Les Québécois, ces mécréants

L’émission de radio de loin la plus populaire au Québec commençait à 19h00 (on disait sept heures). Elle ne durait qu’une quinzaine de minutes. Elle était, à deux égards, répétitive. Chaque soir la même vedette, car c’en était une: Le Cardinal de Montréal, Paul-Émile Léger. Deux montréalais sur trois l’écoutait, c’est le cas de le dire, religieusement. Le script ne variait jamais. Il récitait, chaque soir,  le chapelet. Lui-même étant constitué de la répétition des Je-Vous-Salue-Marie ponctuée de Notre-Pères. Ce n’était pas un enregistrement. Le prélat était, comme ne le disaient pas encore les Français, en direct-live.

Je le sais parce que ma mère avait un jour décidé de nous le faire écouter, ma sœur et moi, à genoux dans la cuisine, pendant qu’elle rangeait le repas. Je me demandais si elle n’était pas en train de commettre un péché en omettant de se concentrer sur la prière. Le Cardinal, au bout des ondes, s’en rendrait-il compte ? Je trouvais quand même cet exercice un peu exagéré car, le jour, à l’école publique, j’avais déjà prié deux fois:  avant le début de la classe le matin et après le repas du midi, chaque fois à genoux à côté du pupitre. Dieu était-il à ce point dur d’oreille qu’il faille lui répéter plusieurs fois la même chose, plusieurs fois par jour ?

J’étais dans la dernière vague de cette indoctrination catholique collective, au début des années soixante. On répète que l’influence religieuse s’est effondrée avec la révolution tranquille, mais ce fut un processus assez long. Les églises faisaient toujours recette au début des années 1970, les élèves suivaient majoritairement des cours de pastorale jusqu’au début des années 2000. Par conséquent, hors des familles pratiquantes, seuls les moins de 30 ans n’ont pas été plongés à répétition dans l’eau bénite. 

La distance prise avec l’institution de l’église est un fait majeur de l’évolution du Québec moderne. Les scandales de pédophilie sont un des derniers clous dans ce cercueil. Mais la foi est une autre affaire. Elle peut survivre à la déchéance de l’institution. Sa demi-vie est robuste. Même sans la foi, l’adhésion aux récits chrétiens peut surnager encore longtemps.

C’est pourquoi j’étais frappé par les résultats dévoilés cette semaine par l’Institut de sondage Angus Reid sur l’ampleur de la mécréance dans cette province qu’on décrivait longtemps outre-outaouais comme “priest-riden” – infestée de prêtres.

Les Québécois ont encore  de la mémoire, ils sont 74% à se dire de “tradition catholique romaine” (8% de protestants, 2% de musulmans, 1% de juifs). Mais ils indiquent que, sauf pour les mariages et enterrements, ils sont 53% à ne jamais mettre les pieds à l’église, à la mosquée ou à la synagogue – seulement 4% y vont chaque semaine. Normal, puisque 75% ne lisent “jamais” la bible, le coran ou la torah et que 55% ne sentent “jamais” la présence de Dieu. En gros, 77% des Québécois se disent non-croyants ou “spirituellement incertains” (contre 59% d’Ontariens). Le résultat le plus étonnant à mon avis tient à l’existence historique de la résurrection de Jésus: 41% des Québécois n’y croient pas et 27% refusent de se prononcer ou ne savent pas. Seulement 31% y prêtent foi. C’est peu.

Il faut y voir le signe de la montée du scepticisme et de l’incrédulité, y compris dans la jeunesse, pourtant inondée de mondes fantastiques, depuis Harry Potter jusqu’à Stranger things. Je me souviens de mon filleul de sept ans se moquant devant moi du récit, qu’il venait d’apprendre, de Moïse séparant la mer rouge. Mais, lui-dis je, me faisant l’avocat de Dieu, c’est comme Darth Vader dans la Guerre des étoiles qui peut faire bouger des objets à distance. “Ben voyons, me répondit-il, c’est un film. Ils n’essaient pas de nous faire croire que c’est vraiment arrivé !” Imparable argument.

Pourtant, pourtant, cette nation de mécréants, plus éloignée de Dieu, Allah et Yahvé que tout autre groupe du continent, garde une porte religieuse entrouverte: 52% d’entre nous pensons qu’il faut transmettre à nos enfants des enseignements religieux, ce qui est assez large (selon les sources, cela va de oeil pour oeil à tend l’autre joue). Je sais que, père, j’estime essentiel que mes enfants connaissent le récit biblique, car notre culture en est pétrie et qu’on ne peut décoder efficacement, ne serait-ce qu’une partie du langage, sans détenir ces clés. Je me demande aussi s’il n’est pas préférable d’inculquer un peu de religion à ses rejetons, à la façon d’un vaccin, pour qu’ils ne soient pas à l’adolescence éblouis par l’aspect spirituel complètement nouveau, pour eux, de la première secte venue.

On trouve d’autres traces de la rémanence du fait religieux au Québec. Pas moins de 60% des Québécois affirment parfois prier “Dieu ou une puissance supérieure”.  Ils le font rarement (21%), épisodiquement (27%) et on peut penser que les prieurs quotidiens (11%) sont des dévots classiques. Mais les autres ? Il faudrait savoir à qui ils parlent, exactement, et avec quels résultats ? (Une règle du pouce est que si vous parlez à Dieu, votre place est au temple, si Dieu vous parle, votre place est à l’asile.)

Finalement il y a la question qui tue: croit-on à la vie après la mort ? Une petite majorité de Québécois font ce pari (51%) alors que les Ontariens sont 63% à se donner rendez-vous dans l’au-delà. C’est paradoxal car le Vatican a beaucoup fait, ces dernières décennies, pour rendre le passage plus attrayant. D’abord fut aboli le purgatoire, cette antichambre du paradis où on devait expier ses péchés en souffrant sur des chardons ardents pour une période équivalente aux fautes accumulées dans sa vie. Puis l’existence même de l’enfer fut remise en cause, ce qui rendit le passage au paradis nettement plus sûr. Malgré ces améliorations considérables, la foi en la vie éternelle décline. Que faudrait-il que le Pape fasse pour renverser la tendance ? Promettre des vierges ? C’est au point que, ceux qui, au pays, croient le moins à la vie après la mort sont, de loin, les principaux utilisateurs de l’aide médicale à mourir. Comme quoi, éloignés de la religion, les Québécois sont plus pressés que les autres d’aller nulle part. 

15 avis sur « Les Québécois, ces mécréants »

  1. Je préfère de loin – de très loin – l’opinion des anciens Grecs, qui n’étaient pas contaminés par le monothéisme (j’allais écrire « par la saloperie » monothéiste) du Proche-Orient. Tout particulièrement celle d’Épicure: « Nous ne devons pas nous préoccuper des dieux parce qu’ils ne se préoccupent pas de nous. » Épicure allait jusqu’à dire qu’il ne fallait pas se préoccuper de la mort – ça, je ne suis pas sûr que ce soit possible.
    Une chose est sûre par contre: le monothéisme des religions abrahamiques peut se résumer ainsi: « Vous avez peur de la mort ? Si vous faites tout ce que je vous dis et ce que je vous commande, (dit le prêtre), si vous souffrez rien qu’en masse, vous vivrez éternellement. » L’art de se servir de notre peur de la mort pour nous asservir.
    « Morale d’esclave », écrivait Nietzsche. C’est très exactement ça !

  2. La femme de Jordan Peterson à qui les docteurs n’avaient donné qu’un an a vivre car elle était atteinte d’un cancer incurable a appris à prier le Rosaire avec une amie catholique et à la surprise de tous elle a été guérie. Ce cancer était fatal à 100% .
    Elle est retournée à la foi catholique .
    Si vous ne lisez que des choses anti religion les fruits ne peuvent être que l’incrédulité. Il y a de grands témoignages en faveur de la foi . Il faut les lire pour ouvrir la porte à la lumière!

  3. Le 8 avril dernier nous avons pu contempler une superbe éclipse solaire dans une grande partie du Québec. Les belles photos des enfants contemplant l’éclipse publiées le lendemain dans le journal Le Devoir m’ont rappelé celles que j’avais vu dans les livres racontant les récits des apparitions mariales de Fatima, où l’on voit la foule (entre 40 000 et 70 000 personnes) regardant vers le soleil, sans lunettes protectrices, au-delà de dix minutes. Sur la page du site Wikipedia racontant Les apparitions mariales de Fatima, on peut voir entre autres, une page complète d’un journal montrant quatre photos de la foule, en noir et blanc, prises le 13 octobre 1917 et publiées dans le journal portuguais L’Ilustraçao Portugueza le 29 octobre 1917.
    Ce phénomène solaire d’envergure n’avait pas été prévu par des astronomes mais par trois jeunes bergers qui avaient prédit trois mois auparavant que la Dame qui leur apparaissait ferait un miracle le 13 octobre pour que les gens croient en la véracité des apparitions et l’importance de leurs messages. Ils ne savaient pas quel genre de miracle se produirait ce jour-là. La « danse du soleil » observée ce jour-là par des croyants et des incroyants de toutes les classes de la société est vraiment un signe éclatant qui ne peut s’expliquer que par l’existence de Dieu et par la présence de son envoyée spéciale à Fatima, qui s’est présentée là-bas sous le vocable de Notre-Dame-du-Rosaire.
    Beaucoup de gens n’ont pas la foi parce qu’ils ignorent ces signes grandioses qui jalonnent l’histoire du christianisme depuis 2000 ans.
    Solange Viau

  4. On s’acharne à répéter les mêmes syllogismes… La religion est l’opium du peuple (quand ce n’est pas la bête consommation), dixit K. Marx

  5. « Priests ridden province » signifie province dirigée par des prêtres. Comme le cavalier qui chevauche « ride » sa monture. Dieu que c’était vrai!

