Zemmour: le cavalier de l’insoluble (intégral)

Il faudrait l’intercession combinée des fantômes de Napoléon et de Jeanne d’Arc, ses héros, pour que la nouvelle vedette de la politique française, Eric Zemmour, soit élu président de la République française en mai prochain. La stabilité avec laquelle les enquêtes d’opinions donnent plusieurs dizaines de points d’avance au pourtant mal-aimé président Emmanuel Macron dans un match l’opposant à Zemmour sont convaincants.

Mais cette élection n’est qu’une étape vers un assaut présidentiel plus vraissemblable de Monsieur Z lors de l’élection suivante, en 2027. L’enjeu, en mai, dans la dynamique des élections à deux tours (mon système favori) est que ce survenant accède au second tour, donc au débat qui l’opposerait au meneur, Macron. C’est statistiquement possible, car il habite la marge d’erreur avec la candidate de la droite classique, Valérie Pécresse, et l’héritère du Front National (renommé Rassemblement National), Marine Le Pen. (Suivez comme moi l’évolution des sondages ici.)

Un horizon favorable

L’important pour lui est justement qu’au lendemain de ce scrutin, l’horizon va s’éclaircir. L’incapacité de Le Pen de porter son mouvement au pouvoir, apres une troisième tentative, sonnera le glas de sa carrière (qu’elle le reconnaisse ou non). Ses troupes, 15% de l’électorat, se replieront naturellement et massivement vers l’étoile montante Zemmour et son nouveau parti, Reconquête, lui offrant un socle d’environ le tiers des électeurs, devenant la première force politique française. La capacité de son parti, dans les élections municipales, régionales, européennes qui ponctueront le second et dernier quinquennat de Macron permettront de suivre son enracinement.

Car voilà, Macron tirera sa révérence en 2027, c’est la règle. Il aura des successeurs potentiels de bon calibre, notamment son ancien premier ministre Édouard Philippe. Mais le macronisme, cette méthode de gouvernement qui ne se définit que par les états d’âme du moment de son inventeur, ne peut que se dégonfler une fois celui-ci reparti dans les conseils d’administrations financiers dont il est issu. Zemmour ne manquera pas d’adversaires, certes. Mais aucun ne sera, cette fois, invincible.

Les enclaves islamisées

Son principal atout réside en une donnée que personne n’ose nommer et qui ne fera que croître avec les années: le caractère insoluble de ce qu’on appelle là-bas de façon très désagréable (pour moi, du moins) le « séparatisme ». Il s’agit du développement d’enclaves urbaines, en banlieue des grandes villes, ou, une fois franchie une rue ou un boulevard, on se croirait en Iran, en Arabie ou en Afghanisatn. Des lieux ou toutes les femmes sont voilées et absentes des cafés ou des places, des lieux ou l’Imam arbitre les différents et règle les conflits selon les préceptes de la loi Islamique. La langue commune y est l’arabe et, sur les écrans plasma, on vit le soir au rythme des images venues de contrées ou regne le croissant d’or. Des associations de femmes, y compris musulmanes, résistent avec des manifestations « à moi la rue ».

Combien y a-t-il de ces enclaves ? Toutes les grandes villes du monde possèdent des Chinatowns qui semblent également vivre selon des règles impénétrables pour les entrangers et Paris a son quartier juif qui défie le temps et les modes. Lors de mon premier séjour aux États-Unis, pays du melting-pot, j’ai été renversé de constater qu’à Boston, Chicago ou Philadelphie, en plus, bien sûr, de quartiers blancs et noirs distincts, chacun savait ou étaient les quartiers polonais, italiens, irlandais, latinos, bien vivants après plusieurs générations d’établissement.

Le problème n’est pas le fait, assez courant, d’être regroupé dans la ville par ethnie ou par religion. Il réside plutôt dans le niveau d’adhésion ou de rejet de la norme commune. L’islamisme radical présente,  selon les mots d’Emmanuel Macron,  « une volonté revendiquée, affichée, une organisation méthodique, pour contrevenir aux lois de la République et créer un ordre parallèle, ériger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société, séparatiste dans un premier temps, mais dont le but final est de prendre le contrôle complet. »  

En décembre, un sondage Ifop révélait les progrès de cette approche : les deux tiers des élèves musulmans du secondaire estiment que les normes et règles édictées par leur religion « sont plus importantes que les lois de la république ».  La même proportion estime que leur « religion est la seule vraie religion ». Puis il y a la question de la décapitation, en 2020, de l’enseignant Samuel Paty qui avait montré en classe des caricatures de Mahomet pour parler de liberté d’expression. Si une écrasante majorité de lycées musulmans condamnent l’acte (75%), il en reste 12% qui condamnent mais « partagent certaines des motivations » de l’auteur du meurtre, 9% qui se disent « indifférents » et 4% qui ne condamnent tout simplement pas.

La chose est d’autant plus inquiétante que de la frange islamique radicalisée, sourd quelque fois par an en France un crinqué qui décide, ici, d’attaquer au couteau un gendarme, là, de faire rouler un camion sur la foule, là encore, de décapiter un professeur. Aucun cas semblable n’est issu de la frange radicalisée des quartiers juifs ou chinois.

Une majorité des Français croient au Grand remplacement

La récurrence de ce phénomène est tel que plus de 6 français sur 10 tiennent désormais pour avérée la théorie du « Grand ramplacement » selon laquelle on serait à quarante ou cinquante ans seulement de la mise en minorité des français non-musulmans, ou du moins des français de moins de quarante ans.

La popularité de Zemmour et de ces thèses surfe sur cette incroyable vague. Elle ne résiste pas à l’examen. Ces calculs supposent que 100% des Français issus de l’immigration de pays musulmans soient croyants et pratiquants et le restent. C’est faux. Au point d’entrée, seulement 80% le sont (une partie choisissent de venir en France justement pour quitter leur environnement religieux). À la génération suivante, les incroyants passent de 20 à 35%. Les jeunes femmes en quête de liberté s’échappent de ces enclaves, souvent au prix de déchirements familiaux, pour goûter la liberté. L’autre calcul fautif repose sur la fécondité beaucoup plus forte chez les immigrées musulmanes (de 3 à 4 enfants par femme) que chez les autres (moins de 2). Or, dès la seconde génération, les femmes adoptent le comportement moyen, donc moins de deux enfants, ce qui casse la dynamique fantasmée du Grand remplacement. Globalement, les musulmans ne formant, selon les calculs induits — le recensement français interdit de faire préciser l’origine ethnique — qu’entre 3 et 7,5 % de la population, la distance remplaçant cette proportion de l’acquisition d’une majorité semble soit infranchissable, soit s’inscrire sur une durée très longue.

Et si les plus dévôts d’entre les musulmans se substituent effectivement aux Français de souche dans certains quartiers, ces Francais ne disparaissent pas mais déménagent ailleurs sur le territoire, et les musulmans laicisés à leur suite. Ils ne sont donc pas « remplacés » mais « déplacés ». (Le meilleur déboulonnage du concept que j’aie trouvé est ici: bitly/libé)

Je l’ai écrit d’emblée, ce problème est insoluble. Il est assez réel pour que Macron lui-même, qui s’était présenté au départ comme plutôt comme un multicuturaliste à la Trudeau, fasse voter une loi contre le séparatisme et que ses services traquent et expulsent les Imams radicaux. Son ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, faisait récemment le compte de l’action anti-séparatiste: « 13 associations diffusant l’idéologie islamiste ont été dissoutes depuis 2017 », « sur les 2 500 lieux de culte musulman que compte notre pays, seuls 92 sont soupçonnés de séparatisme, 21 sont fermés ».

Toute la classe politique française admet que cette cohabitation de la France laique et de la France islamique pose problème et mérite qu’on s’y attarde, sauf, loin à gauche, Jean-Luc Melanchon. Il prône plutôt la créolisation générale de la population, une intention louable qui serait, en l’espèce, moins risible si les Imams des enclaves précitées ne dénonçaient pas l’exogamie comme un crime contre Dieu et contre le prophète.

La méthode Zemmour

Revenons à Zemmour. Il est le seul à prétendre à la fois que le Grand Remplacement est en marche (d’ici 2060 dit-il) et qu’il en détient le remède. Élu, il ferait valider par référendum le principe de l’immigration zéro, la réduction massive du droit d’asile, le renvoi dans son pays d’origine de tout immigrant ou détenteur de la double citoyenneté reconnu coupable d’un délit ou de tout immigrant qui chôme depuis plus de six mois. Qu’il aille chômer chez lui, dit Zemmour. Il retirera également toutes les aides de l’État équivalentes à l’aide sociale ou l’accès à des soins médicaux non urgents à tout résident qui n’aura pas cotisé aux régimes. Admettons que ces mesures permettent, à la marge, de réduire l’influx de nouveaux musulmans, si tant est qu’elles soient applicables, car notons que les pays d’origine refusent bruyamment de reprendre les ressortissants que la France tente de leur renvoyer.

Reste que cela ne fera rien pour faire disparaître les enclaves existantes. Que faire ? Zemmour estime que la France perd une partie de son identité puisqu’un nombre croissant d’enfants recoivent à la naissance des prénoms qui n’avaient pas cours aux heures bénies de Napoléon Bonaparte. Il interdirait donc les Mohamed et, ajoute-t-il avec mépris, les Kévin. Il existait effectivement depuis 1803 une loi qui obligeait les parents français à ne choisir que dans une liste de prénoms autorisés par l’État civil. La loi ne fut abrogée qu’en 1993. Zemmour la rétablirait, sans toutefois la rendre rétroactive.

Les enfants s’appelleraient donc Gérard plutôt que Yasser. Mais encore ? C’est là que la méthode Zemmour entre dans un épais brouillard. Il interdirait le port de tout signe religieux sur la place publique. Voiles, kippas, croix, turbans. Sauf pour les membres du clergé. (Avis à mes lecteurs laicisants: partisan de l’égalité de l’affichage de conviction, il m’apparaît absurde de permettre l’affichage politique ou social sur la place publique, mais non religieux. Je ne fais que deux exceptions: la prison ambulante pour femmes que constitue le Niqab et la Burqua, qui devrait être interdite au Québec comme elle l’est au Maroc, et le port de coiffes du Ku Klux Klan, véritables provocations racistes ambulantes. Pour le reste, sauf si vous travaillez dans l’État et sur les heures de travail, allez et affichez-vous !)

On n’ose songer au problème d’application de l’interdiction Zemmour. Ne faudrait-il pas des escouades de la moralité présidentielle dans ces quartiers, à l’image des gardiens islamistes iraniens qui, à l’inverse, intimident les femmes non voilées ? Ne faudrait-il pas des bataillons de gendarmes, voire le recours à l’armée ? Cette volonté de contrôle ne pourrait évidemment conduire qu’à un braquage. Zemmour, prétendant éviter la « guerre civile », serait assurément le déclencheur de conflits brutaux (localisés) et d’une recrudescence d’un terrorisme islamiste vengeur.

Mais voilà, il n’en a cure. Cela n’arriverait que s’il devenait effectivement président. Dans l’intervalle, le pourissement de la situation, l’absence de réponse crédible, ou du moins satisfaisante, des élites politiques, mettent la France en marche, non vers le grand remplacement, mais vers la Zemmourisation.

(Une version plus courte de ce texte fut publié dans Le Devoir.)


Mettez de l’histoire dans vos oreilles !

Cliquez pour commander. Autres titres disponibles.

2 avis sur « Zemmour: le cavalier de l’insoluble (intégral) »

  1. Bonjour M. Lisée,
    J’ai bien aimé votre analyse de la situation en France autour de la candidature de Zemmour. Grâce à TV5, j’enregistre et je visionne des émissions d’affaires publiques françaises, comme « C dans l’air » ou sur Internet, des débats et des entrevues de fond.
    J’aimerais bien que de tels formats télévisuels, où on donne du temps pour fouiller un sujet, soient disponibles au Québec. Je regarde les « Mordus de la politique », « 24/60 » et autres émissions. Or, j’aimerais que plus de temps soit accordé aux sujets traités et qu’un plus grand nombre d’experts soient invités dans les grands débats télévisuels, de telle sorte que ce ne soit pas un duel entre 2 positions, mais plutôt un débat à plusieurs.
    Note: il y a des coquilles dans votre texte et quelques fautes d’orthographe. La correction automatique de l’orthographe en est peut-être la cause.
    Sous l’intertitre « La méthode Zemmour », vous avez écrit Le Grand Rassemblement. Je me demande si vous ne vouliez pas écrire, Le Grand Remplacement.
    Bonne fin d’hiver!
    Suzanne Cotte

  2. Cette nouvelle donne en France que serait la « Zemmourisation » s’apparente étrangement aux méthodes et actions de prédilection britanniques suivant la conquête de la Nouvelle-France. Les Britanniques tentent depuis plus de 260ans par d’innombrables exactions, ruses et manœuvres politiques, d’éradiquer la présence francophone sur tout le territoire du Cadenas. Les exemples ne manquent pas à la mémoire du peuple québécois: Déportation des Acadiens – qu’eux-mêmes qualifient naïvement de « Grand dérangement » – l’interdiction d’écoles françaises, la minorisation des Canadiens-français produite du « grand remplacement » des Haut et Bas Cadenas par une soi-disant confédération (Constitution de 1867), la création de la doctrine du multiculturalisme par Pierre Elliott Trudeau imposée au Québec (Constitution de 1982) afin de réaliser le dessein de Lord Durham, et quoi encore…

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *