(Tomassi) Amir persiste, le blogueur répond: « Et si c’était toi, Amir? »

À la suite de mon billet À la défense (des droits) de Tony Tomassi, Amir Khadir m’envoie la réponse qui suit:

Comme citoyen il a droit à la présomption d’innocence. Ce principe vaut pour lui comme pour quiconque. Autrement dit on ne peut le jeter en prison avant d’avoir prouvé qu’il est coupable.

 

Ceci étant dit, il y a une importante nuance: est-il toujours dans les circonstances où pèsent sur lui de si graves accusations en mesure d’effectuer son travail? Jouit-il du lien de confiance nécessaire avec ses commettants? La réponse est deux fois non.

 

Comme législateur et député, il doit jouir d’un minimum de crédibilité auprès de ses électeurs. Avec des accusations aussi graves, venant d’une enquête sérieuse étalée sur 2 ans, Tomassi ne peut prétendre à cette crédibilité jusqu’à ce qu’il ait lavé sa réputation devant la justice. Une crédibilité nécessaire pour agir au nom de ses concitoyens.

 

Que le député Tomassi démissionne. Le citoyen Tomassi pourra ensuite jouir de toute sa liberté et présomption d’innocence. Je ne demande pas qu’il soit emprisonné. Mais il n’est plus habileté pour remplir ses fonctions. Il a beaucoup plus urgent et important à faire: prouver son innocence.

Cher Amir,

Je saisis très bien la nuance. Mais le résultat est le même. Puisque Tony Tomassi est détestable, on estime que sa réputation est souillée par l’accusation portée.

Mais, puisque, pour l’instant, aucune culpabilité n’est prouvée, tout cela n’est que perception (et vraisemblance).

Prenons un autre cas. Celui d’un homme politique non-détestable. Au hasard: Amir Khadir. Supposons qu’après une enquête sérieuse de deux ans, la GRC dépose trois accusations pour 1) conspiration pour troubler la paix publique lors de manifestations ayant mal tournées; 2) trafic d’influence avec un groupe anti-sioniste qui aurait payé un voyage ou des nuitées d’hôtels au député et 3) intelligence avec l’ennemi. (Fondé sur une rencontre avec un parlementaire libanais proche du Hezbollah.)

Amir, lui, sait que ces accusations sont mensongères. Les commentateurs de droite s’en donnent à cœur joie et demandent sa démission immédiate (un certain E.D. propose même la lapidation à coups de souliers). Le Premier ministre suggère, pour le moins, qu’il ne soit plus cochef de Québec solidaire tant que le procès n’a pas eu lieu.

D’un caractère bouillant, Amir veut convoquer une conférence de presse, une assemblée publique devant ses électeurs pour prouver, dates et documents à l’appui, que les accusations sont une supercherie, montée sur des demi-vérités et de faux témoignages.

Son avocat lui recommande au contraire de ne rien dire, car toute révélation de sa part, tout dépôt de document, pourrait être utilisé par le procureur qui, c’est clair, veut sa peau, pour étayer sa plaidoirie.

Muré dans son silence, il attend son procès. Sans doute, par pur sens éthique, suspend-il ses fonctions à la tête de QS le temps que l’affaire se dénoue.

Mais démissionne-t-il ? Pour être remplacé six mois plus tard par un autre député, perdant ainsi son emploi, cassant peut-être irrémédiablement sa carrière politique ? Si oui, c’est donner raison aux menteurs.

Les doutes qui planent sur Tomassi semblent accablants. On présume qu’ils sont avérés. Mais si la justice le juge, en fin de course, innocent et qu’il a été expulsé de l’Assemblée nationale dans l’intervalle, cela n’équivaut-il pas à une double peine ? Comment pourrait-il obtenir réparation ?

Comment un Amir Khadir injustement persécuté par la GRC, expulsé de l’Assemblée nationale grâce au « précédent Tomassi », se sentirait-il le jour où la justice lui donnerait raison, à lui le chômeur, banni par les élus?

Si l’affaire traîne, qu’il y a appel, et qu’une échéance électorale survient, que les électeurs (ou les militants, dans l’assemblée d’investiture) décident de renouveler ou de retirer leur confiance en la personne accusée, mais non condamnée. Ils verront aussi s’il a, dans l’intervalle, bien assumé son rôle de député.

Mais l’Assemblée nationale, je pensais qu’on l’avait compris, n’est pas un tribunal. Et c’est bien ainsi.

Bien cordialement,

Jean-François

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !