les vraies affaires.

Pourquoi Pauline Marois est-elle la femme à abattre? Parce que personne avant elle n’a fait autant en si peu de temps pour faire reculer la fraude et l’illégalité. Le système des prêtes-noms a été cassé par les lois du PQ sur le financement à 100$ des campagnes québécoises et municipales. Les maires accusés de fraude peuvent maintenant perdre leurs postes grâce à une nouvelle loi. Toutes les entreprises — toutes — qui veulent des contrats publics doivent démontrer leur intégrité. Du jamais vu. Contrairement à la pratique sous les libéraux, où les policiers ont interrompu une filature parce qu’ils s’approchaient trop du pouvoir, l’UPAC a su qu’avec Pauline Marois il fallait suivre toutes les pistes jusqu’au bout. Et on a jamais vu autant de perquisitions, d’arrestations, d’accusations.

Il y en a qui veulent que ça s’arrête. Ceux qui ne sont pas encore pris et qui tremblent dans leurs paradis fiscaux. Ceux qui sont déjà pris et qui veulent en découdre.

Et il y a ceux qui veulent que ça continue. Les Québécois intègres. Les Québécois qui gagnent contre les crapules. Les Québécois qui savent que Pauline Marois est notre meilleur rempart contre la corruption.

Soyez de ceux-là, lundi. Soyez contagieux, d’ici lundi. La corruption a perdu la première période, ces derniers 18 mois. Il faut leur faire perdre la partie, lundi soir.

Lettre à Philippe Couillard: le tough des toughs

Cher Philippe,

Si j’ai bien suivi, vous avez décidé, ces jours derniers, de faire peur à Pauline Marois. « Elle va y goûter » avez-vous dit, si elle ose soulever des questions éthiques à votre sujet.

Car vous êtes « pas mal plus tough que le monde pense ». Je vous crois. Il faut être tough pour faire campagne pour un parti dont des anciens ministres reçoivent à répétition des policiers chez eux — dont vous, cher Philippe; tough pour jouer les purs quand 11 responsables de votre parti sont sous enquête pour financement illégal. Il fallait être particulièrement tough pour cacher pendant deux mois au public que les policiers ont perquisitionné votre quartier général, ce que vous avez fait l’été dernier.

Je comprends donc que vous voulez rouler les mécaniques, utiliser des gros mots — vous « détestez le gouvernement Marois » avez-vous dit, ajoutant qu’il veut « fourrer le monde » . Vous voulez ainsi tenter d’éviter de répondre pour un gouvernement libéral qui a, pour dire le moins, laissé le Québec s’enfoncer dans la corruption neuf ans durant.

Malheureusement, cher Philippe, laissez-moi vous donner un avis amical: ça ne marchera pas ! Dans le palmarès des toughs, Pauline Marois trône au sommet.

Je la connais depuis maintenant plus de 20 ans. Elle est d’un naturel calme et chaleureux. Mais elle a démontré ces dernières années, plus que vous ne le ferez jamais, qu’elle a la couenne la plus dure au Québec.

Elle a résisté à une des pires crises de l’histoire du Parti québécois. Elle a résisté aux assauts groupés de ses prédécesseurs. Elle a résisté à des démissions qui auraient terrassé politiquement plusieurs mâles péquistes. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la Dame de béton.

Lorsque vous étiez confortablement à la retraite de la politique, emmuré dans un silence complice, Pauline menait la charge pour une commission d’enquête sur la corruption que votre parti refusait avec la plus grande énergie. Au moment où cela comptait, et que presque personne n’y croyait, elle faisait signer des pétitions pour mettre ce thème en devant de scène. Vous, qui jouissiez alors d’un important ascendant moral, préfériez vous taire et taquiner le saumon avec votre ami Arthur Porter.

Vous l’avez eue facile, Philippe, dans le cocon libéral-fédéraliste québécois. Comme tous les souverainistes, Pauline s’est fait traiter de xénophobe et de nazie pour avoir défendu la loi 101, pour avoir proposé l’indépendance, pour avoir voulu défendre les valeurs québécoises.

Le Globe and Mail — pas un torchon, tout de même — l’a traité en 2012, elle et son parti, de « vampire » et, cette semaine, de « zombie ». Jean Charest, avant vous, a tout tenté pour l’accuser, la ridiculiser, la vilipender. Et il était champion en la matière. Non seulement lui a-t-elle survécu, elle l’a vaincu. Et l’a même fait perdre dans sa propre circonscription. (Pensez-y, Philippe: perdre contre un candidat de Pauline dans sa propre circonscription. Dur.)

Peut-être savez-vous aussi que Pauline Marois a démontré un sang froid exemplaire, le soir de son élection, lorsqu’un tireur fou voulait attenter à sa vie.

Alors, Philippe, soyons sérieux. Quoique vous disiez, quoique vous fassiez, vous avez devant vous, dans cette campagne et aux débats, une femme qui en a vu d’autres. Une femme qui a gagné ses galons de chef et qui a grandi avec raison dans l’estime des Québécoises et des Québécois.

Vous dites la détester. La trouver toxique. Vous utilisez à son endroit des propos de bas étage.

Peine perdue. Vous ne l’atteignez pas. Vous ne la blessez pas. Elle en a vu bien d’autres. Des plus toughs et des plus torves que vous. Vous réussissez, c’est certain, à baisser dans son estime et dans celle des électeurs. C’est votre choix. Vous vivrez avec.

Bien cordialement,

Jean-François