Une idée neuve au Québec: la réussite

Une idée neuve au Québec: la réussite

Jean-François Lisée
(ceci est le premier chapitre du livre Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec, Boréal 2000)

 



Réussite, le mot semble démenti par les averses d’une saison morose, par un concert de ressentiments et l’expression d’innombrables appétits sociaux inassouvis. Mais que dire d’autre d’un peuple qui, en moins d’un demi-siècle, s’est extirpé d’un complexe d’infériorité copieusement nourri par l’histoire et l’église, d’une vision provinciale et passéiste qu’on disait garante de sa survie, d’un état de sujétion économique et linguistique tel que l’ambition et la réussite y étaient vues comme des idées suspectes, pour tout dire nuisibles ? Que dire d’autre d’un peuple qui s’était convaincu de penser petit ?

À tel point qu’il serait encore très québécois de baisser le ton et de ne parler que de « rattrapage » pour brosser le portrait du Québec actuel. Car si la réussite et l’ambition sont enfin à la mode, s’il nous arrive à une fréquence grandissante d’applaudir l’excellence et d’admettre l’audace, la méfiance est toujours de mise lorsque quelqu’un s’avise de déclarer que nous avons réussi. Réussite : une notion qui nous est étrangère.

La culture de la réussite

Jugeons pourtant l’arbre à ses fruits. Sur les deux marchés culturels les plus compétitifs au monde, les États-Unis et la France, des talents québécois s’imposent comme jamais auparavant. En 1998, il y eut un moment où les trois chansons au sommet du palmarès français étaient québécoises et où l’événement culturel de l’année, Notre-Dame de Paris, était une co-production franco-québécoise. Au tournant du siècle, selon Variety, la bible du showbiz, le spectacle désormais le plus rentable de l’histoire américaine de la scène est québécois : « O ». Son producteur, le Cirque du Soleil, domine à ce point son art que, de Disney à Vegas, les professionnels mondiaux du divertissement, habitués à n’accepter que du made in USA (à la rigueur du remade in USA), ouvrent leurs portes et leurs portefeuilles pour obtenir à demeure un spectacle et un chapiteau, voire un plan d’eau.

Que, bon an mal an, les prestations culturelles québécoises se comptent par centaines à New York et en Amérique, portant un message de modernité et d’originalité; que, depuis plus d’une décennie, l’échange culturel franco-québécois de la chanson se soit mué en un espace commun; que, de Londres à Tokyo, Robert Lepage soit un nom connu et reconnu, comme ceux des grands québécois de la danse ou de la symphonie montréalaise; que la métropole québécoise soit, chaque été, le rendez-vous nord-américain et franco-européen incontesté de l’humour et de son marché – rien de tout cela ne relève du rattrapage. Tout en cela crie victoire. Sur le nombre, sur le temps, sur la géographie, sur l’apathie, sur l’insécurité, sur le grand marché où rien ne se donne, où tout se conquiert.

On gagne d’abord chez soi, quand on produit pour soi-même un copieux menu télévisuel, de la comédie lourde aux séries policières savamment ficelées, résistant en permanence à une offre américaine à ce point envahissante qu’elle a déjà englouti nos voisins canadiens. On gagne quand on renouvelle en une vague le stock de nos cinéastes, et qu’ils occupent tout le registre, des Boys au Violon Rouge. On gagne quand on engueule son théâtre parce qu’il retire ses succès de l’affiche avant qu’on ait pu y goûter en assez grand nombre.

On gagne lorsqu’on a la capacité de déguster aussi, en permanence, dans son salon ou dans les grandes salles, ce qui se fait de mieux en production culturelle étrangère. Le Québec, et Montréal en particulier, constituent un extraordinaire buffet culturel, littéraire, journalistique, branché en permanence et en temps réel sur l’Amérique et l’Europe, de manière inégalée sur le continent.

On gagne aussi lorsqu’on peut transformer une métropole francophone en un centre de production majeur de films américains et attirer la faveur de la clientèle la plus blasée qui soit : les producteurs, réalisateurs et acteurs d’Hollywood.

Céline Dion ? Elle ne serait qu’épiphénomène et on en serait déjà ravis. Mais, bien plus, elle est devenue le symbole – et dorénavant, la référence – d’un talent que le peuple québécois déploie dans des domaines de plus en plus variés, avec des résultats croissants : savoir se nourrir de l’Amérique et de l’Europe, savoir en fondre les emprunts dans une créativité spécifique, savoir ensuite répercuter, au Québec, en Amérique et en Europe, le produit de ce singulier mélange.

Ce même talent et ce même brassage produisent, dans le monde intellectuel québécois, des compétences dont les noms n’apparaissent jamais dans les journaux à potins, mais qui sont des stars dans les revues internationales savantes, où l’on sait que Gilles Brassard, de l’Université de Montréal, est une des sommités mondiales en informatique; qu’André Joyal, de l’UQAM, est un des mathématiciens les plus en pointe; que Charles Taylor, de McGill, est un des philosophes les plus écoutés; que Jean-René Roy, de l’Université Laval, est un des astrophysiciens les plus estimés. On pourrait en nommer facilement une douzaine d’autres.

Mais la production culturelle et la production intellectuelle, comme chacun sait, ne sont pas réductibles au seul statut de marchandise et peuvent, de ce fait, revendiquer d’autres règles et être jugées selon d’autres critères.

La technologie décolle

En termes plus prosaïquement quantifiables, le Québec est la quinzième puissance économique au monde, ce qui est déjà appréciable. Au tournant du siècle, elle s’est hissée parmi les dix premières en ingénierie, en technologies de l’information, en multimédia, en biotechnologies, en matériel roulant, en hydroélectricité.

Y a-t-il industrie plus rigoureuse, production plus experte, main-d’oeuvre plus spécialisée, que celles de l’aéronautique ? Là, l’erreur est synonyme de catastrophe. Le Québec est la sixième puissance aéronautique au monde. Après Seattle, Montréal est désormais la seconde capitale de ce qui propulse et décolle, verticalement et horizontalement, ayant détrôné Toulouse pour le nombre d’emplois en aéronautique. À la victoire sur la science et la technique appliquée que représente cette production, à la victoire sur les marchés que représentent les succès de vente, s’est ajoutée en 1999 une victoire juridique majeure : l’Organisation mondiale du commerce nous a donné raison contre un concurrent brésilien qui nous raflait des parts de marchés à coups de subventions dix fois plus généreuses que les nôtres.

Le décalage entre le discours du peuple né pour un petit pain et la réalité d’un peuple premier producteur mondial d’hélicoptères civils est à couper le souffle. Il faudra longtemps pour que la réalité nouvelle nettoie les traces inscrites par deux siècles de culture de l’échec.

Rattrapage ? Réussite ? Les deux ?

Malmenée, un peu plus que ses voisines du nord-est américain, par les années soixante-dix et quatre-vingt, la métropole québécoise a fait les bons virages. Elle se présente aux portes du nouveau siècle au quinzième rang par la taille de sa population parmi les grandes villes nord-américaines, mais avec une économie qui la porte au neuvième rang sur le continent pour le nombre de compagnies de technologie de pointe, au septième pour le nombre d’emplois en technologies de l’information, au sixième pour les emplois en pharmaceutique et en biotechnologie, et au tout premier rang pour la proportion de sa population qui oeuvre dans l’économie du savoir.

Elle y arrive en ayant su conserver et consolider les sièges sociaux de géants des ressources naturelles, du transport ferroviaire et aérien – Alcan (APA) qui domine désormais le marché mondial de l’aluminium, Abitibi-Consol plus importante entreprise de papier journal au monde, Quebecor maintenant premier imprimeur mondial, le Canadien National désormais premier transporteur sur rail d’Amérique, Air Canada, grande gagnante des batailles canadiennes du ciel. Son avenir ? Selon le Conference board, la métropole québécoise connaîtra jusqu’en 2003 la plus forte croissance économique des grandes villes canadiennes, talonnant de peu Toronto.

Le double arrimage Amérique-Europe

La dernière décennie du siècle a donné aux entrepreneurs québécois l’occasion d’une double conquête : celle du marché américain, celle de l’investissement français. Depuis 1988, les exportations québécoises aux États-Unis ont bondi de 163%, de sorte que nos voisins du sud sont maintenant, et de loin, nos principaux partenaires commerciaux, devant le Canada où nos exportations avancent à pas de tortue (+16%). Avec le libre-échange dont les Québécois furent les plus ardents promoteurs, l’économie québécoise a réussi en dix ans sa « décanadianisation ». Nous sommes désormais presque deux fois plus présents, économiquement, à l’étranger qu’au Canada anglais.

Cela signifie que sur 185 pays avec lesquels le géant américain fait du commerce, le Québec se situe, selon les années, au sixième ou au septième rang. En tant que client, il génère un quart de million d’emplois américains. En tant qu’investisseur, il procure plus de 60 000 emplois directs. C’est un des secrets les mieux gardés en Amérique – et les mieux occultés par la diplomatie canadienne : le Québec est une force économique.

Ce grand bond des exportations fait en sorte que le Québec livre aujourd’hui hors de ses frontières près de 60% de tout ce qu’il produit, ce qui le place parmi les cinq économies industrielles les plus « mondialisées » qui soient.

Fort de cet atout, de coûts de production compétitifs et d’un environnement juridique plus amical et plus familier aux Européens que celui des États-Unis ou du Canada anglophone, le Québec se présente comme une interface idéale pour les entreprises européennes qui veulent pénétrer le marché américain, ce qu’ont compris la suédoise Ericsson, la norvégienne ABB et quelque 600 autres.

L’économiste Pierre-Paul Proulx parle du rôle du Québec et de sa métropole comme d’un « lieu de transitage » important entre les deux continents. L’épine dorsale du commerce international, sa force structurante, est le commerce intra-industries, c’est-à-dire l’échange de biens entre les filiales de chacune des compagnies et à l’intérieur d’une même industrie. Des études récentes, citées par Proulx, démontrent le caractère exceptionnel du Québec en Amérique sur ce plan. Le commerce intra-industries des entreprises d’Ontario et de six autres provinces canadiennes sont à ce point en sens unique vers les États-Unis que leur poids est plus important que celui de leurs rapports avec le reste du monde. Au Québec, on observe le contraire. Les rapports avec les États-Unis sont importants, mais dominés par le commerce intra-industriel avec le reste du monde. C’est grâce à « l’European connection » du Québec. Les proportions sont bien sur inversées lorsqu’on prend le commerce des biens au sens large, mais ces données donnent une indication importante sur la structure même du tissu industriel québécois et de ce qui le singularise face au reste de l’Amérique.

Plus courtisés, mieux informés, donc plus intéressés que les autres européens, les investisseurs français ont fait pendant les année 90 le choix du Québec à hauteur de 15 à 20 entreprises par année (environ 800 millions de dollars d’investissements réalisés et annoncés pendant les trois dernières années du siècle), et on en décompte désormais 250 en terre québécoise. C’est deux fois plus qu’en Nouvelle-Angleterre, incluant la région de Boston, et deux fois et demie plus que dans le reste du Canada, y compris l’Ontario. En fait, aucune région d’Amérique du Nord ne compte une aussi grande concentration d’entreprises françaises que le Québec. Elles emploient directement 40 000 Québécois, exportent pour la plupart leurs produits vers le sud et constituent ainsi le troisième investisseur étranger au Québec.

Cette réalité émergeait il y a quatre ans, mais restait pratiquement inconnue des décideurs comme du public. Soulignant sans s’en douter l’ampleur du chemin parcouru dans les consciences, le président de la République française, lors de son passage à Québec en 1999, expliquait comme s’il s’agissait d’une évidence que « l’entreprise française a choisi le Québec comme point d’entrée dans l’Aléna ».

Ce qui a permis au Québec de consolider, dans la dernière décennie, son arrimage économique avec la première puissance mondiale, les États-Unis et avec la deuxième puissance européenne, la France.

Dans le peloton de tête économique…

L’économie québécoise est globalement moins riche que l’ontarienne, elle-même moins riche que l’américaine, qui domine la pyramide. Ces écarts se répercutent sur toute la chaîne des données : taux de chômage, revenu disponible, PIB. C’est vrai aujourd’hui comme ce l’était avant le début de la révolution tranquille. Le retard historique de l’Ontario face à l’économie américaine ne disqualifie pas la qualité de ses efforts actuels. Le même raisonnement doit s’appliquer au Québec (1).

Lorsqu’on veut poser un regard sur la performance économique du Québec du tournant du siècle, juger et comparer les efforts et les résultats de l’élève, il faut donc mesurer sa vaillance sur la distance qu’il a effectivement parcouru. En 1999, pour une quatrième année consécutive, les investissements privés augmentaient au Québec nettement plus vite qu’au Canada anglais, s’approchant du rythme d’investissement américain. Cette progression doit se poursuivre en l’an 2000, contribuant à refermer l’écart entre les taux d’investissements du Québec et du Canada. Des données qui poussent le chômage à la baisse, à moins de 9% à la fin de 1999.

L’impact est particulièrement frappant lorsqu’on compare les données immédiatement postérieures au Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, ceux de novembre, et ceux de novembre 1999, date fixée par le Sommet pour l’atteinte de son principal objectifs d’emploi : rattraper et dépasser la croissance canadienne de l’emploi.

Sur la période, l’emploi a progressé de 9% au Québec, soit davantage que la moyenne canadienne de 8,4%. Le taux d’emploi, meilleur indice de l’amélioration de la situation, a progressé de 3,5 points de pourcentage au Québec plutôt que 2,5 au Canada. Quant au taux de chômage, il a reculé de 4,2 points au Québec, plutôt que 3,1 au Canada. C’est un rythme qui réduit l’écart historique de chômage avec la moyenne canadienne – sur la période, l’écart s’est réduit de plus de 40%, passant de 2,6 à 1,5 points de pourcentage. (Sur une période plus longue, notons que l’écart avec l’Ontario qui était généralement de 4% entre 1975 au début des années 1990, n’est plus que de 3% pour le reste de la décennie.)

En fait, certaines de ces données sous-estiment la performance de l’économie québécoise des dernières années. On le verra plus loin, le Québec a un réel problème démographique : sa population augmente beaucoup moins que celle de ses voisins canadiens. Or, dans une économie industrialisée en croissance, plus de population égale plus d’activité économique, donc plus d’emplois et de richesse. Ces années-ci, la population canadienne grossit de 0,9 % par an, l’ontarienne de 1,3%, la québécoise seulement de 0,4%. À la longue, ça paraît.

C’est un peu comme si, à chaque période d’une partie de basket-ball, l’Ontario ajoutait trois joueurs à son équipe et le Québec seulement deux. De toute évidence, l’équipe ontarienne marquera plus de points. Mais si on calcule en fonction de la démographie réelle, c’est-à-dire le nombre de points par personne, les joueurs québécois seront aussi performants que les joueurs ontariens. L’économiste Pierre Fortin, de l’UQAM, estime que selon ce critère, le Québec n’a rien à envier à ses voisins au chapitre de sa performance de création d’emplois. Parce que l’équipe québécoise est moins nombreuse, même si chaque joueur était aussi performant que les joueurs ontariens, le score d’ensemble devrait être inférieur en termes de nombre total d’emplois créés (le taux de création d’emploi). Si on l’ajuste en tenant compte du nombre réel de joueurs, le score québécois est encore plus nettement supérieur au score canadien.

Et c’est pourquoi le taux de chômage, qui tient compte du nombre réel de joueurs dans l’équipe puisqu’il recense les personnes à la recherche d’un emploi, chute effectivement depuis 1996 au Québec à un rythme plus rapide que celui de ses voisins et que le taux d’emploi, qui a la même caractéristique, augmente plus rapidement que le taux canadien.

Le calcul s’applique directement au taux de croissance économique québécois, régulièrement accusé d’être en retard sur la moyenne canadienne. L’économiste de Desjardins, Hélène Bégin, perce le mystère avec la même clé démographique. Le Québec, écrit-elle, « continue à perdre du terrain au sein du Canada sur le plan démographique. Il n’est donc pas étonnant que la progression du PIB réel du Québec ait été inférieure à celle de l’Ontario et du Canada au cours de la présente décennie. En effet, l’activité économique de la province s’est accrue en moyenne de 1,6 % chaque année depuis 1990, comparativement a 2,4 % pour l’Ontario et à 2,2 % pour l’ensemble du pays. Néanmoins, lorsqu’on considère l’évolution du PIB per capita, le Québec fait presque aussi bien que ses voisins. »

Si on veut avoir un réel tableau de performance, il faut appliquer ce correctif à d’autres statistiques économiques qui peignent le Québec en trompe-l’oeil: comme celle de l’augmentation du revenu personnel disponible. Là encore, ajusté pour la démographie, le revenu personnel des Québécois augmente aussi rapidement, sinon davantage, que celui des autres Canadiens.

Le tableau qui suit offre ce portrait, sur la décennie 1989-1999, pour chacun des éléments essentiels de l’économie (*).

 

 

C’est net, lorsqu’on intègre la variable démographique on constate que, contrairement à tout le discours ambiant, pendant la dernière décennie du siècle, le Québec performe mieux que l’Ontario ou le reste du Canada en termes de variation croissance, de revenu personnel disponible, de création d’emploi et du taux d’emploi. Lorsque les valeurs sont positives, elles sont plus positives au Québec, lorsqu’elles sont négatives, elles sont moins négatives au Québec. La performance québécoise est aussi bonne que celle du reste du Canada et meilleure que celle de l’Ontario en termes de variation du taux de chômage. Évidemment, les années 1990 ayant été, jusqu’en 1996, très mauvaises sur le plan de l’emploi, elles ont laissé une impression générale de mauvaise performance. Et puisque, à la ligne de départ, le Québec est plus pauvre que son voisin ontarien, donc qu’il part de plus loin, le fait qu’il avance plus vite (ou recule moins vite) n’est pas immédiatement apparent. Mais il faut savoir qu’au total, nos voisins ontariens, quoique plus riches, ont subi des reculs plus importants que les nôtres.

Cela dit, puisque le Canada est dans les année 90 l’élève modèle du G7 après les États-Unis en termes de performance, le Québec aurait des raisons de lui ravir cette médaille d’argent.

Reste qu’au tableau de bord de l’économie québécoise, certains feux sont au jaune. Le niveau réel d’investissement des entreprises, même s’il est en croissance, est encore inférieur à celui de nos concurrents du G7 : de 1980 à 1995, s’il est vrai que la différence avec l’Ontario est statistiquement non significative (l’investissement se situait à 10,2% par an au Québec plutôt que 10,6% pour l’Ontario), la moyenne du G7, à 12,6%, est plus impressionnante. Quant à la compétitivité de notre économie, elle nous met au quinzième rang parmi les 35 pays les plus industrialisés.

Le Québec se classe donc premier dans un nombre croissant de secteurs (dont celui des coûts de production et du fardeau fiscal des entreprises), se tient dans la moyenne des pays industrialisés pour un certain nombre d’autres, et dans d’autres encore, comme le niveau d’investissement, performe en deçà de la moyenne mais se soigne avec énergie. On n’arrive cependant pas à identifier un seul indicateur où le Québec est en queue de peloton des pays industrialisés (y compris en matière de fardeau fiscal des individus, où plusieurs pays européens sont plus gourmands que le Québec).

Bref, ce qu’on peut reprocher au Québec – et on ne s’en prive pas, ce qui n’est pas mauvais en soi – c’est qu’il ne soit pas premier, en tout, partout, tout de suite.

… malgré cinq boulets

Au total, le coureur québécois n’a jamais été aussi performant et aussi prometteur qu’aujourd’hui. Le plus remarquable dans ses résultats n’est pas que la distance ait été parcourue, mais qu’elle l’ait été dans des conditions aussi ardues. Car contrairement à ses voisins Ontarien ou du nord-est américain, le Québec a franchi les quarante dernières années en surmontant quatre handicaps considérables.

Le premier tient de la culture même des Québécois. À la ligne de départ, hormis le petit commerce, la majorité francophone québécoise était convaincue que sa place n’était pas dans l’entreprise. La réalité économique le lui confirmait chaque jour : les entreprises, canadiennes ou américaines, étaient anglophones, et plus de 60% des cadres, dans les années soixante, étaient membres de la minorité anglophone (***). Les meilleurs cerveaux francophones étaient naturellement dirigés vers les professions libérales.

Or la richesse a une force motrice essentielle : l’entrepreneurship. Qu’elle ne soit aucunement valorisée chez plus de 80% d’une population est une infaillible recette pour l’appauvrissement. L’histoire économique des quarante dernières années au Québec est celle d’un renversement de situation. Au tournant du nouveau siècle, l’entrepreneurship est en pleine forme au Québec. On devrait dire : en pleines formes, car il s’agit autant du type privé, classique, que du genre collectif, via les Fonds syndicaux d’investissement, l’économie sociale et le mouvement coopératif. Cependant l’entrepreneurship québécois n’est pas encore à maturité, notamment parce qu’il lui manque les assises financières constituées justement par les richesses accumulées sur plusieurs générations. Les bons résultats obtenus sont donc en deçà de ce que donnera, demain, une véritable vitesse de croisière.

Dans la seconde moitié du siècle, un ingrédient a pris une importance capitale dans le développement économique des nations : l’éducation. Ceux qui, à la ligne des années 60, avaient un niveau d’éducation plus important ont connu un enrichissement plus grand. L’économiste Thomas Lemieux a récemment démontré que les jeunes québécois qui avaient 25 ans en 1961 avaient un niveau de scolarité bien sûr nettement inférieur à celui des Ontariens et des Américains, mais également inférieur à celui des noirs américains de l’époque. Comme quoi Pierre Vallières avait raison de qualifier les Québécois de « Nègres blancs d’Amérique », du moins en matière d’éducation.

Être privé, à la ligne de départ, de deux de ses principales forces motrices pose problème. Voir s’envoler, pendant la course, une bonne partie de son carburant aggrave la difficulté. Au cours du dernier demi-siècle, toute la zone Est du continent a subi une hémorragie économique et démographique au profit de l’Ouest, en plein développement. Ce fut le cas aussi pour l’Est du Canada et le Québec, dont une partie de la population a voulu participer au boom économique en cours à Toronto, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Au Québec, la situation s’est doublée d’un transfert démographique provoqué par un phénomène politique majeur : la décision de la majorité francophone de sortir de sa sujétion et de prendre l’offensive politique, gouvernementale et linguistique. Inquiète de perdre les avantages que lui conférait jusqu’alors sa position dominante incontestée, une partie de la population anglophone a, avec sa richesse et un certain nombre de ses entreprises, pris la route de l’Ontario.

Entre 1960 et 1976, donc avant l’élection du Parti Québécois, 200 000 Québécois anglophones ont quitté le Québec. Entre 1976 et 1996, un autre contingent de 400 000 anglophones ont fait de même. Au total, 600 000 personnes, donc presque 10% de la population québécoise, parmi la mieux éduquée et, en moyenne, la mieux rémunérée et aux épargnes les mieux nourries, est allée faire profiter l’Ontario et l’Ouest canadien de ses avoirs et de son savoir faire (on ne sait combien, en sus, sont partis pour les États-Unis). Ces départs n’ont été compensés que partiellement par des arrivées, canadiennes et internationales, qui auraient eu lieu de toutes façons (****). Il ne s’agit pas de se demander, ici, si cet exode était évitable, mais de mesurer la saignée économique qu’il a représentée, le handicap supplémentaire sur le chemin de la prospérité.

L’économiste Pierre Fortin a démontré l’impact de ces départs , sur 30 ans, sur le revenu québécois moyen. En 1961, le salaire moyen des franco-québécois n’était équivalent qu’à 80% de celui des Ontariens, signe de leur nette infériorité économique. Trente ans de révolution tranquille et de développement économique volontariste plus tard, les franco-québécois avaient comblé le tiers de l’écart avec leurs voisins, pour toucher maintenant 86% de leurs salaires. Cependant, lorsqu’on regarde le revenu salarial moyen de la totalité des Québécois, toutes langues confondues, on constate qu’il n’a pas bougé d’un iota entre 1961 et 1991, restant fixé à 87% du salaire des Ontariens. On en trouve l’explication du côté des anglo-québécois. En 1961, ils avaient un revenu salarial moyen de 24% supérieur à celui de leurs voisins ontariens – un indicateur clair de la dominance économique du Montréal anglophone sur tout le pays et des bienfaits que cela apportait aux Anglo-montréalais et, par voie de conséquence, à l’économie de la métropole. Trente an plus tard, les Anglo-québécois ont perdu la totalité de cet avantage : résultat du déplacement vers l’Ontario de centaines de milliers de bons emplois et de bons salaires. Par un jeu de vases communicants, le déclin salarial des anglo-québécois fut suffisamment brutal pour oblitérer, dans le calcul global, les gains salariaux des franco-québécois pourtant quatre fois plus nombreux.

Deux autres obstacles, qui relèvent de la mauvaise gestion gouvernementale, ont freiné l’ardeur de l’économie québécoise depuis 1960.

Le sous-investissement fédéral au Québec en matière de dépenses productives est un reproche permanent que les souverainistes québécois (et les libéraux lorsqu’ils sont au pouvoir) font au gouvernement fédéral. Le grief n’en est pas moins valide parce qu’il est usé par la répétition. Le gouvernement fédéral est ces temps-ci très à cheval sur la répartition per capita de ses dépenses, d’un océan à l’autre. De ses dépenses sociales. Pas des autres. Le Québec comptant pour 24 % de la population, pourquoi les Québécois n‘ont-ils droit qu’à 20 % des dépenses fédérales courantes de biens et services, qu’à 19% de ses immobilisations et investissements, qu’à 18 % de ses subventions aux entreprises, qu’à16 % de ses laboratoires, qu’à 14 % de la recherche et développement, qu’à 13 % du personnel fédéral en science et en technologie ? Pour seule réponse, on nous rétorque qu’il est normal de concentrer dans la capitale fédérale les outils pancanadiens de recherche et qu’il ne faut pas s’en formaliser. Voire. Le gouvernement fédéral ayant décidé de créer la fiction qu’Ottawa-Hull est une « capitale nationale », il serait logique de répartir ces sommes équitablement des deux côtés de la frontière outaouaise. Alors, aucune accusation d’iniquité ne viendrait du Québec. Or il se trouve que les emplois, investissements et achats supplémentaires effectués à Ottawa, ville ontarienne, sont comptabilisés dans le produit intérieur brut de l’Ontario, dans le taux de chômage de l’Ontario, dans la consommation de l’Ontario et que les impôts sur le revenu et taxes sur la masse salariale sont versés au Trésor de l’Ontario.

Ce n’est pas une vaine querelle. Pris en instantané, le sous-investissement fédéral représente chaque année un manque à gagner de plus d’un pour cent du Produit intérieur brut du Québec et de 30 000 emplois directs. Dix fois l’usine de GM de Boisbriand lorsqu’elle tournait à plein régime. À deux milliards par an, cela équivaut à la totalité de la dépense annuelle des entreprises québécoises en recherche et développement. Pris en continuité, de 1994 à 2000, le manque à gagner pour l’économie québécoise s’élève à 10 milliards de dollars. De 1960 à 2000 ? Le calcul est à faire. Mais il signifie qu’une partie des impôts des Québécois destinés à l’investissement productif est non seulement confisqué à l’effort économique du Québec, mais détourné vers celui de son voisin et principal compétiteur. L’effet dans le temps, avec accumulation de patrimoine et de connaissances, transferts locaux de technologie au secteur privé ontarien et tout ce qui s’ensuit, tient de l’hémorragie.

On l’a abondamment vu plus haut, à l’aube de l’an 2000, le Québec tire remarquablement bien son épingle du jeu économique mondial. Qu’il y soit parvenu malgré le détournement continu d’une partie de ses impôts fédéraux productifs, malgré la disparition de près de 10% de sa population active, malgré son impréparation historique à l’entrepreneurship, malgré son retard abyssal en éducation, est en soi un tribut à l’énergie et à l’ingéniosité du peuple québécois.

Une cinquième plaie est venue affaiblir l’effort québécois dans le dernier sprint du siècle et conditionne aujourd’hui encore ses résultats. De manière croissante de 1960 à 1990, et comme tous les gouvernements occidentaux, le gouvernement québécois a pratiqué une politique de stimulation de l’économie en étirant toujours un peu plus la marge de crédit de leurs collectivités. L’explosion inflationniste des années 70, puis celle des taux d’intérêt pendant les années 80, a transformé les dettes publiques jusque là gérables, en autant de monstres menaçant la solvabilité même des gouvernements pris dans une folle spirale et, à court terme, leur capacité de rendre aux populations les services – éducation, santé, soutien aux pauvres – pour lesquels elles paient des impôts. .

Au début des années 90, presque tous les gouvernements nord-américains, conscients du péril, se mirent à l’oeuvre pour mettre un terme à l’endettement nouveau, ce qui signifiait l’atteinte de l’équilibre budgétaire, année après année.

Sur le continent, deux gouvernements, celui de l’Ontario et celui du Québec, décidèrent cependant de faire bande à part. Le néo-démocrate Bob Rae en Ontario, le libéral Robert Bourassa au Québec, loin de freiner l’endettement, engagèrent leurs États respectifs dans les pires déficits de leur histoire. Ces administrations furent des désastres pour les deux voisins, à une grosse différence près. C’est comme si le fils d’un millionnaire ontarien, à l’endettement raisonnable, flambait dans des affaires douteuses 500 000 dollars. La fortune paternelle est amoindrie, mais pas compromise. Que le fils d’un québécois de classe moyenne, endetté à l’os, flambe 500 000 dollars, et les finances familiales vacillent. Le gouvernement libéral, en neuf ans, a doublé la dette du Québec, l’a propulsé en tête de l’endettement canadien et du championnat des impôts élevés pour les particuliers.

Pendant que les deux voisins faisaient des frasques, le reste du continent assainissait ses finances. Le contexte est important car, une fois l’équilibre atteint, ces concurrents pouvaient passer à l’étape suivante : la reprise des investissements publics favorisant la croissance et la réduction du fardeau fiscal, facteur de compétitivité à l’heure de la mobilité croissante du capital et des cerveaux.

Une fois débarrassé du fiston dépensier, l’Ontario, conscient de son retard et fort de son capital accumulé, décida de prendre tout le monde de vitesse en passant directement à la réduction des impôts, quitte à la financer à même un nouvel endettement – car sa marge de crédit n’était pas épuisée — et en procédant simultanément à un exercice de réduction des dépenses au coût d’un important affrontement social et à une réduction des impôts financée.

Endetté et isolé, le Québec se retrouva en 1995 incapable de suivre le riche Ontarien sur cette voie et en retard d’une révolution financière sur le continent. En deux mots : mouton noir.

On a beaucoup dit et écrit que le gouvernement de M. Jacques Parizeau, élu en septembre 1994, avait dépensé sans compter pour arracher des votes lors du référendum d’octobre 1995. En réalité, c’est M. Parizeau qui a entamé la réduction des dépenses et des déficits québécois – la courbe annuelle des déficits de 1993 à aujourd’hui le démontre clairement. Surtout, chaque souverainiste se souvient avec effroi de l’annonce, à l’hiver 1994-1995, de la fermeture de 10 hôpitaux au Québec, premier avant-goût d’une ère où on vivrait à la mesure de nos moyens. On en trouve encore aujourd’hui qui imputent la courte défaite référendaire d’octobre 1995, non aux néo-Québécois et au mur de l’argent, mais à l’indispensable resserrement des dépenses qui, déjà, suscitait ici et là un vif mécontentement.

Une remarquable volonté collective

Quatre mois après ce référendum qui avait mis en opposition frontale le patronat d’une part, l’État, les forces syndicales et communautaires d’autre part, qui aurait pensé qu’un consensus pouvait émerger en faveur d’un redressement rapide de la situation financière, doublé d’un effort social ?

Utiliser les mots « élan » et « réussite » pour décrire le Québec du tournant du siècle, c’est rappeler le réflexe collectif, l’attitude constructive qui a permis, à la Conférence socio-économique de Québec en mars 1996, puis au Sommet sur l’économie et l’emploi en octobre 1996, de décider unanimement de l’élimination du déficit budgétaire québécois en quatre ans et du lancement de nombreuses réformes.

La réalisation, qui aura finalement pris trois ans, de ce calendrier rapide de retour à l’équilibre budgétaire québécois pour la première fois en 40 ans ne pouvait se faire sans heurts. La réduction des dépenses a eu des répercussions majeures, qui se font encore sentir dans plusieurs secteurs, notamment dans la Santé mais aussi dans les services de formation. Il faudra encore quelques années pour résorber totalement l’onde de choc.

Les objectifs ont cependant été atteints sans affrontement social majeur. Il n’est pas anodin de constater que dans l’Ontario de la manière forte, il y a eu entre 1995 et 1998 huit fois plus de jours perdus pour conflits de travail qu’au Québec, malgré un taux de syndicalisation largement inférieur. Comme quoi la concertation québécoise est socialement et économiquement rentable.

L’expression « modèle québécois » qui avait cours dans les années 70 fut d’ailleurs réintroduite dans le discours politique à la fin de la Conférence socio-économique de mars 1996 qui venait de décider, consensuellement, de l’élimination du déficit. Elle exprimait d’abord la capacité des représentants de la société civile du Québec de surmonter leurs intérêts corporatistes divergents pour s’entendre sur un objectif qui les dépassait tous. Elle illustrait une attitude qui s’observe à répétition dans le Québec d’aujourd’hui : le refus de la fatalité. Devant une fermeture d’usine, la perte d’un contrat ou d’un siège social, l’aggravation d’une situation locale ou nationale, les Québécois refusent de jeter la serviette et s’échinent à inventer une solution avec une ténacité qui force l’admiration. (Ce qui explique sans doute qu’ils soient encore, malgré tout, dans la fédération canadienne. On y reviendra.)

Cette persévérance québécoise est précieuse et jamais le Québec n’aurait pu mâter son déficit sans s’y appuyer, et l’alimenter. Le leadership du premier ministre Lucien Bouchard a agi comme catalyseur de la volonté québécoise à cet égard.

De vrais chiffres sur la pauvreté

Le message et la mobilisation des énergies entourant le redressement financier ont été d’une force telle qu’ils ont partiellement occulté tout un pan des transformations que la société québécoise a vécues pendant le dernier sprint du siècle : un effort important pour améliorer le sort des familles du bas de l’échelle. Cet effort est d’autant moins compris et intégré que les média font régulièrement état d’une augmentation du taux de pauvreté au Québec, une affirmation qui n’a qu’un lien ténu avec le réel.

Il faut en effet prendre avec un grain de sel de gros calibre les études pancanadiennes qui font état d’une catastrophique aggravation de la pauvreté à Montréal et qui décernent au Québec, avec une joie mal camouflée, le titre de « capitale de la pauvreté ». Il y a trois problèmes avec ces calculs. Premièrement, ils ne tiennent pas compte de l’impôt payé, et du fait que le Québec est l’endroit où les familles pauvres ont le fardeau fiscal le plus faible. Ensuite, ils ne tiennent pas compte du coût de la vie réel, et du fait que Montréal est la plus abordable des métropoles nord-américaines, le coût du logement y étant 32% moins élevé qu’en Ontario. À en croire les statistiques catastrophistes qu’on nous inflige régulièrement, les pauvres vivraient dans un pays virtuel, fait de moyennes nationales avant impôt, non dans un pays réel avec de vrais revenus et de vraies factures.

Des calculs intégrant la réalité renversent les tables canadiennes de pauvreté : à partir de données de 1996, on se rend compte que le Québec n’était pas dernier parmi les dix provinces canadiennes, mais médaille de bronze, loin devant l’Ontario (7e) et en meilleure posture que la moyenne canadienne.

Une évaluation doublement confirmée pour ce qui est de Montréal. En 1998, une étude du ministère des Finances, fondée sur des chiffres de la firme spécialisée Runzheimer Canada, démontrait que pour les ménages à faibles revenus (gagnant moins de 30 000 dollars par an), la combinaison du fardeau fiscal et du coût de la vie faisait de Montréal la métropole où il coûtait le moins cher de vivre, moins qu’à Toronto, Vancouver, Atlanta, Boston, Chicago, Détroit, Miami, New York, Philadelphie, Phoenix, San Francisco et Seattle. C’était vrai aussi pour les ménages gagnant moins de 50 000 dollars et qui ont des enfants.

Pas surprenant, dans ces conditions, qu’au niveau international, peu importe le mode de calcul, le taux de pauvreté québécois et canadien est nettement inférieur à celui qui a cours aux États-Unis. L’Organisation mondiale du travail de l’ONU a élaboré une mesure de pauvreté contestée, mais qui a le mérite de soumettre tout les pays au même test. Selon ce modèle, et selon les derniers chiffres de l’Indice de développement humain de l’ONU, de 1989 à 1995, on trouvera le Québec devant le Canada, au cinquième rang du plus faible taux de pauvreté des pays industrialisés, avec un taux moitié moindre qu’en Allemagne, en France ou au Royaume uni. Aux États-Unis, pays le plus riche au monde, le taux de pauvreté est plus du double de ce qu’il est au Québec.

Les comparaisons pancanadiennes évoquées plus haut ont été effectuées en 1998 par un comité interprovincial à la demande des ministres des affaires sociales. Elles n’ont jamais été publicisées. Pourquoi ? Trois raisons : d’abord parce que les groupes de défense de la pauvreté donnent une frousse terrible au personnel politique. Modifier le calcul pour intégrer la réalité du coût de la vie et de l’impôt conduit à réduire sensiblement le « taux de pauvreté » et prête flanc à une accusation aussi efficace que démagogique de vouloir « faire disparaître des pauvres ». Ensuite, le fait qu’un seuil de pauvreté réaliste apparaisse peut conduire à une sérieuse revendication d’aligner les barèmes d’aide sociale sur ce seuil. Finalement, comment ne pas comprendre la réticence de l’Ontario – qui passerait du 2e au 7e rang – ou de Terre-Neuve – qui passerait du 6e au 10e rang – à rendre public des données aussi dommageables pour eux.

Notons bien que ces données, que le Québec aurait grand avantage à faire connaître, datent de 1996. Elles précèdent donc l’effet combiné des mesures de lutte contre la pauvreté mises en oeuvre progressivement depuis, sans compter les effets de la croissance économique qui se prolonge (2).

Certains facteurs d’appauvrissement font leur oeuvre pour certaines couches de population: l’atterrissage des taux d’intérêt rend précaire la situation de personnes âgées qui ont des revenus de placements conservateurs. La non-indexation, jusqu’en 1999, des prestations des assistés sociaux aptes au travail et l’introduction de mesures qui tendent à rendre l’accession au travail plus payante ont, par voie de conséquence, réduit le revenu offert par l’aide sociale. La mesure d’appauvrissement sans doute la plus draconienne découle cependant de la réforme fédérale de l’assurance emploi. Auparavant, 60% de ceux qui contribuaient au régime avaient droit à des prestations lors de la perte de leur emploi. Aujourd’hui : seulement 40%. Privés de tout revenu, ces travailleurs n’ont d’autre choix que de faire le vide dans leurs économies, car l’aide sociale est un service de dernier recours, qui exclut les citoyens détenant un quelconque patrimoine. Le Québec comptant plus de chômeurs que la moyenne canadienne, a été plus touché que d’autres par cette confiscation des cotisations des travailleurs et des employeurs, confiscation qui a servi à l’élimination du déficit fédéral.

Néanmoins, depuis 1996, les indices d’amélioration de la situation s’accumulent. Il y a au Québec 190 000 assistés sociaux de moins; le chômage a chuté du quart ou du tiers selon la base de calcul choisie, le salaire minimum a augmenté de 15%; l’inflation est restée au plancher, 200 000 ménages ont été exemptés de tout impôt (québécois); la première baisse d’impôt de 500 millions de dollars a profité aux revenus les plus faibles; il y a eu des investissements importants dans le logement social; le financement des organisations communautaires a atteint un niveau record de 300 millions de dollars par an; les enfants ne paient plus rien pour leurs médicaments; un million de Québécois moins fortunés sont maintenant couverts par le régime.

Rien de tout ceci ne signifie que la pauvreté soit tolérable ou que les groupes de défense de la pauvreté aient tort de réclamer plus et mieux ou qu’ils doivent relâcher leur vigilance face à toute dégradation de la situation. Cela signifie cependant que, confronté à ce problème permanent et généralisé, la société québécoise réussit mieux que la plupart des sociétés occidentales à en amenuiser l’impact et à répartir sa richesse. C’est l’effet concret de la compassion et de la solidarité. Ce n’est pas assez. C’est déjà énorme.

Un coin d’Amérique fou de ses enfants

Il faudra comptabiliser surtout l’impact majeur de la politique familiale québécoise. Derrière les très visibles garderies à cinq dollars se profile une politique familiale dont un des piliers novateurs a été la satisfaction des besoins essentiels des enfants pauvres du Québec. La réforme de l’allocation familiale, sa disparition graduelle à mesure que le revenu augmente, a permis un important transfert de richesse, des familles moyennes et aisées (où on trouve les perdants de la réforme) vers les familles pauvres – les grands gagnants. Depuis 1997 et pour la première fois, l’État s’est assuré que tous les parents du Québec, travailleurs ou chômeurs, disposent du minimum financier nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels de leurs enfants. S’engageant sur la voie tracée par le Québec, le Canada a ensuite pris le relais d’une partie du financement.

L’effort multiforme entrepris par le Québec en faveur des familles en fait aujourd’hui le coin d’Amérique le plus soucieux de l’enfance. Soucieux du revenu familial, par l’allocation familiale bétonnée pour les bas revenus dont nous avons parlé, mais aussi par la perception automatique des pensions alimentaires, qui a assuré 100 000 familles monoparentales d’un revenu auparavant incertain.

Un coin d’Amérique soucieux aussi de donner aux bambins un bon départ dans la vie, avec la mise en place graduelle du système de garde le plus complet en Amérique – victime de son succès pendant sa phase d’implantation –, une maternelle cinq ans presque universellement utilisée, des gardes scolaires abordables, bref un dispositif favorable aux jeunes couples qui travaillent. Le temps des compressions budgétaires étant terminé dans le réseau de l’éducation, l’aide aux enfants en difficulté figure parmi les priorités immédiates.

Toutes ces mesures ont non seulement pour but de contribuer à permettre aux couples d’avoir les enfants qu’ils désirent (en moyenne, ils en veulent trois mais en ont à peine plus d’un), mais aussi de réduire, par un encadrement précoce, l’apparition ultérieure de problèmes d’apprentissage et de décrochage.

Au moment d’écrire ces lignes, l’effort québécois pour l’enfance est encore en voie d’implantation et de rodage et connaît les ratés inhérents à l’introduction d’une aussi vaste réforme. Son succès éventuel devrait cependant en faire un des legs sociaux les plus importants de la fin du siècle.

Au Sommet de Montréal d’octobre 1996, des groupes communautaires réclamaient une « clause d’appauvrissement zéro » qui protégerait le revenu des 20% de la population du bas de l’échelle, une mesure que ses proposeurs étaient incapables de chiffrer, et dont ils ne pouvaient pas expliquer le mécanisme. Du débat a jailli la proposition voulant que, pour les quelque 120 000 Québécoises et Québécois qui ne peuvent, pour des raisons physiques ou psychologiques, accéder au marché du travail, l’État garantisse un revenu protégé de l’inflation et de réformes quelconques, donc un « appauvrissement zéro » pour les bénéficiaires permanents de la solidarité québécoise.

On cherche encore, en occident, l’équivalent de cette mesure.

Il faudra attendre quelques années pour évaluer, a posteriori, les calculs sur l’impact de la totalité de ces mesures sur la pauvreté québécoise pour la seconde moitié de la décennie, période d’implantation des réformes du gouvernement Bouchard. Cependant, en 1998, le ministère des Finances du Québec a calculé a priori l’impact que doit avoir, en ce moment, pour les 20% des familles de travailleurs dont le revenu est le plus faible, l’effet combiné des réformes sociales et fiscales entreprises par le Québec depuis 1994. Le revenu disponible de ces familles est en augmentation de deux à neuf pour cent s’ils n’ont pas d’enfant en garderie à cinq dollars, de six à dix pour cent s’ils en ont un. Au bas de l’échelle où chaque sou compte, la différence est sensible.

Et s’il faut croire l’ONU qui affirme que le Canada est, sur toute la planète, le meilleur endroit où vivre, le Québec peut s’enorgueillir de remonter la moyenne canadienne, non de la déprimer.

Le travail du gouvernement Bouchard en faveur des familles de travailleurs à faibles revenus vise un segment de la population largement sous-représenté sur les tribunes et dans les gazettes : les travailleurs du secteur privé non syndiqués. Ils n’ont pas de lobby, ils ne font pas grève, ils n’écrivent pas de lettre aux journaux et ils ne sont pas conviés aux tables de concertation. C’est pourquoi les élus ont eu raison de leur prêter une attention particulière.

Il n’est pas banal qu’autant de mesures de progrès social aient pu être adoptées alors même que le Québec trimait dur pour redresser sa situation financière.

Éducation : le succès derrière la grogne

Nous avons parlé de l’enfance, oserions-nous utiliser le mot réussite pour décrire la situation en éducation ?

L’exercice est périlleux, car l’éducation est en permanence entourée d’un concert de critiques donnant l’impression d’un système à ce point délabré qu’il est sur le point de s’effondrer. Le constat est d’ailleurs le même quel que soit l’année ou la décennie où on en le dresse. Ici, les points de comparaisons sont donc essentiels.

Se comparer à quoi ? À soi-même ? On a parlé plus haut du retard majeur accumulé par les Québécois de 25 ans au tournant des années 1960 sur les Ontariens, les Américains, et même sur les noirs américains victimes alors d’une abjecte discrimination, en éducation comme ailleurs. L’économiste Lemieux a refait le calcul pour mesurer, en 1991, le chemin parcouru. Il a découvert que les Québécois qui ont eu 25 ans en 1991 ont en moyenne dans leurs bagages, non seulement autant de scolarité (14 ans) que les Ontariens (13,9), mais davantage que les Américains blancs (12,9) ou noirs (12,7). Ce rattrapage est rien moins que spectaculaire (comme d’ailleurs celui des noirs américains).

Il est intéressant aussi de se pencher sur l’évolution d’une des tares du système québécois des trente dernières années : le décrochage scolaire. Or le progrès est considérable, même si cette réalité n’a pas encore filtré jusque sur les tribunes téléphoniques. En 1975, 43% des jeunes québécois « décrochaient » avant l’obtention d’un diplôme. En 1997, il n’y en avait plus que 17%. Le décrochage a donc chuté de 60% en une génération, avant même les réformes en cours axées sur la réussite. La comparaison doit cependant se faire aujourd’hui, en éducation peut-être plus qu’ailleurs, avec les meilleurs au monde. Or, parmi les pays industrialisés, selon les derniers chiffres disponibles, ceux de 1995 émis en 1998, le Québec réussit mieux que la moyenne à diplômer un plus grand nombre de ses citoyens. Au niveau secondaire, notre niveau de diplomation, de plus de 82 % pendant la décennie, est supérieur à la moyenne des pays industrialisés (80%), et supérieur aux niveaux américain (76%) ou canadien (72%).

La quantité, c’est bien. Mais la qualité ? Si elle chute, comme on le croit généralement chez nous, alors il faut constater qu’elle chute partout et davantage qu’ici. Les résultats obtenus par les jeunes québécois lors de compétitions internationales et pancanadiennes en font foi. Les dernières disponibles, basés sur des résultats de 1994-1995, démontrent que les élèves québécois des troisième et quatrième années du primaire, ainsi que les élèves des deux premières années du secondaire ont obtenu des résultats supérieurs à la moyenne internationale dans les quatre groupes, tant en mathématique qu’en sciences. Leur avance varie de 9 à 12 points en mathématique et de 3 à 5 points en sciences (3).

Autrement dit, comparés à un million d’élèves de 45 pays, les jeunes québécois sont les meilleurs en maths de tous les pays occidentaux, n’étant devancés que par les élèves de quatre pays asiatiques. En sciences, les jeunes flamands sont les seuls occidentaux qui se classent mieux que les québécois. De quoi remonter le moral au plus démoralisé de nos enseignants.

Ces résultats ont été obtenus avant la réforme du curriculum, en cours, qui recentre l’apprentissage sur les matières de base, dont les maths et les sciences. Avant aussi que le corps enseignant ne reçoive en 1997 une injection de sang neuf avec l’embauche de 9000 jeunes enseignants et enseignantes, occupant avec enthousiasme les sièges laissés vacants grâce au succès inespéré du programme de départs en retraite qui constituait un des volets de l’effort d’élimination du déficit.

Qu’en est-il de la qualité du français ? Les résultats obtenus ces dernières années sont trop contestés et contestables pour qu’on puisse s’y appuyer fermement. Cependant admettons qu’après une phase d’aveuglement, le système québécois d’éducation s’est ressaisi sur cette question pendant la décennie et multiplie les moyens d’améliorer l’enseignement et les exigences. Le train n’est certes pas arrivé à destination, mais il a quitté la gare.

Au niveau universitaire, à entendre les commentaires ambiants, on serait justifié de croire que le Québec, là, n’est pas dans la course. Il est donc renversant d’apprendre que notre taux d’obtention des diplômes universitaires est de 31%, c’est-à-dire au troisième rang mondial, derrière l’Australie (34%), les États-Unis (32%) et ex æquo avec le Canada et le Royaume Uni. La moyenne des pays industrialisés n’est que de 20%. Un portrait similaire est brossé pour l’obtention de maîtrises et de doctorats, à cette exception près que le Canada perd, à ce niveau, beaucoup de terrain sur le Québec.

Encore une fois, la quantité c’est bien beau, mais qu’en est-il de la qualité ? Deux signaux externes viennent en confirmer la valeur.

D’abord, de grandes enquêtes réalisées en 1997 auprès d’investisseurs étrangers au Québec ont démontré que la qualité des diplômés et de la main-d’oeuvre en général était, avec l’accès au marché nord-américain, la raison principale de leur présence ici. La concentration, au Québec, d’un grand nombre de secteurs économiques de pointe très gourmands en diplômés est, en soi, un indicateur.

Ensuite, preuve plus anecdotique, la propension de compagnies américaines à recruter certains de nos meilleurs jeunes cerveaux, par delà la frontière linguistique, en sciences économiques, en médecine spécialisée ou en informatique constitue aussi un vote de confiance en notre capacité de produire des têtes bien faites. C’est le bon côté d’une mauvaise nouvelle.

Notons au passage qu’il y a un problème social grave lorsqu’un peuple décide de former ses diplômés au coût le plus bas en Amérique du Nord et que ceux-ci, ensuite, vont décrocher aux États-Unis certains des salaires les plus élevés en Amérique, privant ainsi leur collectivité d’origine de leur contribution à l’effort collectif de formation de la génération suivante. Il faut inventer un pacte entre le Québec et les diplômés universitaires permettant la mobilité mais compensant la collectivité pour leur formation.

Reste que les décisions prise par des gouvernements successifs de maintenir les taux de scolarités étudiants à des niveaux très bas, puis de les geler, a fait en sorte que le Québec est l’endroit d’Amérique du nord où l’éducation post-secondaire est la plus accessible. Les frais de scolarité sont moitié moindres qu’ailleurs au Canada, et les étudiants québécois moitié moins endettés. De toute évidence, cette politique réduit les revenus des universités, qui doivent s’en trouver compensées autrement. Mais dans une société qui n’avait pas, jusqu’à récemment, de tradition d’encouragement à l’instruction supérieure, dans un siècle où le savoir prend de la valeur et où la tendance à l’inégalité tend à croître, on voit mal comment une hausse des frais de scolarité serait une mesure socialement ou économiquement progressiste. Là comme ailleurs, bien gérée, la différence québécoise est un atout.

Les universités québécoises ont assumé ces dernières années leur part des compressions budgétaires et un nouveau plan d’investissement est indispensable pour les remettre à niveau. On verra plus loin que l’économie québécoise dégage, dès cette année, des revenus bien suffisants pour procéder à ce réinvestissement. La question est de savoir qui tient les cordons de la bourse.

Il faut cependant constater que, même en ces années de restrictions budgétaires, le Québec a consacré à l’éducation une plus grande part de sa richesse collective que le Canada, nettement plus que la moyenne des pays industrialisés, et à peine moins que les États-Unis. Évidemment, on ne dépense jamais que la richesse que l’on a. Nos voisins américains étant énormément plus riches que nous, ils peuvent faire plus avec une proportion équivalente de leur magot, ce qui est vrai aussi pour l’Ontario. Ce qui signifie que le Québec est condamné à continuer à investir plus que les autres en éducation.

Il faut constater aussi que, du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 90, les dépenses allouées à la recherche universitaire ont augmenté au Québec de près de 70 %. L’effort de recherche universitaire québécois a ainsi atteint 0,50 % du PIB en 1995, ce qui le situe bien au-dessus de la moyenne des pays industrialisés (0,37%), devant le Canada (0,36 %) et l’Ontario (0,33 %). Les compressions budgétaires rendues nécessaires par le redressement financier du Québec ont donc été d’autant plus mal accueillies qu’elles faisaient suite à une extraordinaire accélération.

On retrouve ici les traces d’un phénomène québécois observé plus tôt en culture, en investissements, en commerce intra-industriel : dans ce secteur crucial de la recherche scientifique, le Québec se distingue à la fois par son ouverture sur le monde et par sa propension à effectuer un double branchement : sur l’Amérique et sur l’Europe.

On mesure ce phénomène par la proportion de recherche faite conjointement par des chercheurs de plus d’un pays. En moyenne, dans le monde, 14% des recherches sont ainsi faites. Au Québec : le double. Quant aux branchements géographiques, ils sont équilibrés : 35% des recherches internationales portent une cosignature Québec-USA, 40% Québec-Europe.

Dernière étape de ce tour d’horizon éducatif : la formation de la main-d’oeuvre. L’année 1999 s’est déroulée sur fond de déboires à Emploi-Québec, le nouveau guichet unique québécois de formation et de réinsertion en emploi. À quelque chose, malheur est bon. Il y a quelques années à peine, l’État, les entreprises, les syndicats et les formateurs dénonçaient avec raison l’effondrement de l’enseignement des métiers au Québec, son abandon par le système scolaire, le faible effort consenti pour produire et entretenir une main-d’oeuvre qualifiée. Un vigoureux coup de barre a été donné depuis 1994, à tous les niveaux. Encore fallait-il revaloriser publiquement la formation professionnelle aurpès des familles.

Emploi-Québec, en crevant de 80 millions de dollars, en 1998, son offre de services de formation, puis en voulant la réduire d’autant en 1999, a suscité bien inopinément la plus grande campagne de valorisation de la formation jamais vue au Québec. Tout le monde en veut, tout le monde en vante les mérites, tout le monde se bouscule au portillon du budget restant (seulement 740 millions de dollars !). Cette crise a servi à la fois de révélateur quant à la densité du réseau de formation existant au Québec et, en ayant créé une rareté, a suscité un curieux corollaire : l’augmentation de la demande.

Lorsque les problèmes de gestion d’Emploi-Québec seront résorbés, ce qui est une question de temps, telle sera la leçon tirée de la crise: la formation est un service essentiel. Cette tardive prise de conscience collective survient alors que la situation sur le terrain s’est déjà améliorée: de 1991 à 1998, le taux d’obtention d’un diplôme de formation professionnel, dans le seul secteur scolaire, a presque doublé, passant de 13 à 23%. Dans le privé, grâce à la loi 150 adoptée en 1996, le nombre d’entreprises qui offrent une formation a été multiplié par six.

Au tournant du siècle, le Québec a donc pris, et en moins de cinq ans, le virage de la formation. Pas mal.

Et comment va la santé ?

Rien ne peut occulter la crise que traverse, ces années-ci, le système de santé québécois. Engorgement des urgences, listes d’attente, pénurie d’effectifs, les problèmes ponctuels de gestion du système public, gratuit et universel de santé se doublent d’un vieillissement continu de la population qui accélère la demande de soins et de nouvelles techniques plus efficaces mais souvent plus coûteuses. L’indispensable réorientation du système hospitalier vers des séjours plus courts et vers une augmentation des soins à domicile a débuté en retard au Québec pour cause d’absence de volonté politique avant 1994. Elle a été victime, ensuite, de l’effort de redressement budgétaire de la fin de la décennie, la santé étant de loin la plus importante dépense publique du Québec.

La crise multiforme que vit en ce moment le système québécois n’a cependant pas le mérite de l’originalité. En Ontario, comme dans chacune des provinces canadiennes, les crises et les manchettes sont interchangeables, les débats sur la place du secteur privé identiques, les grèves d’infirmières et de personnel médical endémiques, le défaitisme systémique. Le relevé publié à l’automne 1999 par l’Institut Fraser sur les temps d’attente en fait foi : la situation s’aggrave partout. Cela dit, le Québec a les temps d’attente les plus bas au Canada pour une hospitalisation, ex æquo avec l’Ontario, et des temps d’attente plus courts que la moyenne dans 11 spécialités sur 13, plus courts que l’Ontario dans 7 sur 13. Et il n’y a pas qu’au Québec que des patients sont envoyés au sud de la frontière pour obtenir des traitements temporairement indisponibles au Canada.

Ce qui donne l’impression que, chez nos voisins américains, qui consacrent dans leurs soins de santé une portion plus importante de leur bien plus grande richesse, (au total mille milliards de dollars US par an), c’est le nirvana.

On pourrait appeler « syndrome Elvis Gratton » ce complexe du « c’est-tellement-mieux-aux-États ». Il se dissipera probablement cette année, car la question de la crise des soins de santé américains sera au centre de la campagne présidentielle qui s’ouvre.

Les candidats, surtout les démocrates, comptent répéter sur tous les tons ce chiffre à faire frémir : 46 millions d’Américains, donc un sur six, n’ont aucune couverture médicale. Lorsqu’ils se présentent à l’urgence en état de choc, les hôpitaux, privés et publics, sont tenus de les accepter et de les traiter (les privés se contentent parfois de stabliser l’état du patient puis de l’envoyer, parfois en autobus, vers un hôpital public). Mais s’il s’agit d’une grippe ou d’un malaise lancinant au poumon, un Américain sur six est prié de rester chez lui ou de se présenter avec un moyen de paiement.

Ce n’est pas tout. À l’été 1999, un intéressant débat a monopolisé la capitale américaine autour d’une expression clé : les « droits des patients ». Pas de ceux qui sont exclus de la couverture médicale. De ceux qui y sont inclus.

La majorité des Américains ont accès au système de santé via des régimes privés d’assurances collectifs dits HMO, Health Management Organisations. En une décennie, ces organisations ont presque doublé en importance et aujourd’hui, 60% des Américains y sont assujettis, parce qu’un nombre croissant d’employeurs délaissent leurs régimes propres et s’affilient à ces régimes pour… réduire leurs coûts. Avec grand succès. En conséquence, des dizaines de millions d’Américains assurés jugent que l’accessibilité aux soins à été réduite pendant les années 1990.

En juillet, le Sénat américain a rejeté un projet de loi qui aurait réglementé les HMO pour faire en sorte :

 

  • Qu’il appartienne au médecin de décider si l’état du patient nécessite de prolonger son hospitalisation. C’est le cas au Québec, où le médecin peut passer outre, de sa propre autorité, aux normes des Régies régionales de la santé ou du ministère. Aux États-Unis, c’est l’administrateur de la police d’assurance qui prend cette décision. 
  • Que l’assuré inquiet qui s’est présenté à l’urgence d’un hôpital puisse se faire rembourser les frais lorsque les symptômes étaient préoccupants. C’est le cas au Québec, bien sûr, où c’est gratuit. Aux États-Unis, si l’assurance juge que le patient a eu tort d’aller à l’urgence, il n’y a pas de remboursement. 
  • Que l’assuré ait le droit de voir un spécialiste lorsque son état le justifie. Au Québec, il suffit que le médecin le décide. Aux États-Unis, les régimes collectifs tendent à ériger un mur au point d’entrée de leur service : le généraliste, moins dispendieux. Cette pratique soulève un tollé particulièrement chez les femmes, qui se voient refuser un accès direct à un gynécologue. La grogne est telle que 19 des 50 États ont légiféré sur cette question. 
  • Que dans les cas, forts nombreux, où l’assurance refuse de prodiguer des soins demandés par le patient mais jugés superflus par la police d’assurance, le patient puisse en appeler de la décision. Au Québec, le patient peut toujours aller voir un autre médecin, sans frais. Aux États-Unis, l’assuré n’a aucun recours. 
  • Que le patient puisse poursuivre son assurance dans les cas où le refus de prodiguer des soins a causé un dommage réel. Au Québec, le patient peut toujours poursuivre le système de santé. Aux États-Unis, l’assuré n’a, là encore, aucun recours. 

Finalement, que les assurances soient tenues de produire une « explication compréhensible » de ce qui est couvert et de ce qui ne l’est pas.

L’ampleur des problèmes identifiés justifie qu’on répète : ce qui précède a été rejeté par le Sénat, malgré les admonestations du président et de l’équivalent américain de notre Collège des médecins, l’American Medical Association. Évidemment, il faut noter l’autre grande différence : aux États-Unis, si on a des sous, si on est prêt à payer au-delà de son assurance, alors on peut obtenir tous les soins qu’on veut. Une possibilité qui n’est pour l’instant ouverte aux Québécois que pour les soins paramédicaux (ou alors pour tous les soins à ceux qui sont prêts à traverser la frontière).

Reste que l’accessibilité des soins de santé est, aujourd’hui aux États-Unis, un des trois principaux sujets d’inquiétude de l’électeur moyen – loin devant les baisses d’impôts, thème que les Républicains tentent pourtant d’imposer – et un des axes principaux de la campagne électorale qui s’ouvre.

La question subsidiaire du coût des médicaments, surtout pour les aînés, prend également de l’ampleur. Il n’y a évidemment nulle part en Amérique du Nord, sauf au Québec, de régime universel d’assurance-médicaments. Le problème américain n’est cependant pas l’insuffisance de la couverture actuelle, mais sa détérioration.

En effet, toujours dans un objectif de réduction des coûts, des HMO ont avisé depuis quelques années des millions d’assurés qu’une liste croissante de médicaments ne leurs seraient désormais plus remboursés. Il s’agit d’une désassurance unilatérale. En octobre 1999, l’émission 60 minutes de CBS suivait à la trace un autobus d’aînés désassurés qui traversaient la frontière québécoise pour venir acheter, au Québec, leurs provisions de médicaments à un tiers du coût américain. En pleurs à la caméra, certains d’entre eux expliquaient que le coût mensuel de leurs médicaments dépassait, aux États-Unis, leur revenu mensuel. Si ces aînés étaient Québécois, cette situation ne pourrait absolument pas se produire, grâce à la couverture offerte par le régime d’assurance-médicament du Québec.

Tout ceci ne signifie pas que les Américains soient en général mécontents de la qualité des soins qu’ils reçoivent. Au contraire, dans les sondages, la grande majorité (plus de 80%) se disent satisfaits… comme au Québec. Cependant, on peut trouver dans la presse américaine les mêmes récriminations qu’au Québec. Des organisations de défense des patients envoient aux législateurs des bulletins de « victimes du jour », publient sur Internet les « histoires d’horreur du mois » et tiennent bien pourvu un « temple de la honte » des régimes d’assurance. Ils ne sont jamais à court de matériel. Une de ces victimes fut accueillie à la Maison Blanche par le président et montrée en exemple de « la mentalité de comptable » qui, selon lui, sévit dans le système américain.

La différence avec le Québec est nette. Ici, on se plaint des délais d’accès aux soins. Aux États-Unis, ils se font dire, sans délai, que tel ou tel soin ne sera tout simplement pas offert, car pas couvert. Au Québec, on se plaint des délais pour voir un spécialiste. Aux États-Unis, ils se font dire, sans délai, qu’ils ne pourront pas voir de spécialiste, car leur assurance s’y refuse. Anecdotes ? Pas selon les médecins américains, suffisamment habitués à se faire refuser des autorisations de procéder à des soins lourds qu’ils sont 58%, selon une étude publiée en novembre 1999 par Archives of Internal Medecine, à se dire prêts à transmettre aux assureurs de la « documentation volontairement mensongère » au sujet de leurs patients, pour obtenir ces autorisations en cas de problèmes graves. Anecdotes ? Pas selon les patients américains qui, dans un sondage du Washington Post, étaient pas moins de 43% à juger que les régimes d’assurance les traitaient inéquitablement. Seulement 41% sont d’avis contraire. Surtout, 28% des répondants, soit plus d’un sur quatre, affirmaient s’être fait refuser, par leur régime d’assurance, des traitements auxquels ils jugeaient avoir droit. Le malaise est donc profond.

Imaginons un instant quelle serait la une du Journal de Montréal si un Québécois sur quatre se faisait refuser des soins.

Ou plutôt non, ne tentons pas de l’imaginer. Essayons plutôt de deviner qui a pu écrire, en 1998, sous le titre « les meilleurs soins, les pires soins », les phrases suivantes : « Chaque jour, des millions d’Américains ont accès au meilleurs soins de santé au monde. » Cependant, « beaucoup d’Américains sont de plus en plus inquiets de la qualité des soins qu’ils reçoivent et de la capacité de l’industrie des soins de santé d’offrir des soins de grande qualité de manière constante. En fait, des recherches exhaustives démontrent qu’aujourd’hui, aux États-Unis, il n’y a pas de garantie qu’un individu puisse recevoir des soins de santé de grande qualité pour quelque problème médical que ce soit. L’industrie des soins de santé est rongée (plagued) par des problèmes de sur-utilisation de certains services, de sous-utilisation d’autres services et par des erreurs dans la livraison des soins. » Les auteurs ? Les 32 experts du Comité consultatif du président des États-Unis pour la protection des consommateurs et la qualité dans l’industrie de la santé.

