Regarde les hommes tomber

regardeleshomtomberToutes celles qui ont reçu Troisième millénaire, Bilan Final, comme cadeau de Fête des mères le savent, tous ceux qui le recevront pour la Fête des pères le sauront: nous sommes entrés dans le siècle des femmes.

Ceux qui ont dix ans aujourd’hui (comme mon fiston) et qui vivront cent ans, comme la moyenne des Occidentaux, assisteront à l’inexorable montée en puissance des femmes, entamée dans les universités, en cours dans les professions, bientôt à l’affiche dans un lieu de pouvoir près de chez vous.

Ce mouvement n’est cependant pas linéaire. La chute de l’empire du pouvoir masculin non plus, forcément. Il y a des accélérations, des plateaux, des régressions.

Il y a aussi des moment où se lézarde rapidement une colonne du pouvoir masculin. C’est ce que nous vivons en ce moment.

La chute d’un des hommes les plus puissant du monde, DSK, pour cause d’agression sexuelle présumée, donc d’incapacité (présumée) de contrôler ses montées de testostérone, est en quelque sorte la pointe d’un iceberg remarquablement visible.

Elle arrive après que l’Italie se soit déconsidérée face au monde et face à son propre électorat féminin par les parties de Bonga bonga du jusqu’alors symbole combiné du pouvoir et du machisme italien désinhibé.

À New York en 2009, le gouverneur Eliot Spitzer, étoile montante des démocrates — véritable DSK américain — est aussi tombé pour cause de fréquentation sexuelle rétribuée et extra-maritale. À l’autre bout du pays-continent, l’ex-gouverneur Arnold Schwarzenegger vient de tomber de son piedestal pour avoir eu un enfant illégitime avec une employée domestique, au nez de son épouse. On la trouvait déjà exemplaire de vivre avec le Terminator. On l’applaudit aujourd’hui de lui claquer la porte au nez.

« Man up! »

Entre les deux, il y a eu, l’an dernier, le gouverneur de Caroline qui s’envoyait en l’air en Argentine, prétextant des promenades en montagne, plusieurs collègues gouverneurs également entachés, et, dans le merveilleux monde du sport, l’admirable Tiger Woods démontrant qu’il confinait aux seuls terrains de golf ses talents de contrôle de soi.

On ne peut vivre ces scandales à répétition sans que l’idée même du pouvoir masculin ne soit atteint par la corrosion.

L’ancienne gouverneur du Michigan, la démocrate Jennifor Granholm, a lancé sur twitter ce reproche qui sent le raz-le-bol:

Un autre gouverneur mâle qui admet avoir trompé sa femme. Peut-être avons nous besoin de plus de femmes gouverneurs.

Il y en a six, dont trois élues en novembre dernier. (Le record était 10, en 2010). Toute une nouvelle génération de femmes politiques est entrée en scène depuis 2008.

Les observateurs — du moins les masculins — avaient été très frappés par le language utilisé par plusieurs candidates républicaines du Tea Party contre leurs adversaires masculins, Républicains ou Démocrates.

« Man up! » leur disaient-elles. Traduction libre: « ayez de l’épine dorsale » ou autre synonyme qui vous est venu à l’esprit.

Récupération du langage viril, donc internalisation de l’idéologie patriarcale? C’est ce qu’on aurait dit dans les années 1970. Moi, j’y lis aujourd’hui l’expression que les hommes ne sont pas à la hauteur de la tâche. Et que si une femme dit « Man up » — ce qu’elle n’aurait jamais osé dire il y a dix ans — elle sous-entend qu’elle est plus puissante que l’homme, plus courageuse, plus en contrôle.

C’est un signe qu’on s’approche du point de bascule. Les idées étant toujours en avance sur les faits, le langage reflétant toujours les idées, le déclin masculin est intégré dans la façon de s’adresser aux hommes — et à des hommes de pouvoir — lors de débats publics.

La publicité qui a fait de l’homme la mauviette dont il est permis de se moquer n’en était que l’étape précédente.

Des victimes qui mordent

L’autre élément transversal qui relie ces anecdotes est la juste et croissante intolérance envers tout ce qui est agression sexuelle envers les femmes ou manque de respect envers elles.

En France, l’empathie pour la victime présumée de DSK n’a réussi à s’imposer au discours public qu’au jour trois ou quatre de la crise. C’est qu’on était à l’épicentre du séisme politique. On a vu au jour trois la ministre espagnole de l’économie insister sur la victime, reléguant au second plan, pour la forme, la possibilité de l’innocence de DSK.

Au Québec, l’épisode vécu en début d’année autour de la décision du dramaturge Wajdi Mouawad de faire jouer Bertrand Cantat dans une pièce de Sophocle est à lire avec cette lunette.

Cantat fut reconnu coupable et emprisonné pour avoir causé la mort de sa compagne. En d’autres temps, sa venue aurait fait débat.

Début 2011, ce fut un déchaînement. Coupable de brutalité et d’homicide envers une femme, Cantat n’avait désormais plus droit à aucune réintégration publique.

Le Québec est aux avants-postes du pouvoir féminin. Cantat paie pour sa propre faute, mais j’ai l’impression qu’il paie aussi, en retard, pour tous ceux qui n’ont pas suffisamment payé et qu’il paie, d’avance, pour ceux qui s’en prendront, demain, à d’autres femmes.

Nous sommes donc à un moment de l’histoire où :

Des femmes affichent avec force leur refus d’être victimes et déterminent ainsi l’opinion dominante. C’est déjà l’expression d’une montée en puissance.

Des hommes font à répétition la démonstration qu’ils n’ont pas la fibre morale voulue pour diriger des sociétés, encore moins des sociétés où les femmes ne sont plus des victimes.

Regarde les hommes tomber était le titre d’un film très dur mettant en scène Jean-Louis Trintignant, le père de la victime de Cantat.

Qui jouera dans Regarde les femmes monter ? Beaucoup, beaucoup de monde. Ce sera un très long métrage.