  6. Joseph Ratzinger: apôtre du dialogue entre foi et raison au service de la vérité

    La relation profonde entre foi et raison humaine, nécessairement complémentaires dans la recherche de la vérité : c’est l’un des axes majeurs de la pensée théologique de Joseph Ratzinger, qui n’a eu de cesse de l’explorer, d’abord comme professeur, puis comme cardinal-préfet et enfin comme Pape. Le philosophe Rémi Brague décrypte ce précieux héritage.
    Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican

  7. «Renoncez à l’idée de gloire si vous n’êtes pas tenté de fonder une religion. (…..)Si vous voulez laisser un nom, attachez le à une Église plutôt qu’à un empire»

    Cela n’aura jamais été si bien dit.
    Cioran, Emil in: Histoire et utopie, Gallimard, 1960

  8. Ma fratrie et moi avons étés victimes du chapelet en famille même si nous habitions très loin de Montréal. Il semble qu’il était diffusé à travers toute la province. À 13 ans j’ai dit à ma mère que je n’étais pas croyant et que je n’irais plus à la messe. Suis-je un matérialiste pour autant? Non. J’aime l’expression suivante: « Il y a le connue, l’inconnu et l’inconnaissable. » Dans le premier film de Dune de Denis Villeneuve un personnage qui apparaît dans un rêve de Paul Atreïde déclare: « La vie n’est pas un mystère à résoudre mais un mystère à vivre. » Ça m’a accroché.

    • La vie ou l’instinct de survie ou le besoin de se reproduire sont des mystères que jamais nous n’arriverons à résoudre.
      La façon de s’en accommoder est de dire que ce sont des dons de Dieu, même si nous n’avons aucune preuve de l’existence de Dieu.

  9. Comment ce fait-il, M. Lisée, que les québécois aient congédié leur clergé à la fin des années 60 avec autant de rapidité, à l’échelle de l’histoire, avec autant d’affirmation et de façon aussi catégorique et que ce même peuple, avec ces mêmes défauts et qualités n’ait pas eu le même réflexe de lucidité de se donner un pays???

  10. Le chapelet était (à Montréal du moins) à 19 heures, à CKAC, tout juste avant «Un homme et son péché», version radiophonique. Comment oublier le ton pédant du «prince de l’Église» alors qu’agenouillés dans la cuisine, nous devions participer à ces ridicules incantations? Nos petits enfants seront-ils moins ridicules quand ils devront faire la salat 5 fois par jour une fois le Québec islamisé? Faudrait demander aux députés de QS.

  11. Un psychanalyste dirait que Paul-Émile Léger vous a spécialement traumatisé, monsieur Lisée, pour que vous soyez incapable de vous rappeler son prénom. Il y a plusieurs mois déjà, vous lui aviez attribué le prénom « Georges-Émile », celui du malheureux chef libéral des années 50, qui n’a jamais pu triompher de Duplessis.

    « Étoile du matin, reine du saint rosaire … »

  12. C’est le problême avec le matérialisme/athéisme , c’est qu’il n’y a pas d’espoir de vie éternelle , ce nihilisme est assez déprimant comme idéologie . Malgré qu’entre l’espoir d’une vie après la vie , et l’omniprésence d’une religion parfois oppressante , il faut réaliser qu’il y a d’autres options que les sectes . Le catholicisme lui-même se réforme tranquillement pas vite , et il y a d’autres dénominations crédibles dans le protestantisme . Cette montée du scepticisme et de l’incrédulité est due à un nouveau paradigme qui s’est imposé depuis l’acceptation de la théorie de l’évolution comme explication de nos origines , ce « worldview » réponds aux grandes questions existentielles « d’ou vient-on et ou va t’on » différemment du récit biblique (malgré que les deux peuvent cohabiter en concédant d’un coté comme de l’autre). Je ne pense pas que le pape ou autres figures religieuses , puisse y faire quoi que ce soit . Mais , mais il y a un facteur important qui émerge , et qui pourrait changer la donne , et il vient du coté de cette science empirique , celle qui aurait servi de prétexte à disposer de Dieu , cette même science remets en question la supposée abiogenèse de la vie . Au cours des 150 années entre 1859 et 2015 , non seulement la recherche sur l’ origine de la vie n’a fait aucun progrès , mais elle a en fait reculé de plusieurs ordres de grandeur , en raison des nombreuses avancées en génétique et en microbiologie , notre compréhension de l’ extraordinaire difficulté du problème a connu une croissance exponentielle . El il en va de même pour la descente commune , les problêmes s’accumulent au point ou une minorité toujours croissante d’éminents biologistes rejettent le néo-Darwinisme à la lumière d’une complexité irréductible qui nécessite une/des interventions transcendentes pour concorder avec ces nouvelles évidences génétiques . Il semble que le théisme n’aura pas dit son dernier mot .

    • La religion est le parfait outill d’asservissement et de destruction massive des populations sous-éduquées… Amen !

    • Bien dit mr Pariseau! Il y a beaucoup d’info sur ces découvertes qui exposent la théorie de l’évolution comme une impossibilité. Un numéro croissant de scientifiques affirment maintenant que des éléments biologiques ne peuvent exister que par une intervention intelligente supranaturelle appliquée au moment de la création!
      https://revolutionarybehe.com/category/bacterial-flagellum/

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