Harper : mode d’emploi

5104ZlCxwlL._BO2204203200_PIsitb-sticker-arrow-clickTopRight35-76_AA278_PIkin4BottomRight-5222_AA300_SH20_OU01_-e1339082064958Le premier ministre du Canada semble cyclothymique.

Pendant de longs mois, il peut mener son gouvernement comme une pièce d’horlogerie bien huilée, faire progresser ses dossiers contre vents et marées, marquer des points. On reconnaît alors son sens de la stratégie, son intelligence tactique, sa capacité de communiquer  ses idées à une portion croissante de Canadiens qui en ont fait « leur » premier ministre.

Puis, vient une période de cafouillages, d’annonces bâclées, de dépenses folles, de mensonges éhontés. Où est passé, alors, l’habile capitaine Harper ?

Paul Wells, de Maclean’s, tente de décoder le personnage dans The Harper Decade, un livre numérique dans lequel sont regroupés ses meilleurs textes publiés depuis 10 ans sur le personnage.

Le moment le plus éclairant survient pendant la campagne électorale de 2008. À la fin d’une entrevue, Harper décrit l’édifice qu’il est en train de construire, plus centré sur des valeurs conservatrices que sur une volonté de se débarrasser des libéraux.

« Mon objectif à long terme, dit-il, est de faire du Parti conservateur le parti naturel de gouvernement du pays. Je suis réaliste. Il faut agir de deux façons. D’abord, il faut tirer les conservateurs, le parti, vers le centre du spectre politique. Mais ce qu’il faut aussi faire, si vous êtes sérieux dans votre effort de transformation, est de tirer le centre du spectre politique vers le conservatisme. »

Comme l’écrivait Alec Castonguay dans « La face cachée du plan Harper » (L’actualité, 1er mars 2012), c’est exactement ce que nous vivons 10 ans après que Harper est revenu au Parlement avec l’Alliance canadienne. Son gouvernement crée une « nouvelle normalité », qui n’est plus celle du Canada des Pearson, Trudeau, Chrétien ou même Mulroney.

Mais comment définir cette nouvelle normalité, ce centre plus conservateur ? Dans la même entrevue, Harper montre qu’il sait où il va : « C’est une approche où on privilégie les réductions d’impôts, plutôt que les augmentations de dépenses ; le soutien direct aux personnes, plutôt que des bureaucraties ; la restauration de la fierté dans nos institutions, nos forces armées, notre histoire. Nous voulons emmener le pays vers une définition de lui-même qui est plus en phase avec le conservatisme. »

Wells cite une autre source proche de Harper qui, dès 2006, rêvait à un avenir conservateur. Dans quelques années, disait-il, « les criminels auront des sentences minimales, nous aurons un Parti conservateur uni et doté d’une organisation solide, un Parti libéral divisé, discrédité et peut-être en faillite financière et un NPD en montée ».

Cela donne froid dans le dos, non ? Le Canada de Harper se déploie aujourd’hui sous nos yeux. Wells montre combien, au-delà des virages, zigzags, avancées et reculs, son gouvernement, minoritaire hier, a changé le pays en cumulant de petites décisions : nominations ici, fermetures de postes là…

Depuis le 2 mai 2011, Harper use d’une marge de manœuvre plus forte et accélère la cadence, aussi bien dans ce qu’il déconstruit (l’organisme Droits et démocratie, registre des armes à feu, inspections gouvernementales, etc.) que dans ce qu’il ignore symboliquement (rien pour célébrer les 30 ans de la Charte de Trudeau) et construit (loyauté envers la monarchie et l’histoire militaire du pays).

The Harper Decade se termine par le virage chinois de « Chairman Harper », qui aura, selon Wells, des répercussions sur la stratégie conservatrice en vue des élections de 2015. La vente du pétrole de l’Ouest à la Chine gonflera encore le poids économique et démographique de l’Ouest. En prime : le NPD, nouveau parti d’opposition dominant, comme le voulait Harper, est opposé à la hausse de ces ventes pour des raisons environnementales. Harper souhaite avoir cette bataille avec le NPD et pense en sortir avec une majorité intacte ou plus grande. Pourquoi ? Parce que le centre est maintenant plus conservateur qu’avant.

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Les conseillers de Harper se seraient inspirés de la stratégie de Richard Nixon : présenter les journalistes, artistes et élites comme des snobs déconnectés et s’identifier à la majorité silencieuse des bons citoyens. Résultat : être critiqué par ces snobs, c’est avoir raison avec le peuple. Imparable.