Un prof réplique à Pierre Reid

onvousdérangeAndré Habib, professeur de cinéma à l’Université de Montréal, n’a pas du tout apprécié la sortie du député et ex-ministre libéral Pierre Reid à propos des étudiants-pas-sérieux qui font la grève.

Voici ce qu’a dit l’ex-ministre:

«Moi je pense que les dirigeants étudiants ont échappé le ballon, honnêtement, et que les étudiants, la base étudiante, elle est à mon avis noyautée par des gens qui ne prennent pas leurs études très au sérieux. Je pense que c’est ça le fond du problème. Et c’est pas facile d’être un gouvernement quand on a en face de soi des intervenants qui ne sont pas crédibles.»

Le Pr Habib, dans une lettre qui circule sur les réseaux sociaux, réplique à l’ex-ministre, en lui disant notamment ceci:

Je fréquente des étudiants de cinéma mais aussi de Littérature, de Philosophie, de Sociologie, d’Anthropologie, nombre d’entre eux que j’ai eu le plaisir de côtoyer ces dernières semaines, dans le cadre du conflit étudiant.

Je ne sais pas ce que vous pensez, dans votre for intérieur, de ces disciplines que vous jugez peut-être trop improductives, mais je puis vous dire que ces étudiants qui, depuis le 20 février, sont dans les rues tous les jours, qui font preuve d’une inventivité, d’une patience, d’une créativité inouïe, sont parmi les plus brillants, allumés et impliqués dans leurs études que je connaisse.

La lettre vaut la peine d’être lue en entier:

Cher Monsieur Pierre Reid,

Je viens de prendre connaissance des propos que vous avez tenus aujourd’hui et je me suis senti le devoir, comme beaucoup de collègues et d’étudiants je crois, de vous apporter quelques renseignements sur le mouvement étudiant actuel. Je suis professeur adjoint à l’Université de Montréal, au Département de cinéma, depuis 2008.

Je fréquente des étudiants de cinéma mais aussi de Littérature, de Philosophie, de Sociologie, d’Anthropologie, nombre d’entre eux que j’ai eu le plaisir de côtoyer ces dernières semaines, dans le cadre du conflit étudiant. Je ne sais pas ce que vous pensez, dans votre for intérieur, de ces disciplines que vous jugez peut-être trop improductives, mais je puis vous dire que ces étudiants qui, depuis le 20 février, sont dans les rues tous les jours, qui font preuve d’une inventivité, d’une patience, d’une créativité inouïe, sont parmi les plus brillants, allumés et impliqués dans leurs études que je connaisse.

Qui plus est, cette grève – appelons un chat un chat M. Reid, vous êtes allé à l’école, vous comprenez le sens des mots – leur a donné une ouverture sur la réalité, une conscience politique fabuleuse, a fait d’eux de bien meilleurs citoyens et ils font, que vous le voyiez ou non, que vous le veuillez ou non, que le Québec sera un endroit où il fera mieux vivre et respirer.

Ce n’est pas par hasard que nous attirions l’attention, et l’admiration de plusieurs pays en ce moment, qui citent le mouvement étudiant québécois en exemple (davantage que le Plan Nord de M. Charest, je le crains). Ce sont ces étudiants de baccalauréat, de maîtrise, de doctorat, qui sont l’élite de notre société, qui forment les meilleurs éléments de mes classes, à qui je suis fier d’enseigner, qui sont dans la rue aujourd’hui et depuis 84 jours.

Le saviez-vous ? Pouvez-vous le comprendre ? Les plus militants parmi ceux-là sont aussi, je puis vous l’assurer, les plus assidus, ceux qui obtiennent les meilleurs résultats scolaires, qui s’impliquent le plus dans leurs études, contrairement à ce que votre propos laissait entendre.

Ces paroles disgracieuses que vous avez tenues aujourd’hui montrent bien à quel point la classe politique que vous représentez est décrochée de la réalité des étudiants. C’est cette attitude, qui témoigne d’une totale et complète incompréhension de la situation, qui se traduisent en de propos méprisants, qui, SEULS, expliquent la durée et la violence de ce conflit historique.

Quand des étudiants perdent leurs dents, perdent un œil, subissent des fractures crâniennes, soient arrêtés arbitrairement (c’est la cas d’un des étudiants de mon Département) et en toute illégalité – allez me dire que les 106 personnes dans les bus de Victoriaville étaient TOUS coupables, vous savez comme moi que c’était une opération pour mousser le nombre d’arrestations et « rassurer » la population -, et sans vouloir justifier la violence des uns en invoquant la violence des autres, vous comprendrez M. Reid que l’on s’attend a des propos plus dignes et responsables que ceux que vous avez tenus aujourd’hui.

Nous assistons, de la part de tous les leaders étudiants, en revanche, et à chacun des 84 jours de ce conflit, à un discours posé, responsable, éclairé, ouvert, à mille lieux des demi-vérités, des propos louvoyants, des rétractations lâches de votre parti.

Ces leaders méritent, à tout le moins, un minimum de respect, à tout le moins le type de respect que l’on s’attend et qui incombe aux gens qui ont le privilège d’occuper le statut qui est le vôtre.

Ce que vous avez dit aujourd’hui est indigne d’un ancien ministre de l’éducation et je crois que vous devez vous expliquer et vous excuser publiquement (n’allez pas dire que vous avez été mal cité, c’est un vieux disque déjà usé).

Pourquoi pensez-vous que ces étudiants sont dans la rue depuis 13 ou 14 semaines, que, jour après jour, ils débattent des heures en assemblée, s’informent, militent, marchent, réfléchissent, rêvent (est-ce encore permis) ?

Parce qu’ils considèrent qu’il est injuste de laisser les universités se faire noyauter par des individus qui ne visent que sa privatisation, qu’ils croient que l’éducation doit demeurer ouverte et accessible, qu’il y a des injustices sociales et des iniquités terribles qui doivent être dénoncées (acceptez-vous qu’une compagnie comme Transcontinental soit dispensée de payer des impôts, des impôts qui, à eux seuls, correspondent à peu près au réinvestissement que le gouvernement versera aux universités après la hausse, autour de 58 Millions ? Le saviez-vous?).

Ils sont en grève aussi, et c’est le plus beau M. Reid, parce qu’ils voient bien que votre arrogance, la vôtre et celle de tous les autres, que ce mépris n’aura qu’un temps (du moins peut-on l’espérer), que votre monde est vieux et triste et que eux sont jeunes et vivants, qu’ils ont la chance de croire que ça vaut le coup de lutter pour des convictions et même pour une cause qui ne les concerne que partiellement (je vous rappelle que beaucoup des étudiants ne seront plus aux études quand la hausse atteindra son plus haut seuil).

Est-ce que cela, à tout le moins, ne vous donne pas envie de vous arrêter, de réfléchir, et de vous demander si vous vous trompez? Le fait que la quasi-totalité des professeurs de CEGEPs et d’Université du Québec appuie le mouvement ne vous amène-t-il pas, également, à réfléchir ?

Ils étaient 350,000 étudiants en grève, au plus fort du conflit. C’est plus de la moitié des étudiants du Québec, M. Reid, qui sont, en réalité, contre cette hausse (si certains ont dû reprendre le chemin des classes, cela est en bonne partie due à la nature de certains programmes, mais le fait demeure: ils sont 350,000 à s’opposer à cette hausse). Cela ne vous fait-il pas réfléchir ?

Je ne puis qu’espérer qu’il vous arrive encore de relever cette tâche si difficile pour les politiciens, de sortir à l’occasion de vos certitudes, d’écouter ce que l’autre a à dire et de regarder, un peu, la réalité en face. Si elle vous a échappé jusqu’ici, peut-être que ce message – si vous vous êtes rendus jusque-là – aura le loisir de vous l’éclairer.

Cordialement,


André Habib
Professeur adjoint / Université de Montréal / Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques