Lisée le conseiller

Venne, Michel

LeDevoir Jeudi 10 février 2000


Un référendum sur « les besoins du Québec », sur une nouvelle offre au Canada, sur le rapatriement d’impôts fédéraux et tutti quanti n’est pas une idée nouvelle en soi. Depuis des mois, des lecteurs du Devoir, généralement des souverainistes dont la notoriété est plus ou moins grande mais qui ne voient pas comment Lucien Bouchard peut gagner un nouveau référendum sur la souveraineté, ont publié dans nos pages des propositions allant en ce sens (voir notre site Internet ledevoir.com). La différence avec la publication du livre de Jean-François Lisée, Sortie de secours (Boréal), c’est qu’on se rapproche du cercle restreint du pouvoir.

Lisée a été l’un des conseillers importants des deux chefs souverainistes qui, ensemble en 1995, sont passés le plus près de convaincre une majorité d’électeurs québécois d’appuyer leur projet. Il a eu accès à toutes les études d’opinion, à toutes les discussions stratégiques. Il a été l’auteur de certaines de ces stratégies et, comme rédacteur de discours, il mettait les mots pour le dire dans la bouche de ses chefs. Bref, il sait de quoi il parle. Souvent, il a été écouté. Cette fois-ci, Lucien Bouchard aurait rejeté son plan. Lisée a donc quitté son poste et, rompant avec un certain devoir de réserve, le conseiller éconduit prend le Québec à témoin.

On verra si cette sortie en entraînera d’autres. Y a-t-il des ministres ou d’ex-ministres, des députés du Bloc québécois, des leaders sociaux réputés qui lui emboîteront le pas?

Pour l’heure, cependant, on retient une chose: l’un des plus enthousiastes organisateurs du référendum de 1995 affirme aujourd’hui que le plan actuel du gouvernement Bouchard est voué à l’échec. Les conditions gagnantes ne seront pas réunies. Il continue de penser que la souveraineté est la solution mais il y renonce temporairement car il ne croit pas en ses chances de gagner. En somme, il est comme les Québécois qu’il décrit dans son livre: il a lui aussi peur de perdre. Alors, il cherche, comme les désespérés, une sortie de secours.

Les fédéralistes retiendront sans doute principalement de cet ouvrage la manière éloquente avec laquelle Lisée décrit comment les souverainistes de 1999 ont tort de s’entêter et qu’on peut très bien trouver à l’intérieur de la fédération canadienne des accommodements qui permettraient au Québec de s’épanouir.

C’est d’ailleurs un paradoxe formidable de ce livre un peu fastidieux: il comporte à la fois un plaidoyer puissant pour soutenir la nécessité de la souveraineté du Québec et l’une des analyses les plus terre-à-terre, les plus froides que l’on puisse faire de l’impossibilité de la réaliser (du moins dans un avenir prévisible).

Toute la première partie de cet ouvrage magistralement documenté (Lisée a eu recours à l’aide de statisticiens, d’économistes, de professeurs de droit) doit être lue par tout Québécois qui continue de croire en l’importance des peuples et des nations comme moyen pour les individus qui en sont membres d’améliorer leur propre sort.

Les fédéralistes québécois, qui sont toujours, au fond d’eux-mêmes, nationalistes mais qui ont, pour des raisons stratégiques ou partisanes, abandonné toute velléité autonomiste pour le Québec, trouveront dans les premiers chapitres du livre des raisons de revenir à une posture politique revendicatrice en faveur de pouvoirs accrus pour le Québec.

En résumé, Lisée pose le problème très simplement. Tandis que, depuis 30 ans, le pouvoir n’a cessé de se concentrer entre les mains du gouvernement fédéral, le poids du Québec au sein du Canada n’a cessé de décroître, réduisant du même coup la capacité des Québécois, en particulier les francophones, d’influencer les décisions prises dans la cité de commandement, située à Ottawa.

Pour le moment, les Québécois n’ont pas le sentiment de souffrir de cette situation parce que les francophones sont bien représentés au sommet du pouvoir. Mais, d’une part, Lisée montre que les Québécois se leurrent: avoir conquis le sommet du pouvoir fédéral n’est pas payant pour les francophones du Québec, chiffres à l’appui. Et, d’autre part, la capacité du Québec et des francophones d’influencer les décisions du pouvoir central ne fera que décroître avec le temps. Pourquoi? Parce que, dans quelques décennies, le Canada sera un pays anglophone à 85 % et que la majorité n’acceptera plus d’être dirigée par d’autres. L’équité reprendra ses droits.

Les Québécois pourraient contrebalancer le pouvoir fédéral s’ils pouvaient compter sur un État du Québec autonome et capable d’agir. Mais tous les indicateurs montrent que, depuis Trudeau en 1968, les fédéralistes ont, par diverses décisions politiques, en manipulant les transferts aux provinces ou à la faveur de décisions de la Cour suprême du Canada, concentré le pouvoir à Ottawa.

Cette concentration du pouvoir est confirmée par l’entente récente sur l’union sociale, qui permet au fédéral d’orienter les politiques en santé, en éducation et en services sociaux d’un océan à l’autre.

Non seulement Ottawa a acquis avec les années le droit d’agir dans tous les domaines, il en a maintenant recouvré la capacité à cause d’un déséquilibre fiscal qui lui permet de se remplir les poches et ainsi, grâce à l’argent, d’établir contre les provinces, auprès de l’électorat, notamment en distribuant des chèques, un rapport de force très difficile à renverser.

Lisée conclut donc que la seule façon de freiner le déclin de la capacité collective d’agir des Québécois, c’est de faire la souveraineté. Puis il consacre 200 pages à expliquer pourquoi c’est impossible et comment on pourrait compenser en proposant autre chose.

Laissons les acteurs politiques débattre de sa proposition qui a pour but, dit-il, de refaire l’unité des Québécois, d’établir le socle de leur volonté commune, de montrer qui parle en leur nom (le gouvernement du Québec) et d’ouvrir un nouveau cycle historique en rétablissant le rapport de force des Québécois. Pour ce faire, tenons un référendum sur une liste de pouvoirs à obtenir du fédéral, de la langue à la culture, de l’immigration aux communications, afin de freiner le déclin.

Lisée espère que lors d’un référendum, en disant OUI à ce qui les réunit, les Québécois pourront « s’évader de l’enfermement de l’échec » et reprendre confiance dans leur capacité collective d’agir. Ils renoueront avec leurs intérêts.

Hier soir, en entrevue avec Jean Bédard sur RDI, Jacques Parizeau a fait la prédiction inverse. Un tel référendum pourrait au contraire, selon lui, et même s’il recueille une majorité de OUI, ce qui n’est pas acquis, enfermer encore plus les Québécois dans le sentiment de l’échec. Car si les Québécois disent OUI à une liste de pouvoirs, le reste du Canada va dire NON. Ce sera donc un nouvel échec. Les Québécois se diront alors que même lorsqu’ils votent OUI, ce qu’ils veulent ne se réalise pas. De quoi leur enlever à tout jamais le goût de voter OUI à quoi que ce soit.

M. Lisée aura donc fort à faire pour convaincre que sa proposition peut tenir la route et remplir les promesses qu’il y fait tenir. Son livre a, quel que soit le sort réservé à sa suggestion, le mérite de révéler puissamment les enjeux et aussi de montrer aux souverainistes la pente qu’ils doivent remonter pour gagner leur cause.