Une semaine au pays du racisme systémique

Commencez-vous à y prendre goût, chers lecteurs, à la grande série politique de la décennie Voyage dans le labyrinthe du racisme systémique ?

Le dernier épisode se déroule à l’Université d’Ottawa. L’établissement est évidemment coupable, a priori, de racisme systémique puisque le premier ministre, Justin Trudeau, a déclaré que toutes les institutions du pays en étaient infectées. Le recteur du lieu, Jacques Frémont, est d’accord. Il nous informe que « les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression ».

(Cet article a d’abord été publié dans Le Devoir du samedi.)

Cette déclaration est capitale pour la compréhension de l’intrigue. Les « groupes dominants » sont, de toute évidence, les Blancs. Si on était en Afrique ou dans un État majoritairement noir du sud des États-Unis, on pourrait imaginer une conclusion satisfaisante : les Noirs, majoritaires, finissent par renverser la classe dominante minoritaire et par prendre leur juste place au pouvoir, transformant la situation.

Cette voie de sortie n’est pas possible à l’Université d’Ottawa ni dans aucune institution du secteur public canadien ou québécois. Malgré une progression forte de la proportion de minorités visibles au Canada ces dernières décennies, la « classe dominante » blanche forme toujours 80 % de la population, plus encore au Québec. C’est fâcheux. Cela fait beaucoup de monde à n’avoir aucune légitimité pour déterminer ce qui est acceptable ou inacceptable dans le débat universitaire, ou ce qui constitue une injustice raciale.

La volonté de faire reculer le racisme et ses nombreuses manifestations est très répandue au Canada et au Québec. Pour les réformistes antiracistes pragmatiques, dont je suis, le concept du racisme systémique pose un problème de fond. Au moment de se relever les manches et de multiplier les actions réparatrices, on cherche à savoir à partir de quel critère, de quelle balise, on pourra observer que des avancées significatives ont été accomplies, à partir de quel moment on pourra déclarer victoire. La réponse du concept de racisme systémique est : jamais.

Aucun gestionnaire blanc, aucun conseil d’administration ou gouvernement majoritairement blanc, aucun électorat majoritairement blanc n’aura de légitimité pour constater un progrès. Dans l’univers du racisme systémique, ils sont le problème. Tant qu’ils sont majoritaires, ils dominent. Même une juste représentation des minorités visibles — souhaitable — dans tous les lieux de pouvoir et dans toutes les manifestations culturelles n’arrivera pas à terrasser le problème racial central du pays : l’existence d’une majorité de Blancs. On aura beau les culpabiliser, les infantiliser, les rééduquer, leur présence même fait tache. Ils sont le système.

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Si on nous parlait de racisme structurel, on pourrait démonter telle ou telle structure pour trouver le rouage, l’équation, l’algorithme qui induisent le racisme, puis le réparer. Idem si on nous parlait de racisme institutionnel. Il s’agirait de faire un diagnostic de l’institution suspectée pour trouver quelle formation, quel biais à l’embauche ou à la promotion nécessitent un redressement. En prêtant évidemment une attention centrale au vécu et aux témoignages des minorités visées, toutes les personnes compétentes de bonne volonté, y compris, oui, les blanches, auraient la légitimité requise pour inventer les remèdes.

Malheureusement, le mal étant systémique, le virus étant présent dans chaque pore de notre organisme social, et cela, depuis qu’on a mis le pied sur un continent habité par d’autres, nous sommes face à un problème insoluble. Les tenants du racisme systémique veulent nous faire entrer dans un labyrinthe sans issue.

Entre sociaux-démocrates, on a longtemps pensé que notre tâche principale était de corriger les inégalités que la vie impose à certains citoyens — pauvreté, handicap, immigration récente, discrimination raciale ou de genre — en corrigeant l’échelle de l’égalité des chances. Leur rendre, à eux, l’éducation plus accessible. Financer le logement social et abordable. Aider toutes les familles pauvres de cent façons différentes. Aborder globalement le problème de l’itinérance. Les Autochtones formant des nations, leur situation a toujours requis une approche distincte. Nous avons adopté des mesures d’accélération de l’accès à l’égalité pour les femmes et il est certain qu’il faut en adopter davantage encore pour les minorités visibles.

Sur le continent, malgré mille écueils et imperfections, les Québécois forment la nation qui a le mieux assuré, jusqu’ici, une plus grande égalité des chances. Elle l’a fait en mobilisant positivement toutes les forces de progrès. Elle l’a fait en évitant la culpabilisation, le dogmatisme et le jusqu’au-boutisme. Surtout, elle l’a fait en résistant à ceux qui, presque à chaque étape de son existence, ont remis en cause sa légitimité. Hors de l’église orwellienne du racisme systémique, elle est aujourd’hui appelée à faire la démonstration que sa méthode est la bonne pour faire reculer l’injustice et le racisme.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !