Les dividendes de la peur

Alors c’est fait : une majorité monstre d’électeurs républicains des primaires ont jugé que la personne la plus apte à incarner leurs valeurs et leurs espoirs pour conduire leur parti à la victoire et pour rendre l’Amérique à nouveau grandiose est Donald Trump. Certes, il fut reconnu coupable de malversations financières, d’agression sexuelle et de diffamation, il est accusé d’avoir volé et disséminé des documents secrets, d’avoir tenté de corrompre des agents électoraux (plusieurs de ses coaccusés ont plaidé coupables) et d’avoir fomenté un coup d’État, heureusement raté. Mais, vous me direz, personne n’est parfait.

Maintenant que Trump a regagné son parti et placé à la codirection sa belle-fille Lara Trump, qui invite tous ses détracteurs à quitter le navire, il est utile de rappeler la symbolique qu’il a choisie pour le point de départ de sa campagne 2024. Sa première assemblée fut organisée au Texas, dans la ville de Waco, rendue célèbre en 1993 par une secte anti-État armée jusqu’aux dents. Après une résistance de 51 jours à toute arrestation par le FBI, l’affrontement s’est soldé par la mort de 82 membres de la secte, dont 25 enfants, et de quatre agents fédéraux.

La célébration de la violence par Trump n’est pas anecdotique. C’est un thème fort. Pendant sa première campagne, il a invité des membres de son assemblée à frapper (punch) un chahuteur. Il a reproché aux policiers d’être trop tendres lors des arrestations. Pendant son mandat, il a demandé à son secrétaire à la Défense pourquoi on ne pouvait pas disperser des manifestants regroupés devant la Maison-Blanche en les tirant dans les jambes à balles réelles. Récemment, il a annoncé que sous sa présidence, un suspect de vol qui sort d’un commerce devrait s’attendre à être exécuté sur-le-champ.

Quel aspect de cet événement Trump voulait-il célébrer ? Le doute fut levé lorsque l’hymne national américain fut entonné pendant l’assemblée par une chorale formée des participants de l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole, retransmis de leur prison. Trump avait la main sur le coeur alors que défilaient sur grand écran des scènes de la tentative de coup d’État. Trump a promis, s’il est élu, de les gracier tous. Il avait l’habitude de les appeler des « patriotes », il dit maintenant qu’ils sont des « otages ».

L’efficacité politique de la violence est décuplée non par les coups réellement portés, mais par la peur d’en recevoir. À mesure que les langues se délient et que les témoignages apparaissent, on commence à prendre la mesure de l’importance de cette peur dans les décisions politiques d’élus républicains.

Elle était à l’oeuvre au Sénat, peu après les événements du 6 janvier, lorsqu’il fallait décider de voter, ou non, la destitution de Donald Trump. Mitt Romney, républicain de l’Utah critique de l’ex-président, a raconté à son biographe qu’un de ses collègues républicains envisageait de voter pour la destitution, comme il s’apprêtait lui-même à le faire. Il suffisait que deux sénateurs républicains se joignent au vote pour que Trump soit destitué. Le Sénat aurait pu dans la foulée lui interdire d’être à nouveau candidat à la présidence. Romney rapporte une discussion où plusieurs sénateurs républicains affirmaient craindre pour leur sécurité et celle de leurs enfants. Le sénateur incertain fut ainsi convaincu de ne pas courir ce risque. Trump l’emporta par 52 contre 48.

La républicaine dissidente Liz Cheney rapporte qu’il y a eu des conversations identiques à la Chambre des représentants. « Des députés m’ont dit qu’ils craignaient pour leur sécurité, et dans certains cas, pour leur vie. » Un des républicains de la Chambre qui a voté pour la destitution, Peter Meijer, s’est acheté le lendemain un gilet pare-balles et a modifié ses trajets habituels. Un autre, lorsqu’il fut avisé que lui et sa famille devaient, après ce vote, désormais faire l’objet d’une protection policière augmentée compte tenu du niveau de menace, a choisi de ne pas se représenter.

La peur a aussi joué un rôle dans les États où des républicains de renom ont signé des lettres appuyant la fausse thèse de l’élection volée. En Pennsylvanie, une leader républicaine, Kim Ward, a expliqué la chose ainsi : « Si j’avais dit “je refuse”, ma résidence aurait été détruite ce soir-là. »

L’ancien secrétaire américain au Travail et universitaire Robert Reich, que je remercie d’avoir recensé ces témoignages sur sa page Substack, raconte avoir demandé à un ami, ancien sénateur républicain, pourquoi les élus modérés comme lui étaient restés silencieux au sujet des dérives de Trump. « Après une pause, il m’a dit : “Certains de ses partisans sont des tarés [nuts], et ils sont armés.” J’ai ri, pensant qu’il blaguait. Il était sérieux. “Ils sont comme la mafia, ils sont dangereux, a-t-il ajouté, et Trump est leur parrain.” »

Les messages du parrain passent aisément. En août dernier, furieux contre les procureurs et les juges qui l’obligent à répondre de ses actes en cour, il a écrit sur son réseau social, en capitales : « SI VOUS ME VISEZ, JE VAIS VOUS VISER » (« IF YOU GO AFTER ME, I’M COMING AFTER YOU »). Le lendemain, un de ses juges recevait un message sur sa boîte vocale : « Si Trump n’est pas élu en 2024, nous allons venir vous tuer. » Le surlendemain, un procureur et un shérif liés à un de ses procès recevaient un message semblable. Et lors de la récente élection pour la présidence de la Chambre des représentants, un des députés refusant d’appuyer le candidat de Trump a rendu public le message téléphonique, obscène, reçu par sa conjointe et la menaçant de harcèlement s’il refusait de se ranger.

Les républicains du Kansas, récemment réunis, ont compris le message. Ils ont mis à la disposition de leurs militants un buste de Joe Biden en caoutchouc pour qu’ils s’amusent publiquement à lui asséner des coups de poing et des coups de pied. Cela promet.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

12 avis sur « Les dividendes de la peur »

  1. Je suis aussi attristé par le fait que « presque » la moitié des électeurs pense comme lui. Ça me laisse perplexe !…et inquiet.

    Un doublon ! bin voyons don

  2. Monsieur Lisée Vous répètez les idées des médias anti Trump en twistant la vérité et vous me désappointez beaucoup !
    Vous êtes un triste personnage d’être si peu informé!! Ou vous êtes volontairement un perroquet de la gauche sans morale!!

  3. Pour Trump je crois que la seule façon de lui enlever son auréole de victime c’est de prouver que les boîtes de documents qu’il a dérober lors de son départ de la maison blanche est en lien avec sa participation au 11 septembre. Dommage que Collin Powel est décédé car il était le seul à tout connaître de cette grande supercherie américaine. Trump était bien « obligé » d’y participer vue le deal qu’on lui faisait : Éponger une dette de 900 millions de dolards et de le sortir des griffs de la mafia dans sa mésaventure de l’achat de Casino. Bref, je crois que la femme de Powel doit détenir des preuves accablantes pour Trump écrites dans son journal de général des armés….c’est pour ça que Trump n’as jamais aimé Obama car celui-ci s’avait tout ça. Colin Powel était au centre de cet événement depuis Clinton et Trump comme propriétaire de Building a New York était le mieux placé pour « organiser » la logistique sur le terrain.

  4. Bravo! Belle image de Trump! Pour le reste, désolé, mais vous vous trompez, vous êtes sur la mauvaise piste. Trump est maga-magnifique, notre meilleur espoir, non seulement adorable en soi, mais également notre meilleure protection contre la globalisation ainsi que contre l’abolition de la liberté de la parole, voire de la pensée! Espérons qu’il choisisse Tulsi Gabbard comme colistière.

    • Vous entrez, dans la liberté de parole, les mensonges, les faussetés, les fausses déclarations, les menaces, les incitations à la violence, les incitations aux viols? Bravo monsieur, vous vous dévoilez!

  5. C’est clair : 1860-1865 s’en revient au galop.

    Reste à savoir lequel de Brutus (assassin de César pour la démocratie) ou de John Wilkes Booth (assassin de Lincoln contre la démocratie) va finir la querelle.

    Jacques Légaré
    ph.d. en philosophie politique

    • Je ne crois pas à la guerre civile. Si Trump reprend le pouvoir le totalitarisme va simplement s’installer aux U.S.A. comme c’est le cas dans de nombreux autres pays depuis le début du 20ième siècle. La démocratie aura été un bref épisode dans l’histoire de l’humanité.

  6. Triste constat, mais encore plus triste c’est l’énorme quantité des gens qui pensent comme lui. Au bas mot la moitié des électeur….

    • Pas tout à fait la moitié.
      46.1% en 2016
      46.7% en 2024.
      Dans les deux cas, moins que le/la candidat(e) démocrate.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *