Mercredi matin, tous ses calculs faits, l’argentier était formel : les Québécois convaincus que leur pouvoir d’achat s’était rabougri étaient dans l’erreur. Eric Girard, l’ex-banquier chargé de nos finances collectives et personnelles, affichait une sereine certitude : « cette année […], c’est pas nécessaire d’amener les chèques. C’est mathématique », expliquait-il au micro de Paul Arcand.
Il lui a expliqué (deux fois) sa méthode de calcul : « On estime que les besoins essentiels d’un adulte annuels — logement, vêtements, transport, alimentation —, ça correspond à 25 000 $ par année. En 2022, l’indexation du régime fiscal était de 2,7 % et l’inflation était de 6,5 %. D’où la nécessité d’une compensation d’à peu près 4 % sur 25 000 $. En 2023, l’indexation du régime fiscal qui est basé sur 2022 est de 6,4 %, l’inflation sera en moyenne de 3,5 %. Donc, c’est l’indexation du régime fiscal qui aide les gens avec leurs besoins essentiels. Donc, il n’y a pas besoin de chèques. »
On aurait cru entendre la Banque Scotia : vous êtes plus riches que vous le croyez. Pour les profanes, je me permets de venir en aide à la démonstration du ministre en précisant que ce taux d’indexation du régime fiscal ne s’applique pas seulement aux impôts. Sinon, cela ne changerait rien pour les quelque 36 % de Québécois qui sont soit trop pauvres pour en payer, soit assez riches pour que leurs fiscalistes les en exemptent.
Or ce taux est aussi appliqué à une série de prestations : Régie des rentes et pension de vieillesse, aide financière de dernier recours, assurance parentale, assurance-emploi, tarif de garde subventionné. Le calcul du ministre est donc béton ? J’ai voulu vérifier avec son cabinet en demandant si, au-delà des moyennes, il fondait sa certitude sur une évaluation de l’impact plus fine. Les familles, les aînés, les 10 % les moins riches ? On m’a répondu que sa réponse était complète.
Je me suis replié sur la référence québécoise en ce qui concerne l’impact des politiques budgétaires et publiques sur les portefeuilles : la Chaire de recherche sur la fiscalité de l’Université de Sherbrooke. Fin 2022, celle-ci a modélisé l’impact des mesures prises par les gouvernements, dont celui du Québec (y compris, donc, le taux fétiche du ministre), et a étendu son analyse à l’année 2023 en intégrant la baisse d’impôt prévue et en postulant une inflation à 3,7 %, donc dans la zone du possible.
Il n’en ressort pas que les Québécois sont plus riches qu’ils le croient. Bien sûr, avant la crise inflationniste, ils avaient connu depuis 2000 une période glorieuse d’augmentation nette de leur niveau de vie. Il faut éviter l’année 2020, gonflée par la PCU. Mais par rapport à 2021, on a franchi le point de bascule. (Avertissement : tempête de chiffres imminente.) Pour plus de simplicité, les chercheurs sherbrookois ont ramené à 100 le pouvoir d’achat net (après inflation) de chaque catégorie en l’an 2000, puis ont suivi les variations, y compris en 2023.
Personnes seules de 75 ans ou plus : 110 en 2021, 120,4 en 2023, donc +9,5 %
Personnes seules de 70 à 74 ans : 114 en 2021, 121,9 en 2023, donc +6,9 %
Couples de 70 à 74 ans : 122,7 en 2021, 126,2 en 2023, donc +2,9 %
Couples de 75 ans ou plus : 120,6 en 2021, 123,6 en 2023, donc +2,5 %
Personnes seules de 65 à 69 ans : 121,6 en 2021, 120,8 en 2023, donc -0,1 %
Couples sans enfant : 140,4 en 2021, 138,4 en 2023, donc -1,4 %
Personnes seules : 147,5 en 2021, 145,3 en 2023, donc -1,5 %
Couples de 65 à 69 ans : 128,4 en 2021, 126,5 en 2023, donc -1,5 %
Couples avec enfant : 141,9 en 2021, 139,2 en 2023, donc -1,9 %
Familles monoparentales : 173,9 en 2021, 167,6 en 2023, donc -3,6 %
Il y a donc des gagnants — les aînés de plus de 70 ans — et des perdants — tous les autres. Ces chiffres cachent cependant une partie de la réalité : la moitié. Car il s’agit du calcul médian. Cela signifie que, dans chaque catégorie, la moitié des personnes concernées ont obtenu un pouvoir d’achat supérieur au chiffre indiqué. Bravo pour elles. Mais que la moitié d’entre elles ont obtenu un pouvoir d’achat inférieur. Donc, pour tous ceux dont le pouvoir d’achat s’est replié, on a la certitude que la majorité du groupe s’est appauvrie. Pour tous ceux qui ont obtenu une variation positive, une partie du groupe est restée derrière, certains probablement loin derrière.
Ensuite, il y a les variations régionales. Même si les prix augmentent partout, le coût de la vie est plus élevé dans les grands centres urbains, comme Montréal et Québec. Toute augmentation du coût de la vie est là plus importante qu’ailleurs. Ce qui signifie que le nombre de perdants est plus grand en ville — où d’ailleurs est concentrée la pauvreté — qu’en région.
Bref, nous sommes bien loin des certitudes affichées par notre benoît ministre des Finances. Malgré les efforts réels et méritoires de son gouvernement, qui a agi sur toute la chaîne de revenus, y compris pour les gens qui vont au Dollarama (les 2000 $ accordés aux aînés, l’augmentation des prestations d’aide sociale pour les gens inaptes au travail, le rehaussement du salaire minimum), l’inflation s’entête à trouer le filet social.
Mercredi, quelqu’un a-t-il pris le temps de faire ces calculs, ou l’équipe de communication du PM a-t-elle compris la gigantesque erreur politique d’annoncer la fin de toute aide sonnante alors que commence (mal) une partielle symboliquement chargée dans Jean-Talon ? A-t-on aussi trouvé un peu court qu’Eric Girard
conseille aux propriétaires de la classe moyenne étranglés par la hausse des taux de « parler à [leur] institution financière » ?
En fin de journée, le discours avait fait la culbute. François Legault, recadrant pour une rare fois son ministre, a annoncé qu’une aide ciblée serait trouvée pour ceux dont le pouvoir d’achat ne suit pas la cadence inflationniste. Je ne crois cependant pas qu’il ait compris, du moins pas encore, qu’il s’agit de la majorité des Québécois. On peut tout de même souffler, sachant désormais ceci : CAQ du soir, espoir !
(Ce texte fut d’abord -publié dans Le Devoir.)
Bonjour m. Lisée,
Vos chiffres contredisent les chiffres de Statitique Canada qui indique que les femmes âgées vivant seules ont le plus bas revenu au Canada, soit $26,700.00 par année au Canada.