Tout fout le camp (encore ?)

Les scénarios catastrophe abondent. Faut-il continuer à cultiver notre jardin pendant que le ciel nous tombe sur la tête ? Réponse qui en vaut d’autres : seulement si on s’investit pleinement dans sa tâche et qu’on tient un parapluie.

Peut-être cette journée avait-elle bien commencé pour vous. À moins que vous ne tourniez immédiatement la page, c’en est fait de votre tranquillité d’esprit. Car au moment où vous lisez ces lignes s’enclenche la plus grave crise politique mondiale depuis la chute du rideau de fer, en 1989, accompagnée d’une crise économique et financière d’une ampleur comparable à celle de 1929. Je n’invente rien. Je viens de citer mot à mot le bulletin Alerte Europe 2020 / Rupture systémique globale.

Le pire, c’est que sa lecture est extrêmement convaincante. On sait que l’économie américaine se présente depuis cinq ans comme un géant aux pieds d’argile : une accumulation record de déficits, une balance commerciale outrageusement déficitaire, une croissance économique largement tributaire de la bulle immobilière, un dollar qui ne cesse de s’affaiblir. En cette semaine du 20 mars, tout va converger pour faire sauter la baraque, écrivent les auteurs – qui affirment avoir prévu l’effondrement du bloc communiste, le blocage des institutions européennes et l’échec de la ratification de la nouvelle Constitution, l’enlisement américain en Irak et la perte de crédibilité internationale des États-Unis. (Pas d’applaudissements pour ces deux dernières prédictions, Bush était le seul à ne pas faire les mêmes.)

Reste qu’ils mettent le doigt sur deux événements qui peuvent précipiter les choses. Le 20 mars, nos amis du gouvernement de Téhéran doivent lancer la première Bourse pétrolière en euros, donnant un coup d’accélérateur à un mouvement perceptible depuis deux ans : la montée de l’euro et la chute de la devise américaine. Le 26 mars, la Réserve fédérale des États-Unis va cesser, comme elle l’a déjà annoncé, de rendre publique la somme de dollars américains en circulation dans le monde. Ce recul de la transparence ne peut cacher qu’une chose : la volonté d’imprimer un plus grand nombre de billets pour doper artificiellement l’économie américaine et ainsi aider l’équipe Bush aux élections législatives d’octobre. Cependant, cela donne à tous le signal supplémentaire que le dollar américain n’est plus une devise crédible.

Ces deux éléments suffiront-ils à provoquer les cataclysmes annoncés ? Il n’y a que deux réponses possibles : oui ou non. Et on ne saura qu’à l’usage laquelle est la bonne. J’ai lu, depuis 20 ans, des dizaines de documents semblables à celui-ci et parfaitement bien étayés. La terre a continué de tourner. Pour ce magazine, j’interviewais en 1987 Paul Kennedy, historien respectable qui venait d’écrire la thèse définitive sur le déclin imminent de l’empire américain. Puis, les États-Unis ont vécu pendant les années 1990 une des périodes les plus fastes de leur existence.

Ah, mais s’il n’y avait que ça. La Chine, monsieur Lisée, la Chine ! Elle va nous engloutir tous et toutes ! Certes. (Au Cérium, nous auscultons le phénomène sous toutes ses coutures et, à vrai dire, c’est pire que vous ne le pensez.) Hier maoïste, la Chine devient une surprenante puissance néocoloniale : elle achète nos matières premières, les transforme, puis nous revend les produits finis, rasant notre industrie manufacturière au passage. La meilleure (la pire ?) citation entendue à ce sujet provient d’Avrim Lazar, président de l’Association des produits forestiers du Canada : « Il y aura une chose pire que de devenir une colonie chinoise, ce sera de ne pas en devenir une. »

Mais vous souvenez-vous que les Japonais, dans les années 1980, devaient également nous avaler tout rond ? Où sont-ils aujourd’hui ? La Chine a de meilleurs atouts, c’est sûr. Elle peut tomber plus durement aussi. Elle va nous changer, c’est sûr. On va s’adapter.

Rien de tout cela n’importe, disent les écolos, car la terre brûle, à Pékin comme à Victoriaville. Ah, le réchauffement ! Je vais régler son cas en deux phrases. Ou bien sa progression est linéaire, c’est-à-dire qu’il s’accentue un peu plus chaque année, et alors nous avons le temps d’agir, malgré la chaleur croissante, pour la faire reculer. Ou bien elle est non linéaire, c’est-à-dire que d’ici 50 ans sera franchi, à un moment imprévisible, le seuil au-delà duquel des changements brutaux surviendront (disons, 5% de ce qui arrive dans le film Le jour d’après – tourné à Montréal, vous le saviez ?), et alors rien de ce que nous pouvons faire dans l’intervalle n’aura d’importance.

Et puis, de toute façon, la grippe aviaire nous rattrapera avant. Sans compter le bogue de l’an 2000, à cause duquel nous serons tous piégés dans des ascenseurs jusqu’à ce que mort s’ensuive. Que dites-vous ? Le bogue est déjà passé ? Je ne m’en étais pas rendu compte.

Quelqu’un me demandait récemment si, devant toutes ces catastrophes imminentes, nos vies avaient encore un sens. Enseigner aux enfants. Construire des meubles. Repaver des nids-de-poule. Organiser des conférences sur la Chine. J’ai réfléchi un peu, puis ai répondu deux choses. À moins d’un danger perceptible et immédiat qui requière qu’on empile des sacs de sable ou repousse une attaque ennemie, ce que nous pouvons faire de plus utile est de nous investir dans ce que nous faisons bien et de le faire mieux (Nota bene : cette consigne ne s’applique cependant pas à ceux de nos lecteurs qui sont tueurs en série). Cela dit, si vous avez encore des actions de GM, vendez-les. Et il ne serait pas complètement imprudent d’acheter un peu d’or, avant la fin du mois, juste au cas.

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