Vous direz que je suis achalant avec ça — à l’heure où 82% des Québécois suggèrent à Pauline Marois de ne pas parler de souveraineté — mais je vois partout des signes de la décanadianisation du Québec. Une tendance lourde qui, à terme, pourrait nous faire perdre notre droit de propriété sur les rocheuses.
Dernière pièce à conviction au dossier: le document de consultation diffusé ce lundi par la Commission jeunesse d’un parti politique québécois, où on trouve la citation suivante:
Notre génération n’a pas le même regard que celles qui l’ont précédée sur ce qui distingue le Québec du reste du monde et sur ce qui lie le Québec aux sociétés qui nous entourent.
Voyez l’utilisation du mot « sociétés » pour désigner nos voisins. Ce sont pourtant, d’une part, les États-Unis, d’autre part, des provinces canadiennes. Ou encore « le reste du Canada ».
Tout le document est à l’avenant. Les Québécois sont supers, ils ont plein de talents, il faut « mettre au premier plan notre Québécitude », il y a même un « ADN québécois », propre à nous faire relever pleins de défis, et les jeunes Québécois voient les choses autrement, etc, etc.
Lorsque le document parle de se projeter vers l’extérieur, le mot Canada apparaît:
Comment faire de nos succès économiques un déterminant de l’identité québécoise ? Quel est l’avantage des Québécois au plan de l’innovation ? Comment mieux l’affirmer au Québec ? Au Canada ? Dans le reste du monde ?
Nulle part le document n’identifie les Québécois comme des Canadiens. Nulle part ils n’offrent la moindre trace d’identité canadienne.
Il y a bien un moment où surgit, comme de nulle part, la suggestion que le Québec fait partie d’un ensemble politique plus grand, dans l’avant-dernière question du document de consultation:
Quel rôle l’État québécois peut-il jouer pour assurer la vitalité et la prospérité des autres communautés francophones du Canada?
Jusque là, un lecteur bulgare n’aurait pas su que le Québec dont il est question est lié à « d’autres » communautés dans ce qui s’appelle le Canada.
Puis, dans la toute dernière question, comme si quelqu’un, parmi les adultes à la direction du Parti avait insisté, on voit finalement émerger la fédération, mais dans quel état !
Comment la fierté d’être Québécois peut-elle être complémentaire à l’idée fédérale ? Comment réaffirmer le rôle du Québec comme acteur incontournable au sein de la fédération canadienne ?
Bon, assez de suspense. Il s’agit du document En Lys pour se démarquer (pdf), de la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec. Et même les libellés de ces dernières questions me font craindre pour mes rocheuses.
D’abord, d’un point de vue fédéraliste, la « fierté d’être Québécois » n’a pas à être « complémentaire » à « l’idée fédérale » (et je souligne au passage que l’utilisation de l’expression « idée fédérale », se détachant de la réalité canadienne, est au fédéralisme ce que la souveraineté est à la séparation).
La fierté québécoise ne doit-elle doit être partie prenante, non de la pâlotte idée fédérale, mais de la grande nation canadienne ? Et après 144 ans de vie au Canada, comment se fait-il que cette question se pose encore ?
Ensuite, demander, huit ans après l’élection de Jean Charest et de la création, grâce à son génie politique, du Conseil de la fédération, comment oser demander comment le Québec peut « réaffirmer » son rôle — plutôt que de « continuer à assumer son rôle » ? N’est-ce pas une façon de dire qu’il ne le fait pas ? N’est-ce pas un camouflet au chef ?
Il est vrai que son nom n’apparaît pas, non plus, dans le document.
Bref, depuis le Rapport Allaire, jamais le PLQ, ou son aile jeunesse, n’a produit de document aussi décanadianisé.
Il est vrai que, compte tenu de la forte décanadianisation de l’identité des jeunes québécois (voir ici) auxquels la commission jeunesse s’adresse, le document est, tout simplement, en phase avec son public cible.