Sans nier les travers de notre propre système de santé, on peut tirer une consolation relative à savoir autrui – surtout lorsque l’autrui est la première puissance au monde – aussi ou plus mal pris que soi en matière de soins de santé.

Mais plus fondamentalement, au-delà des questions de livraison des services et de démérite comparé des régimes nord-américains ou mondiaux, la vraie question n’est-elle pas de savoir comment va la santé ? La santé des citoyens, s’entend, pas celles des structures médicales.

Au risque de choquer, force est de constater que les Québécois sont, non seulement en meilleure santé qu’ils ne l’ont jamais été, mais encore qu’ils sont en meilleure santé que la presque totalité des autres habitants des pays les plus riches. En meilleure santé, y compris et peut-être surtout, que les Américains.

Trois ou quatre indicateurs suffisent à poser ce diagnostic , les derniers chiffres disponibles étant tous tirés du très récent Rapport statistique sur la santé de la population canadienne (1999).

Pourquoi ne pas commencer par le tout début : le taux de succès de l’arrivée en ce monde, donc le taux de mortalité infantile. Le Québec affiche, au Canada, le plus haut taux de succès au moment de la naissance, ce qui le plaçait, en 1996, au 5e rang mondial. Loin devant les États-Unis qui, eux, arrivaient 17e parmi les 17 pays examinés. On trouve des résultats semblables pour les taux de mortalité périnatale, c’est-à-dire avant et après l’accouchement, et néonatale, c’est-à-dire pendant les premiers mois de la vie de l’enfant.

Donc, les Québécois prennent un bon départ. Encore faut-il tenir le rythme.

Il existe une mesure dite « d’années potentielles de vie perdues » pour cause d’accidents et de maladie. Selon ce critère, qui repose beaucoup sur la capacité du système de santé de sauver des vies en danger, le Canada arrivait, en 1995, au 2e rang mondial derrière la Suède. Le Québec, légèrement en retrait par rapport à la moyenne canadienne, doit se contenter d’être le troisième peuple au monde le plus résistant à l’accident et à la maladie. (Cette comparaison de 12 pays développés ne testait malheureusement pas les États-Unis).

Les données d’une méga enquête pancanadienne récente (1997) révèle que, subjectivement, les Québécois s’estiment légèrement en meilleure santé que les autres canadiens (ex æquo avec les Terre-Neuviens). Ils sont loin du compte, car lorsqu’on vérifie, comme on dit, au niveau du vécu, un abîme sépare les deux peuples fondateurs. En effet, on a simplement relevé auprès de 20 000 foyers – échantillon plus que scientifique – combien d’entre eux avaient dû s’absenter de leurs occupations usuelles pendant les deux semaines précédant l’enquête pour cause de maladie ou d’accident. La vie hors Québec est sûrement beaucoup plus dangereuse : les absences étaient 50% plus élevées en Ontario, davantage encore ailleurs. Les Ontariens rejoignent cependant les Québécois en tête du peloton canadien lorsqu’il s’agit de troubles nécessitant des absences prolongées.

Jusque là, le Québécois moyen fait preuve d’une remarquable constitution. Mais le test ultime n’est-il pas de savoir pendant combien de temps le Québécois moyen reste sur la planète ? Test d’autant plus signifiant que notre Québécois obtient deux très mauvaises notes : un taux de suicide parmi les plus élevés en Occident et un niveau de tabagisme préoccupant, ainsi qu’une très bonne note : le taux de crimes violent le moins élevé en Amérique du nord.

Au palmarès de la longévité, sur 12 pays étudiés en 1996, les femmes québécoises sont, après les Japonaises, les plus résistantes des pays industrialisés. Elles restent sur terre quelques mois de plus que les canadiennes et deux ans de plus que leurs voisines américaines, qui se classent 11e sur 12. Les hommes du Québec se contentent de la quatrième place, juste derrière le Canada, et loin devant les Américains, avant-derniers. On en tirera la conclusion qu’on voudra, mais Elvis Gratton devrait vivre en principe deux ans et demi de plus que l’Oncle Sam.

Bref, bien mieux que la plupart des membres de la race humaine, et beaucoup mieux que son voisin américain, le Québécois réussit à entrer dans la vie, à résister à ses intempéries et à y prolonger son séjour. Autrement dit, à moins d’être millionnaire ou amoureux de la Scandinavie, c’est au Québec qu’on a les meilleures chances de se trouver en santé au début, au milieu et à la fin de sa vie.

 

* * *
Lorsqu’on compare le Québec de l’an 2000 à ce qui se fait de mieux au Canada et dans le monde, en termes d’économie, de qualité de la vie, de redistribution de la richesse, d’éducation et de santé, on le trouve quelquefois au sommet, très souvent dans le peloton de tête, presque toujours au-dessus de la moyenne. Jamais, en queue de cortège.

Les Québécois ont fait du Québec, presque à leur insu, une réussite. Un des grands succès du monde occidental. Depuis quelques années, sans le savoir, ils ont pris leur élan, ils multiplient les réussites.

Sans le savoir, en économie, parce qu’il est difficile de bien percevoir son propre progrès lorsque, parti d’une ligne de départ de plusieurs mètres en recul sur celle de son principal compétiteur, on avance un peu plus vite que lui — ou qu’on trébuche un peu moins souvent.

Sans le savoir, globalement, car s’il est coutumier d’entendre des souverainistes dire, comme je le fais ici, du bien du Québec, ces démonstrations sont souvent jugées suspectes et sont atténuées, toujours, par un courant de pensée qui craint que les Québécois, trop conscients de leurs succès et de leurs capacités, n’en profitent pour réclamer la maîtrise complète de leur destin. Les chiffres sont pourtant là.

Sans le savoir, finalement et peut-être principalement, parce que les Québécois ont l’impression de n’avoir pas encore donné le meilleur d’eux-mêmes, de ne pas être allés au bout de leurs capacités, de ne pas avoir complètement déblayé le chemin de la réussite, de ne pas avoir levé tous les obstacles menant au succès.

Ils ont raison. Ce qui devrait nous rendre plus optimistes encore pour le Québec du 21e siècle.

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(1) Pour une mise à jour des données économiques pour 2002, voir l’article Les dix mythes de l’économie québécoise à www.vigile.net/ds-lisee/index.html

(*) Les calculs sont établis année sur année, les chiffres de 1999 sont établis à partir des données disponibles pour les 11 premiers mois et des prévisions de la Banque nationale pour le dernier trimestre.

(**) Le taux de création d’emploi per capita est le pourcentage de variation du rapport de l’emploi sur la population de 15 ans ou plus. Ces calculs, empruntés à Pierre Fortin, mesurent la progression de l’emploi depuis le moment de la dernière meilleure saison de l’emploi au Canada, en Ontario et au Québec, soit l’hiver 1989, par rapport aux trois derniers mois de 1999 dont les chiffres sont disponibles au moment d’aller sous presse : septembre à novembre.

(***) L’historien américain Marc Levine, cité par Josée Legault, affirme que « plus que la mentalité anti-affaires des francohones, ce fut l’avantage structurel dont jouissaient les anglophones depuis la conquête – accès plus grand aux capitaux et contacts privilégiés avec la Grande-Bretagne et les marchés et distributeurs anglophones de l’Amérique du Nord – qui a permis aux Anglo-Montréalais de conserver le contrôle économique jusqu’aux années 1960 ». C’est incontestable. Cependant on peut soutenir que si la Révolution tranquille était possible en 1960, elle l’eût été aussi après la seconde guerre, ou en 1936 si Maurice Duplessis n’avait pas trahi son programme électoral, ou même au début du siècle si les Québécois avaient élu un gouvernement qui l’ait proposée, les idées préfigurant la révolution tranquille ayant toujours été présentes, mais minoritaires, dans l’opinion. Ceci pour dire que ce ne sont jamais les puissants qui décident de la date de la révolution, si tranquille fut-elle, mais ceux qui ont intérêt à la faire.

(****) Statistique Canada évalue l’exode anglophone brut à 500 000 entre 1966 et 1996, l’exode net à 300 000 (ce qui signifie que 200 000 anglophones des autres provinces sont venus s’établir au Québec pendant la période). En prolongeant les courbes mécaniquement de 1960 à 2000 pour les dix années où les données ne sont pas disponibles, on obtient un exode total brut de 600 000 et net de 340 000.

(2) Mise à jour 2001 : Selon Statistique Canada, le Québec est aujourd’hui la région d’Amérique du Nord où les inégalités de revenus sont les moins importantes. Selon l’indice Gini qui mesure l’inégalité, pendant la décennie, de 1990 à 1999, les inégalités entre les familles se sont accrues deux fois plus en Ontario et aux États-Unis (de 8 à 10% de plus) qu’au Québec, (+4,5%). Pour les personnes seules, l’inégalité a légèrement régressé au Québec (-1%) et bondit en Ontario (+14%).

(3) Mise à jour : en décembre 2001, l’enquête internationale sur l’éducation de l’OCDE révélait que, lors des trois tests internationaux conduits depuis 1994, les élèves québécois de 15 ans sont les meilleurs en Occident en mathématiques et en sciences. Aucune autre société n’obtient au total des résultats aussi élevés tout en affichant aussi peu de différences entre les étudiants de milieux économiques favorisés et défavorisés. Ces résultats placent le Québec d’aujourd’hui, en qualité et en répartition de ces savoirs, devant l’Ontario et loin, très loin, devant les États-Unis.