Macron: ingérence et indifférence (Version intégrale)

On doit reconnaître au président français, Emmanuel Macron, un talent hors-normes : il sait se rendre impopulaire. Si les deux élections présidentielles qui l’ont porté et maintenu au pouvoir avaient été des référendums sur ses qualités à lui, il aurait mordu la poussière. Il n’est président que parce que les Français l’estimaient moins dommageable à leur pays que la seule autre option disponible en fin de parcours: Marine Le Pen. En 2022, il avait fédéré, contre elle, 59 % des voix. Qu’a-t-il fait de ce tremplin ? À l’élection législative qu’il a lui-même provoquée, en juin pour obtenir une « clarification », il l’a obtenue : seulement 23% des électeurs ont appuyé son parti.

Il n’avait posé aucun geste, depuis qu’il occupe cette fonction, qui puisse le rendre impopulaire auprès des nationalistes québécois. Il nous avait même envoyé, en mars dernier, un premier ministre, Gabriel Attal, qui avait su montrer à la fois l’importance qu’il accordait au Canada, pays de l’Otan et du G7, et le biais favorable, institutionnel et historique, de son pays envers le cas québécois. À Ottawa, aux côtés de Justin Trudeau, il avait déclaré son appui à la politique de la « non ingérence et de la non indifférence » avec aplomb et sérénité. Le minutage de sa présence en terre fédérale et québécoise était, également, conforme au jeu d’équilibre construit au cours des décennies.

En quelques heures, Emmanuel Macron allait démontrer, par ses paroles et par ses gestes, qu’il n’a rien à cirer de cet équilibre. Il faut savoir gré au collègue Louis Blouin, de Radio-Canada, de lui avoir posé toutes les questions qui comptent, avec des relances de bon aloi.

Des paroles

L’entrevue accordée par le président, lorsqu’on l’écoute dans son intégralité, se déroule comme le parcours de l’éléphant dans le magasin de porcelaine.

Blouin lui demande d’abord, sur la question du français, s’il est d’accord avec le gouvernement québécois qui, dans le contexte nord-américain, prend des mesures contraignantes, sur l’affichage ou sur les inscriptions aux institutions anglophones.

Pas question, répond le président, de se mêler des décisions que prennent souverainement chaque gouvernement. Donc : neutralité stricte. Bien.

Blouin l’interroge ensuite sur la fragilité de son avenir politique, à lui et à Justin Trudeau. Là, le président des Français sort de sa neutralité pour, essentiellement, appeler les Canadiens à voter pour son ami : « j’ai beaucoup d’estime et de respect et de l’amitié pour votre premier ministre et pour tout ce qu’il a fait pour le Canada et moi je crois que le chemin qui est le sien, qu’il vous a proposé et que vous avez validé à plusieurs élections est le bon, c’est-à-dire celui d’une économie ouverte, dynamique, innovante et qui va vers la décarbonation. » Voilà un homme qui parle franchement. On sait à quoi s’en tenir. Pierre Poilièvre aussi.

Le journaliste-à-lunettes cherche ensuite à trouver une clarté semblable au sujet de la non-ingérence et de la non-indifférence.  Macron, d’abord, pense qu’il va s’en tirer en patinant. Blouin le relance en lui faisant remarquer que ses prédécesseurs n’avaient pas eu cette réticence.

Cliquer pour commander, versions ePub et PDF disponibles

Réponse : « C’est bien que des prédécesseurs aient fait cela, mais ai-je besoin de le faire aujourd’hui ? En vérité, dans un contexte politique qui n’aura échappé à personne je n’ai pas envie d’interférer dans votre contexte politique national, justement par respect et par estime et je pense que le rôle du président Français dans un moment où les esprits s’embrasent, ce n’est pas de venir rajouter de la complexité ou de l’émotion. »

Voilà qui est intéressant. Donc, lorsque tout est calme, on peut afficher son « non indifférence » envers le Québec. Mais quand ça chauffe, alors, non, on ne va pas s’en mêler.  N’est-ce pas justement dans ces moments qu’on teste la valeur de ses vrais amis ?

Mais peut-être qu’Emmanuel Macron n’est pas, justement, un vrai ami du Québec. Blouin lui a demandé, dans sa question, s’il n’était pas, comme Sarkozy (qui, doit on le mentionner, est un conseiller fréquent de son successeur) franchement favorable à l’unité canadienne.

« Pas du tout » répond d’abord Macron. « Moi, je ne suis pas là pour donner aux Canadiens des leçons et leur dire pour quoi je serais ». Ah. On respire. Mais pas longtemps. Le rôle du président, dit-il ensuite en nous donnant une leçon en en nous disant pour quoi il est, est « de dire, au fond, vous avez un modèle qui est le fruit de l’histoire. Il y a toujours une tension constructive. Dans ces tensions, il y a toujours quelque chose de fécond, et la France, elle regarde avec beaucoup – oui – d’amitié, d’affection et aussi de fascination le Canada ». Le rôle du président, ajoute-t-il, « c’est d’expliquer que si chacun s’y retrouve, c’est une bonne solution, dans un monde percuté dans les guerres. »

Oh là là. On n’est effectivement plus du tout dans la non ingérence et la non indifférence. On est carrément dans l’ingérence et dans l’indifférence. Emmanuel Macron vient de nous faire une pub pour le fédéralisme. Il vient de dire à François Legault que le Canada, ce pays des « tensions fécondes », « c’est une bonne solution » car il constate, lui, que « chacun s’y retrouve ».

Des gestes

On aura évidemment remarqué que sa visite éclair aura été complètement dominée par son volet fédéral. Macron n’est évidemment pas responsable de la volonté d’Ottawa de marginaliser le Québec. De source française, on m’informe que le vœu d’origine de l’équipe Trudeau était que Marcon ne mette tout simplement pas les pieds au Québec. Il a refusé. Bien. Ce qui montre qu’il avait le choix, en dernière instance, et qu’il aurait pu imposer, comme ses prédécesseurs, sa volonté : une fois le volet fédéral terminé, on va au Québec – et la plupart du temps à Québec – en montrant ainsi de façon tangible son amitié et son respect.

Mais l’équipe Trudeau, et ce bien avant que Legault ne réclame son renversement par le Bloc, a déterré une vielle tactique de l’ère de Jean Chrétien qui fait de Montréal une ville fédérale. L’invité étranger est accueilli dans la capitale fédérale, Ottawa, puis on lui organise un dîner d’État dans la métropole fédérale, Montréal.  Voyez comme c’est pratique ? On est au Québec ! Reste à inviter les provinciaux à une rencontre en tête-à-tête dans un hôtel et leur réserver quelques places au dîner, et le tour est joué ! (Ne leur envoyer l’invitation que pendant la nuit est une innovation de Trudeau, je ne me souviens pas que Chrétien soit allé si bas.)

Évidemment, ça ne fonctionne que si l’invité accepte de tomber dans ce panneau. Emmanuel Macron a été parfaitement informé par ses diplomates de la signification de chacun de ces choix. Il a décidé d’afficher clairement son indifférence envers le Québec et son ingérence, pro-Trudeau et pro-fédérale, dans nos affaires internes.

Il a, aussi, fait le choix de se mettre en porte-à-faux avec plusieurs acteurs de la vie politique française. Son ancien premier ministre, Gabriel Attal, candidat à la prochaine présidentielle, pourrait décider de le contredire sur ce point. Son actuel premier ministre, Michel Barnier, un gaulliste qui garde un souvenir ému du discours du balcon, pourrait cette semaine même, lors de sa rencontre avec François Legault, jouer une note détonante. Les chefs des deux partis d’opposition à l’Assemblée nationale, à gauche Jean-Luc Mélenchon et à droite Marine Le Pen, sont également au diapason du discours d’Attal, et non de celui de Macron. Ce sujet n’est évidemment pas au-dessus de la pile de leurs préoccupations, loin de là. Mais si Macron cherchait un sujet d’isolement politique de plus, il vient de le trouver.

Realpolitik

J’entends les railleurs affirmer que toutes ces questions n’ont pas la moindre importance et ne sont que l’expression de frustrations provinciales. Les grandes personnes, elles, comme Macron et Trudeau, ancrent leurs positions dans le réel.

Il est vrai qu’autour de la table du G7 et de l’OTAN, c’est avec le Canada que le président français travaille. À l’époque de Brian Mulroney ou de Jean Chrétien,  on aurait admis que leurs voix pesaient, lorsqu’il était question de bâtir des alliances. Mais peut-il sérieusement nous affirmer que Justin Trudeau est d’une quelconque utilité face à Joe Biden ou à Vladimir Poutine ?

Parlons-en, du réel. Lorsque le président français regarde froidement les chiffres, il sait qu’en matière d’investissement, l’essentiel de l’investissement canadien en France est québécois, et que l’essentiel de l’investissement français au Canada est au Québec. En matière de commerce, l’essentiel des ventes françaises au Canada va au Québec, et l’essentiel des ventes canadiennes en France viennent du Québec. En matière de tourisme, l’essentiel des touristes canadiens en France sont Québécois, et que l’essentiel des touristes français au Canada vont au Québec. Le même constat s’impose en éducation, en recherche, sociale et scientifique.

Je terminerai avec une anecdote. Préparant en 1994 le voyage qu’allait faire Jacques Parizeau à Paris, j’avais demandé à Pierre Bourgault de préparer la portion historique du discours qui serait prononcé à l’Assemblée nationale française. Il me remit sa copie, impeccable. Mais il y avait ce passage, que je ne pouvais utiliser, vous aller voir pourquoi, mais qui ne manquait pas de vérité.

Je cite de mémoire : « On a trop dit que la France avait abandonné le Québec au moment de la conquête. Elle était occupée à plusieurs conflits simultanés et on peut comprendre les difficiles décisions prises à l’époque.  Mais si demain les Québécois décidaient de se donner un pays, et que la France n’était pas à ses côtés en ce moment crucial, on ne le dirait jamais assez ! »

Emmanuel Macron a choisi son camp. C’est son droit. Baigner dans l’impopularité lui sied bien. Pour le Québec, ce n’est qu’un bref mauvais moment à passer.

(Une version courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir et dans Le Figaro.)

Les accents gaulliens de Gabriel Attal

Les parlementaires québécois suivaient avec attention, jeudi, le discours du premier ministre français. Les mots choisis étaient forts, offrant aux liens franco-québécois une couleur d’éternité, de jeunesse éternellement renouvelée. Il se passa quelque chose lorsque l’invité d’honneur déclara ce qui suit : « Certains pensaient sans doute que le français avait pour vocation à disparaître de la carte de l’Amérique du Nord. Ils ne connaissaient pas les Québécois… »

Il ne put finir sa phrase tant les parlementaires exprimèrent spontanément, et bruyamment, leur accord. On n’en parle jamais, mais tapi au fond de la conscience québécoise se cache le sentiment profond d’être des rescapés de l’histoire, des évadés de la disparition, des survivants. Il suffit que quelqu’un nous le rappelle pour que jaillisse une fierté venue du fond des temps.

De Gaulle avait soulevé une foule de 10 000 personnes réunie à la grande place d’Expo 67 en usant de mots semblables, sur le risque de défaite définitive auquel ont fait face les habitants de la Nouvelle-France, une fois soldée la conquête anglaise. « On pourrait croire que ce passé ayant été marqué d’une telle douleur, Montréal aurait perdu son âme française dans le doute et dans l’effacement, a-t-il dit. Miracle ! Il n’en a rien été. »

L’amitié de la France, la fraternité, le commerce et tout ça, c’est bien, c’est bien. Mais il y a mieux. Beaucoup mieux. Avant de Gaulle, aucun chef d’État étranger n’avait démontré autant d’égard envers les représentants des Canadiens français — Jean Lesage, Daniel Johnson — que lui. Sa venue au Québec en 1967 représentait pour les francophones, au complexe d’infériorité patent, économiquement dominés, linguistiquement opprimés, politiquement marginalisés, l’inédite reconnaissance, par un géant de l’histoire, de leur valeur.

À Québec, puis tout le long du Chemin du Roy, il a vanté à chaque discours la résilience canadienne-française — « une persévérance inouïe », disait-il — à travers deux siècles d’isolement. De Gaulle venait dire aux Québécois qu’il reconnaissait non seulement la force dont ils avaient fait preuve dans l’histoire, mais l’éclat de leur renaissance, depuis le début des années 1960. Il allait jusqu’à leur dire que, si la France voulait se tenir aux côtés de ce nouveau Québec, c’est aussi qu’elle avait besoin de lui, de sa modernité, de sa jeunesse, de son énergie, pour construire de concert un avenir francophone commun. Bref, le général offrait aux Québécois ce dont ils étaient le plus assoiffés : le respect.

Le discours de Gabriel Attal a repris ces thèmes, vantant en particulier la jeunesse québécoise, le sang des jeunes soldats, notamment du 22e Régiment, versé pour contribuer, deux fois, à sauver la France. Du respect, et de la reconnaissance. Voilà encore, pour les Québécois de 2024, des denrées rares.

Ce serait déjà beaucoup. Mais il y a aussi, plus rare encore, la contrition. Lorsqu’avec « Vive le Québec libre ! », de Gaulle a commis, du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, une des plus grandes ingérences dans la vie d’un pays allié de l’histoire des démocraties, il en était à sa troisième visite. Il était d’abord venu après la libération, en 1944, puis en 1960, juste avant l’élection qui allait porter au pouvoir les révolutionnaires tranquilles.

Ce séjour l’emmena devant le monument des plaines d’Abraham qui commémore le combat de 1759, celui qui fera qu’on ne parle plus de la Nouvelle-France qu’au passé. Alors que le grand Charles tenait la pose pendant les discours d’usage, revenant sur le récit des combats, son aide de camp, François Flohic, entendit l’aide de camp du lieutenant-gouverneur du Québec, le colonel Martin, lui glisser à l’oreille : « C’est alors que vous autres, maudits Français, vous nous avez abandonnés ! » Flohic, sonné, relata peu après l’anecdote à son président.

Il ne le prend pas mal, car il partage cet avis. « Louis XV avait bien les moyens d’envoyer d’autres troupes après la mort de Montcalm, pour permettre à Lévis de l’emporter sur les Anglais, confia-t-il à un diplomate en juillet 1967. Il a eu la légèreté de céder à la dérision de la Cour, qui se moquait, comme Voltaire, de “quelques arpents de neige vers le Canada”. Il a abandonné nos soixante mille colons à leur sort. C’est une action peu honorable, il fallait l’effacer. »

Gabriel Attal a entamé son discours en évoquant Cartier et Champlain. Prisonnier de la chronologie, il ne pouvait éviter ce moment douloureux. Il le fit en citant René Lévesque, qui parla « de deux siècles où se construisit un fossé d’ignorance et de méconnaissance ». Attal a enchaîné : « Une éclipse, de deux siècles. Une éclipse coupable. » La beauté de cette prise de culpabilité tient au fait qu’elle n’était ni attendue ni nécessaire. Donc, généreuse. Une vieille querelle, une vieille rancoeur, oubliée en 2024, mais toujours vivace en 1967. Le maire Jean Drapeau avait fait preuve d’un cran surhumain en répliquant à de Gaulle, le surlendemain de son envolée du balcon : « Nous avons appris à vivre seuls pendant deux cents ans d’abandon. » Il rappela que, dans l’élite française, le sort du peuple québécois « n’a jamais fait, jusqu’à vous, Monsieur le Président, l’objet d’un intérêt particulier ». Donc, « il n’y a pas de gratitude à souligner envers les gouvernements français successifs ». Dur.

Les vérités ont donc toutes été dites il y a bientôt 60 ans. Il fallait au plus jeune premier ministre de l’histoire de la République française — à ses conseillers et à ses scribes — une profondeur de vue, une volonté d’aller au fond des choses, une connaissance fine, peut-être, de la psyché québécoise, pour choisir d’insérer dans un discours par ailleurs très moderne ces balises historiques qui ont peu à voir avec les transactions, contrats ou bonnes manières, et tout à voir avec l’ancrage historique qui font que deux nations ont forgé ensemble, à travers drames, déchirements et raccommodements, une relation d’une épaisseur telle qu’elle permet à M. Attal d’annoncer que « rien ni personne ne pourra la rompre », car cette éclipse ancienne, « je le crois très profondément, jamais ne se reproduira ». Le Général serait fier de lui.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Zemmour: le cavalier de l’insoluble (intégral)

Il faudrait l’intercession combinée des fantômes de Napoléon et de Jeanne d’Arc, ses héros, pour que la nouvelle vedette de la politique française, Eric Zemmour, soit élu président de la République française en mai prochain. La stabilité avec laquelle les enquêtes d’opinions donnent plusieurs dizaines de points d’avance au pourtant mal-aimé président Emmanuel Macron dans un match l’opposant à Zemmour sont convaincants.

Mais cette élection n’est qu’une étape vers un assaut présidentiel plus vraissemblable de Monsieur Z lors de l’élection suivante, en 2027. L’enjeu, en mai, dans la dynamique des élections à deux tours (mon système favori) est que ce survenant accède au second tour, donc au débat qui l’opposerait au meneur, Macron. C’est statistiquement possible, car il habite la marge d’erreur avec la candidate de la droite classique, Valérie Pécresse, et l’héritère du Front National (renommé Rassemblement National), Marine Le Pen. (Suivez comme moi l’évolution des sondages ici.)

Un horizon favorable

L’important pour lui est justement qu’au lendemain de ce scrutin, l’horizon va s’éclaircir. L’incapacité de Le Pen de porter son mouvement au pouvoir, apres une troisième tentative, sonnera le glas de sa carrière (qu’elle le reconnaisse ou non). Ses troupes, 15% de l’électorat, se replieront naturellement et massivement vers l’étoile montante Zemmour et son nouveau parti, Reconquête, lui offrant un socle d’environ le tiers des électeurs, devenant la première force politique française. La capacité de son parti, dans les élections municipales, régionales, européennes qui ponctueront le second et dernier quinquennat de Macron permettront de suivre son enracinement.

Car voilà, Macron tirera sa révérence en 2027, c’est la règle. Il aura des successeurs potentiels de bon calibre, notamment son ancien premier ministre Édouard Philippe. Mais le macronisme, cette méthode de gouvernement qui ne se définit que par les états d’âme du moment de son inventeur, ne peut que se dégonfler une fois celui-ci reparti dans les conseils d’administrations financiers dont il est issu. Zemmour ne manquera pas d’adversaires, certes. Mais aucun ne sera, cette fois, invincible.

Les enclaves islamisées

Son principal atout réside en une donnée que personne n’ose nommer et qui ne fera que croître avec les années: le caractère insoluble de ce qu’on appelle là-bas de façon très désagréable (pour moi, du moins) le « séparatisme ». Il s’agit du développement d’enclaves urbaines, en banlieue des grandes villes, ou, une fois franchie une rue ou un boulevard, on se croirait en Iran, en Arabie ou en Afghanisatn. Des lieux ou toutes les femmes sont voilées et absentes des cafés ou des places, des lieux ou l’Imam arbitre les différents et règle les conflits selon les préceptes de la loi Islamique. La langue commune y est l’arabe et, sur les écrans plasma, on vit le soir au rythme des images venues de contrées ou regne le croissant d’or. Des associations de femmes, y compris musulmanes, résistent avec des manifestations « à moi la rue ».

Combien y a-t-il de ces enclaves ? Toutes les grandes villes du monde possèdent des Chinatowns qui semblent également vivre selon des règles impénétrables pour les entrangers et Paris a son quartier juif qui défie le temps et les modes. Lors de mon premier séjour aux États-Unis, pays du melting-pot, j’ai été renversé de constater qu’à Boston, Chicago ou Philadelphie, en plus, bien sûr, de quartiers blancs et noirs distincts, chacun savait ou étaient les quartiers polonais, italiens, irlandais, latinos, bien vivants après plusieurs générations d’établissement.

Le problème n’est pas le fait, assez courant, d’être regroupé dans la ville par ethnie ou par religion. Il réside plutôt dans le niveau d’adhésion ou de rejet de la norme commune. L’islamisme radical présente,  selon les mots d’Emmanuel Macron,  « une volonté revendiquée, affichée, une organisation méthodique, pour contrevenir aux lois de la République et créer un ordre parallèle, ériger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société, séparatiste dans un premier temps, mais dont le but final est de prendre le contrôle complet. »  

En décembre, un sondage Ifop révélait les progrès de cette approche : les deux tiers des élèves musulmans du secondaire estiment que les normes et règles édictées par leur religion « sont plus importantes que les lois de la république ».  La même proportion estime que leur « religion est la seule vraie religion ». Puis il y a la question de la décapitation, en 2020, de l’enseignant Samuel Paty qui avait montré en classe des caricatures de Mahomet pour parler de liberté d’expression. Si une écrasante majorité de lycées musulmans condamnent l’acte (75%), il en reste 12% qui condamnent mais « partagent certaines des motivations » de l’auteur du meurtre, 9% qui se disent « indifférents » et 4% qui ne condamnent tout simplement pas.

La chose est d’autant plus inquiétante que de la frange islamique radicalisée, sourd quelque fois par an en France un crinqué qui décide, ici, d’attaquer au couteau un gendarme, là, de faire rouler un camion sur la foule, là encore, de décapiter un professeur. Aucun cas semblable n’est issu de la frange radicalisée des quartiers juifs ou chinois.

Une majorité des Français croient au Grand remplacement

La récurrence de ce phénomène est tel que plus de 6 français sur 10 tiennent désormais pour avérée la théorie du « Grand ramplacement » selon laquelle on serait à quarante ou cinquante ans seulement de la mise en minorité des français non-musulmans, ou du moins des français de moins de quarante ans.

La popularité de Zemmour et de ces thèses surfe sur cette incroyable vague. Elle ne résiste pas à l’examen. Ces calculs supposent que 100% des Français issus de l’immigration de pays musulmans soient croyants et pratiquants et le restent. C’est faux. Au point d’entrée, seulement 80% le sont (une partie choisissent de venir en France justement pour quitter leur environnement religieux). À la génération suivante, les incroyants passent de 20 à 35%. Les jeunes femmes en quête de liberté s’échappent de ces enclaves, souvent au prix de déchirements familiaux, pour goûter la liberté. L’autre calcul fautif repose sur la fécondité beaucoup plus forte chez les immigrées musulmanes (de 3 à 4 enfants par femme) que chez les autres (moins de 2). Or, dès la seconde génération, les femmes adoptent le comportement moyen, donc moins de deux enfants, ce qui casse la dynamique fantasmée du Grand remplacement. Globalement, les musulmans ne formant, selon les calculs induits — le recensement français interdit de faire préciser l’origine ethnique — qu’entre 3 et 7,5 % de la population, la distance remplaçant cette proportion de l’acquisition d’une majorité semble soit infranchissable, soit s’inscrire sur une durée très longue.

Et si les plus dévôts d’entre les musulmans se substituent effectivement aux Français de souche dans certains quartiers, ces Francais ne disparaissent pas mais déménagent ailleurs sur le territoire, et les musulmans laicisés à leur suite. Ils ne sont donc pas « remplacés » mais « déplacés ». (Le meilleur déboulonnage du concept que j’aie trouvé est ici: bitly/libé)

Je l’ai écrit d’emblée, ce problème est insoluble. Il est assez réel pour que Macron lui-même, qui s’était présenté au départ comme plutôt comme un multicuturaliste à la Trudeau, fasse voter une loi contre le séparatisme et que ses services traquent et expulsent les Imams radicaux. Son ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, faisait récemment le compte de l’action anti-séparatiste: « 13 associations diffusant l’idéologie islamiste ont été dissoutes depuis 2017 », « sur les 2 500 lieux de culte musulman que compte notre pays, seuls 92 sont soupçonnés de séparatisme, 21 sont fermés ».

Toute la classe politique française admet que cette cohabitation de la France laique et de la France islamique pose problème et mérite qu’on s’y attarde, sauf, loin à gauche, Jean-Luc Melanchon. Il prône plutôt la créolisation générale de la population, une intention louable qui serait, en l’espèce, moins risible si les Imams des enclaves précitées ne dénonçaient pas l’exogamie comme un crime contre Dieu et contre le prophète.

La méthode Zemmour

Revenons à Zemmour. Il est le seul à prétendre à la fois que le Grand Remplacement est en marche (d’ici 2060 dit-il) et qu’il en détient le remède. Élu, il ferait valider par référendum le principe de l’immigration zéro, la réduction massive du droit d’asile, le renvoi dans son pays d’origine de tout immigrant ou détenteur de la double citoyenneté reconnu coupable d’un délit ou de tout immigrant qui chôme depuis plus de six mois. Qu’il aille chômer chez lui, dit Zemmour. Il retirera également toutes les aides de l’État équivalentes à l’aide sociale ou l’accès à des soins médicaux non urgents à tout résident qui n’aura pas cotisé aux régimes. Admettons que ces mesures permettent, à la marge, de réduire l’influx de nouveaux musulmans, si tant est qu’elles soient applicables, car notons que les pays d’origine refusent bruyamment de reprendre les ressortissants que la France tente de leur renvoyer.

Reste que cela ne fera rien pour faire disparaître les enclaves existantes. Que faire ? Zemmour estime que la France perd une partie de son identité puisqu’un nombre croissant d’enfants recoivent à la naissance des prénoms qui n’avaient pas cours aux heures bénies de Napoléon Bonaparte. Il interdirait donc les Mohamed et, ajoute-t-il avec mépris, les Kévin. Il existait effectivement depuis 1803 une loi qui obligeait les parents français à ne choisir que dans une liste de prénoms autorisés par l’État civil. La loi ne fut abrogée qu’en 1993. Zemmour la rétablirait, sans toutefois la rendre rétroactive.

Les enfants s’appelleraient donc Gérard plutôt que Yasser. Mais encore ? C’est là que la méthode Zemmour entre dans un épais brouillard. Il interdirait le port de tout signe religieux sur la place publique. Voiles, kippas, croix, turbans. Sauf pour les membres du clergé. (Avis à mes lecteurs laicisants: partisan de l’égalité de l’affichage de conviction, il m’apparaît absurde de permettre l’affichage politique ou social sur la place publique, mais non religieux. Je ne fais que deux exceptions: la prison ambulante pour femmes que constitue le Niqab et la Burqua, qui devrait être interdite au Québec comme elle l’est au Maroc, et le port de coiffes du Ku Klux Klan, véritables provocations racistes ambulantes. Pour le reste, sauf si vous travaillez dans l’État et sur les heures de travail, allez et affichez-vous !)

On n’ose songer au problème d’application de l’interdiction Zemmour. Ne faudrait-il pas des escouades de la moralité présidentielle dans ces quartiers, à l’image des gardiens islamistes iraniens qui, à l’inverse, intimident les femmes non voilées ? Ne faudrait-il pas des bataillons de gendarmes, voire le recours à l’armée ? Cette volonté de contrôle ne pourrait évidemment conduire qu’à un braquage. Zemmour, prétendant éviter la « guerre civile », serait assurément le déclencheur de conflits brutaux (localisés) et d’une recrudescence d’un terrorisme islamiste vengeur.

Mais voilà, il n’en a cure. Cela n’arriverait que s’il devenait effectivement président. Dans l’intervalle, le pourissement de la situation, l’absence de réponse crédible, ou du moins satisfaisante, des élites politiques, mettent la France en marche, non vers le grand remplacement, mais vers la Zemmourisation.

(Une version plus courte de ce texte fut publié dans Le Devoir.)


Mettez de l’histoire dans vos oreilles !

Cliquez pour commander. Autres titres disponibles.

En 1995, Jacques Chirac avait choisi son camp: le Québec

Jacques Chirac, Jacques Parizeau

Avec Jacques Parizeau et Philippe Séguin en janvier 1995, Chirac annonce aux journalistes que la France sera la première à reconnaître une victoire du Oui.

On dira ce qu’on voudra de Jacques Chirac. Et il y a beaucoup à dire. Mais sa fidélité au Québec aux moments cruciaux du référendum de 1995 fut en tous points remarquable. Objet d’énormes pressions de la part d’Ottawa, il a résisté et a choisi son camp: le Québec !

Son intervention prévue pour le soir du 30 octobre aurait eu un impact considérable sur la suite des choses.

C’est connu, Chirac était très ami avec Jean Pelletier, ex-maire de Québec devenu chef de cabinet de l’alors premier ministre Jean Chrétien.

Il était aussi en contact fréquent avec Paul Desmarais, qui lui annonçait alors la défaite certaine des souverainistes au référendum à venir. Lors de la visite de Jacques Parizeau à Paris en janvier 1995, Jacques Chirac nous racontait qu’il contredisait gentiment son ami Desmarais, estimant plutôt que les indépendantistes allaient surprendre.

Notre stratégie référendaire prévoyait qu’en cas de victoire du Oui, le Québec n’allait pas immédiatement proclamer son indépendance. Donc n’allait pas demander que d’autres pays « reconnaissent l’indépendance » du Québec. Ce ne serait qu’après un an, à la suite d’une tentative, fructueuse ou non, de négociations avec Ottawa, que nous allions déclarer l’indépendance et vouloir une reconnaissance.

Pour l’heure, nous demandions que les pays amis reconnaissent la décision politique de devenir indépendant.

Chirac avait bien compris. En janvier 1995, il nous avait beaucoup surpris. Dans notre rencontre privée, il avait assuré M. Parizeau qu’en cas de victoire du Oui, la France serait la première à reconnaître la décision, entraînant à sa suite plusieurs pays de la Francophonie. Préparant le point de presse qui allait suivre, il fut convenu qu’il allait publiquement rester vague à ce sujet alors hypothétique. Mais au micro, dès les premières questions, il déclara que, bien sûr, la France dirait oui au oui québécois, sans hésitation. «Les nations francophones […] et en particulier la France devraient être immédiatement aux côtés des Québécois et soutenir et reconnaître cette nouvelle situation». Nous étions aux anges !

Chirac n’était alors que maire de Paris et candidat potentiel à la présidentielle qui allait avoir lieu quatre mois plus tard, en mai. Les sondages le donnaient perdant. Le lendemain de sa déclaration, Jean Chrétien cru faire un bon mot en disant que « le Québec a autant de chance de devenir indépendant que Jacques Chirac de devenir président de la France! »  Chirac fut élu.

Arrivé à l’Élysée, allait-il changer de position ? C’est ce que voulait Ottawa. Mais à quelques jours du vote, le 23 octobre 1995, Chirac répondit aux questions de Larry King, sur CNN, à ce sujet. Il affirma avec aplomb que son pays allait reconnaître « le fait » que les Québécois ont choisi l’indépendance. Ce qui a rendu Jean Chrétien furieux.

Un rôle essentiel

La position française était essentielle car nous prédisions que Jean Chrétien, le soir d’une victoire du Oui, allait refuser d’admettre que les Québécois avaient choisi l’indépendance, par leur vote majoritaire. Chrétien a confirmé par la suite que telle aurait été son attitude.

L’opinion publique québécoise et canadienne, les réseaux diplomatiques n’avaient absolument pas été préparés à l’éventualité d’un tel refus de la part d’Ottawa. D’autant que dans deux discours prononcés au cours des derniers jours de la campagne référendaire, Chrétien avait donné un avis contraire: « Demeurer Canadiens ou ne plus l’être, rester ou partir, voilà l’enjeu du référendum ». Il avait ajouté: « d’un bout à l’autre du Canada, les gens savent que cette décision est entre les mains de leurs concitoyens du Québec. »  Il a parlé finalement d’une décision « sérieuse et irréversible ».

Nous avions donc un scénario où, le soir de la victoire du Oui, les électeurs québécois et les observateurs étrangers entendraient : 1) Monsieur Parizeau dans son discours préenregistré très décidé mais très digne et pragmatique, confirmant chaque étape de la voie à suivre; 2) Jean Chrétien refusant de reconnaître la décision, surprenant tout le monde.

Qui le contredirait immédiatement ?

La France, quatrième puissance mondiale, membre de l’OTAN et du G7, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

Depuis plusieurs jours je coordonnais, côté québécois, la négociation du texte que l’Élysée allait émettre. L’ex-ministre Jacques-Yvan Morin était notre envoyé spécial, travaillant avec notre délégué général Claude Roquet en collaboration serrée avec le président de l’Assemblée nationale Philippe Séguin, ami de Chirac et indépendantiste déclaré.

Nous savions que l’ambassade canadienne et le bureau du premier ministre Chrétien tentaient par tous les moyens d’intervenir. On nous avisa même qu’un diplomate canadien évoqua la possibilité d’une rupture des relations diplomatiques Canada-France en cas d’appui français au Oui québécois.

Un texte audacieux de l’Élysée

La négociation ne fut pas ardue. Nous étions en présence, à Paris comme à Québec, de gens qui souhaitaient s’entendre sur un libellé mutuellement satisfaisant. J’ai même fait savoir que nous n’aurions aucune objection à ce que le communiqué évoque la volonté française de maintenir de bons liens d’amitié avec Ottawa par la suite. Nous voulions nous-mêmes un partenariat Québec-Canada. Alors…

Tel que rédigé, le texte nous allait parfaitement. Le voici:

« La France prend acte de la volonté démocratiquement exprimée par le peuple du Québec, le 30 octobre 1995, de devenir souverain après avoir formellement offert au Canada un nouveau partenariat économique et politique. Lorsque l’Assemblée nationale du Québec en viendra à proclamer la souveraineté du Québec selon la démarche prévue par la question référendaire et maintenant entérinée majoritairement par le peuple québécois, la France en tirera amicalement les conséquences.

Soucieuse que ce processus se déroule dans les meilleures conditions, la France tient à réaffirmer son amitié au Canada et à son gouvernement. Ils peuvent être assurés de notre volonté de maintenir et d’approfondir les excellentes relations qui nous lient. »

Il faut noter l’audace. La France ne se limite pas ici à reconnaître la décision démocratique, sachant qu’elle déplaira puissamment au Canada, pays du G7 et de l’OTAN. Elle prend même un engagement envers un événement hypothétique. Lorsque le Québec proclamera la souveraineté, elle « en tirera amicalement les conséquences ». . L’hypothèse sous-entendue est que le Canada, lui, pourrait ne pas reconnaître la déclaration du Québec. La France signale à l’avance que, dans tous les cas de figure, son « amitié » ira au Québec. Subsiste, ici le volontarisme gaulliste. C’est Vive le Québec libre ! deuxième acte.

Notre propre travail de défrichage auprès des pays membres de la Francophonie, coordonné par notre infatigable sherpa Michel Lucier, nous donnait à penser que, dans les 48 heures qui suivraient et compte tenu de coup de tonnerre de Jacques Chirac (qui probablement en rajouterait en parlant aux médias le lendemain), plus d’une dizaine de pays de la Francophonie reprendraient à leur compte les mots du communiqué Élyséen.

Le sort de la souveraineté du Québec allait bien sûr se jouer au Québec et au Canada. Mais l’intervention de Chirac aurait énormément compliqué le travail de sape prévu — mais non préparé — de Jean Chrétien. J’ai raconté dans mon ouvrage « Octobre 1995 – Tous les espoirs, Tous les chagrins », comment ni Washington, ni Londres, n’étaient avisés d’un possible refus de Chrétien de reconnaître la victoire du Oui.

L’irruption très précoce de la France dans le débat allait avoir un effet refroidissant sur les capitales européennes, au premier chef l’Allemagne. Probablement invités, par Ottawa, à appuyer la position canadienne, la plupart de ces pays auraient choisi le mutisme le plus complet.

Au Québec, le refus démocratique de Chrétien aurait créé un ressac fort et nous avions prévu la sortie rapide d’un bon nombre de partisans du Non qui allaient réclamer le respect de la décision démocratique québécoise. L’appui du président de la France allait leur donner une caution utile.

La partie n’était pas jouée. Nous savions qu’après avoir gagné le référendum, il nous faudrait ensuite gagner la souveraineté. Mais, beaucoup grâce à Chirac, au soir du 30 octobre 1995, la partie se serait ouverte à 1 à 0 pour le Oui.


Ma dernière balado vous attend. En voici la bande annonce:

Comment faire des milliards à la mode Albert Frère et Desmarais ?

Comment s’enrichir, lorsqu’on est déjà riche, en siphonnant des centaines de millions à des institutions publiques ? Denis Robert (qui a mis au jour le scandale Clearstream) et Catherine Le Gall démontent patiemment le mécanisme privilégié par Albert Frère (principalement) et son partenaire de longue date Paul Desmarais.

À travers quatre transactions économiquement inexplicables réalisées pendant les années 2000, les journalistes d’enquête ouvrent le sac à outils de ceux qu’ils appellent des prédateurs – car ils ne créent pas de produit, de service, de valeur, seulement des échafaudages financiers qui leur rapportent gros et qui vident les caisses d’institutions publiques.

Des questions sans réponse

Pourquoi l’équivalent français de la Caisse de dépôts achète-t-elle à Albert Frère sa chaîne de fast-food Quick et, surtout, pourquoi l’achète-t-elle plus de deux fois sa valeur ?

Pourquoi la brésilienne Pétrobras achète-t-elle pour 1,5 milliards de dollars US une raffinerie texane vétuste achetée peu avant par Albert Frère pour… 42 millions ? Une culbute de 1590% ?

Pourquoi la compagnie publique française de l’uranium Areva achète-t-elle pour 2,5 milliards d’euros une nouvelle entreprise d’uranium qui ne possède que des terrains inexploitables ? Mais dont les financiers sont liés à Frère et Desmarais ?

Pourquoi, finalement, le gouvernement français pousse-t-il le joyaux public Gaz de France dans les bras de l’entreprise chevrotante Suez, contrôlée par le couple Frère-Desmarais ?

Ces États en avaient-ils vraiment besoin ?

La logique économique est complètement absente de chacune de ces transactions. Chaque fois, il s’agit de colossaux transferts de richesse d’institutions publiques vers des coffres privés.

Chaque fois, les bénéficiaires des transactions ont placé au sein des institutions publiques visées des gens qui leur sont proches et qui vont diriger la manœuvre de l’intérieur. Chaque fois, des consultants externes, parfois anonymes et toujours opaques, vont grossièrement surévaluer l’entreprise sur le point d’être achetée à prix d’or. Chaque fois, des clauses étranges sont placées dans les contrats pour faire pencher la balance en faveur des spoliateurs.

Impossible que ces transactions aient lieu sans que plusieurs acteurs politiques ferment les yeux.

Dans le cas de Pétrobras, il est avéré que Frère a généreusement contribué à la caisse électorale de Dilma Roussef, alors présidente du CA de Pétrobras, future présidente brésilienne qui sera accusée de corruption et destituée.

Dans le cas de l’uranium, la présence de la présidente du CA de la compagnie publique Areva sur des CA de compagnies de Frère et Desmarais est notable.

Dans le cas de GDF, l’ami intime des Frère et Desmarais, Nicolas Sarkozy, hier défavorable à la privatisation, en est devenu un des principaux héraults !

Touffu mais loufoque

À travers ces récits parfois touffus et techniques, on voit aussi comment la justice (sauf brésilienne) est parfois hésitante à remonter les filières de ces scandales et semble muselée à des moments cruciaux.

On voit surtout comment ceux qui tirent les ficelles, en haut de la pyramide de la prédation, semblent parfaitement intouchables, tellement ils manipulent avec talent les rouages compliqués des montages financiers, des corporations écrans, des consultants conciliants et des avocats aguerris.

L’enquête n’est pas seulement une accusation contre les prédateurs mais une mise en cause de tous les facilitateurs et de l’échec des garde-fous qui auraient du, qui auraient pu, dans chaque cas, faire échec à la prédation.

Un livre très très éclairant.

Disponible en librairie ici.


Pour les autres recensions, c’est ici.

Pour s’abonner à l’infolettre du blogue et profiter d’offres spéciales sur La boîte à Lisée, c’est ici.


Pour obtenir le livre applaudi par la critique, en version imprimée, audio ou numérique, allez sur laboitealisee.com ou cliquez sur l’image ci-haut et obtenez mon dernier ouvrage, avec une réduction de 10% et une dédicace personna-lisée 😉