Les accents gaulliens de Gabriel Attal

Les parlementaires québécois suivaient avec attention, jeudi, le discours du premier ministre français. Les mots choisis étaient forts, offrant aux liens franco-québécois une couleur d’éternité, de jeunesse éternellement renouvelée. Il se passa quelque chose lorsque l’invité d’honneur déclara ce qui suit : « Certains pensaient sans doute que le français avait pour vocation à disparaître de la carte de l’Amérique du Nord. Ils ne connaissaient pas les Québécois… »

Il ne put finir sa phrase tant les parlementaires exprimèrent spontanément, et bruyamment, leur accord. On n’en parle jamais, mais tapi au fond de la conscience québécoise se cache le sentiment profond d’être des rescapés de l’histoire, des évadés de la disparition, des survivants. Il suffit que quelqu’un nous le rappelle pour que jaillisse une fierté venue du fond des temps.

De Gaulle avait soulevé une foule de 10 000 personnes réunie à la grande place d’Expo 67 en usant de mots semblables, sur le risque de défaite définitive auquel ont fait face les habitants de la Nouvelle-France, une fois soldée la conquête anglaise. « On pourrait croire que ce passé ayant été marqué d’une telle douleur, Montréal aurait perdu son âme française dans le doute et dans l’effacement, a-t-il dit. Miracle ! Il n’en a rien été. »

L’amitié de la France, la fraternité, le commerce et tout ça, c’est bien, c’est bien. Mais il y a mieux. Beaucoup mieux. Avant de Gaulle, aucun chef d’État étranger n’avait démontré autant d’égard envers les représentants des Canadiens français — Jean Lesage, Daniel Johnson — que lui. Sa venue au Québec en 1967 représentait pour les francophones, au complexe d’infériorité patent, économiquement dominés, linguistiquement opprimés, politiquement marginalisés, l’inédite reconnaissance, par un géant de l’histoire, de leur valeur.

À Québec, puis tout le long du Chemin du Roy, il a vanté à chaque discours la résilience canadienne-française — « une persévérance inouïe », disait-il — à travers deux siècles d’isolement. De Gaulle venait dire aux Québécois qu’il reconnaissait non seulement la force dont ils avaient fait preuve dans l’histoire, mais l’éclat de leur renaissance, depuis le début des années 1960. Il allait jusqu’à leur dire que, si la France voulait se tenir aux côtés de ce nouveau Québec, c’est aussi qu’elle avait besoin de lui, de sa modernité, de sa jeunesse, de son énergie, pour construire de concert un avenir francophone commun. Bref, le général offrait aux Québécois ce dont ils étaient le plus assoiffés : le respect.

Le discours de Gabriel Attal a repris ces thèmes, vantant en particulier la jeunesse québécoise, le sang des jeunes soldats, notamment du 22e Régiment, versé pour contribuer, deux fois, à sauver la France. Du respect, et de la reconnaissance. Voilà encore, pour les Québécois de 2024, des denrées rares.

Ce serait déjà beaucoup. Mais il y a aussi, plus rare encore, la contrition. Lorsqu’avec « Vive le Québec libre ! », de Gaulle a commis, du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, une des plus grandes ingérences dans la vie d’un pays allié de l’histoire des démocraties, il en était à sa troisième visite. Il était d’abord venu après la libération, en 1944, puis en 1960, juste avant l’élection qui allait porter au pouvoir les révolutionnaires tranquilles.

Ce séjour l’emmena devant le monument des plaines d’Abraham qui commémore le combat de 1759, celui qui fera qu’on ne parle plus de la Nouvelle-France qu’au passé. Alors que le grand Charles tenait la pose pendant les discours d’usage, revenant sur le récit des combats, son aide de camp, François Flohic, entendit l’aide de camp du lieutenant-gouverneur du Québec, le colonel Martin, lui glisser à l’oreille : « C’est alors que vous autres, maudits Français, vous nous avez abandonnés ! » Flohic, sonné, relata peu après l’anecdote à son président.

Il ne le prend pas mal, car il partage cet avis. « Louis XV avait bien les moyens d’envoyer d’autres troupes après la mort de Montcalm, pour permettre à Lévis de l’emporter sur les Anglais, confia-t-il à un diplomate en juillet 1967. Il a eu la légèreté de céder à la dérision de la Cour, qui se moquait, comme Voltaire, de “quelques arpents de neige vers le Canada”. Il a abandonné nos soixante mille colons à leur sort. C’est une action peu honorable, il fallait l’effacer. »

Gabriel Attal a entamé son discours en évoquant Cartier et Champlain. Prisonnier de la chronologie, il ne pouvait éviter ce moment douloureux. Il le fit en citant René Lévesque, qui parla « de deux siècles où se construisit un fossé d’ignorance et de méconnaissance ». Attal a enchaîné : « Une éclipse, de deux siècles. Une éclipse coupable. » La beauté de cette prise de culpabilité tient au fait qu’elle n’était ni attendue ni nécessaire. Donc, généreuse. Une vieille querelle, une vieille rancoeur, oubliée en 2024, mais toujours vivace en 1967. Le maire Jean Drapeau avait fait preuve d’un cran surhumain en répliquant à de Gaulle, le surlendemain de son envolée du balcon : « Nous avons appris à vivre seuls pendant deux cents ans d’abandon. » Il rappela que, dans l’élite française, le sort du peuple québécois « n’a jamais fait, jusqu’à vous, Monsieur le Président, l’objet d’un intérêt particulier ». Donc, « il n’y a pas de gratitude à souligner envers les gouvernements français successifs ». Dur.

Les vérités ont donc toutes été dites il y a bientôt 60 ans. Il fallait au plus jeune premier ministre de l’histoire de la République française — à ses conseillers et à ses scribes — une profondeur de vue, une volonté d’aller au fond des choses, une connaissance fine, peut-être, de la psyché québécoise, pour choisir d’insérer dans un discours par ailleurs très moderne ces balises historiques qui ont peu à voir avec les transactions, contrats ou bonnes manières, et tout à voir avec l’ancrage historique qui font que deux nations ont forgé ensemble, à travers drames, déchirements et raccommodements, une relation d’une épaisseur telle qu’elle permet à M. Attal d’annoncer que « rien ni personne ne pourra la rompre », car cette éclipse ancienne, « je le crois très profondément, jamais ne se reproduira ». Le Général serait fier de lui.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

2 avis sur « Les accents gaulliens de Gabriel Attal »

  1. Excitement intellectuel inutile et décalé. Pour la France, le territoire du Québec n’est encore qu’une colonie perdue dans l’histoire. La France nous a abandonné sous Louis XV et ses successeurs. Je ne crois absolument pas aux discours bien lichés, aux phrases chocs pour leur politique interne et pire, aux ententes politiques signées pour le bon plaisir des politiciens et hauts fonctionnaires, de part et d’autre, pour se payer de beaux voyages politico touristiques inutiles. La France est en quasi faillite, concentrons nos $$$ et efforts ailleurs, là où l’avenir se construit.

  2. Nous vous suivons, mon épouse et moi de façon continue depuis de nombreuses années. Nous avons respectivement -mon épouse Louise, 80 ans (toulousaine de naissance) et moi-même 86 ans. Nous avons émigré de France au Québec en 1964 (en pleine révolution tranquille). Nous nous sommes magnifiquement intégrés au peuple québécois dès les premières années (il est vrai que nos trois enfants sont tous nés à Montréal… ce qui aide quelque peu). Nous avons presqu’immédiatement réalisé que la seule issue pour le Québec était l’INDÉPENDANCE. Ainsi, nous sommes devenus membres du PQ dès 1969. Nous vous avons toujours appuyé et apprécions particulièrement votre performance dans ‘Mordus de politique’, face à quatre fédéralistes purs et durs. (J’y inclus Sébastien Bovet), Nous sommes persuadés que vous aurez un rôle de premier ordre dans un Québec Indépendant. Nous pensons de plus que PSPP a raison de tenir le discours ‘volontaire’ et ‘sans équivoque’ qu’il tient actuellement. Les conditions ont tellement changé depuis la tentative de 1980 que nous restons particulièrement OPTIMISTES sur le résultat du prochain référendum. 1- le PLQ et le PLC sont agonisants chez les francophones 2- Le futur PM du Canada est un Albertain dont l’Impact chez les québécois francophones sera faible 3- Les porte-parole du NON sont extrêmement faibles sinon inexistants. 4- Nos propres porte-parole, au contraire… PSPP et Blanchet sont très déterminés 5- Les québécois francophones sont de plus en plus conscients que le Canada fédéral est devenu un POIDS pour l’avenir du Québec. 6- un dernier point… les jeunes québécois sont bien plus instruits que ne l’étaient leurs parents et grands-parents et beaucoup moins ATTACHÉS au Canada.
    Nous voulions, à titre d’ANCIENS, vous donner nos impressions concernant l’avenir de ce magnifique PAYS en gestation que sera le Québec Indépendant. Au plaisir de vous lire, nous vous saluons amicalement.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *