Harris ? Avec des amis comme ça…

Avec des amis comme ça…

JEAN-FRANÇOIS LISÉE
L’auteur est chercheur invité au département de science politique et au groupe Critères de l’Université de Montréal.

La Presse, mardi 23 octobre 2001

Depuis quelques jours s’installe une légende bizarre qui ferait du premier ministre démissionnaire ontarien, Mike Harris, un grand allié du Québec, un compagnon de route, quelqu’un sur lequel on pouvait compter.

Que Mike Harris soit, en privé, direct et sympathique, je l’ai observé. Qu’il ait pu développer des relations cordiales, voire amicales avec Lucien Bouchard, j’en suis témoin. Mais que Mike Harris ait été un allié du Québec, voilà une contrevérité qui s’appuie sur une bien fragile béquille. Un simple rappel du calendrier suffira à la faire tomber et, avec elle, le processus de béatification en cours.

À l’automne 2000, MM. Harris et Bouchard furent les seuls à refuser à Ottawa le droit formel de définir les orientations nationales en santé. Pressé par l’imminence d’une élection fédérale, Jean Chrétien fut contraint de jeter du lest. Sur le fond, M. Harris ne faisait que défendre les droits constitutionnels de sa province. Il est cependant exact que, se retrouvant seul avec son homologue québécois sur cette position, il prenait un risque politique. Voilà où nous en sommes: il est risqué pour un leader provincial de défendre les intérêts de son propre gouvernement s’il ne le fait qu’en compagnie du Québec. Accordons ce courage à M. Harris, et remontons le temps.

Au lendemain du référendum de 1995, M Chrétien tentait de convaincre les provinces d’introduire dans la constitution une version diluée du «caractère distinct» du Québec, comme il l’avait promis en fin de campagne référendaire. Il espérait trouver en Ontario un important allié. C’était non. M. Harris ne voyait pas l’urgence d’une telle reconnaissance et n’avait aucune proposition de rechange à formuler. Il était en cela au diapason des premiers ministres Klein, d’Alberta, et Romanow, de Saskatchewan – et d’ailleurs d’une majorité de députés libéraux fédéraux. Ils jugeaient tous, quelques jours après le référendum, qu’aucun changement n’était nécessaire. Mike Harris était donc de ceux qui voulaient en faire moins que Jean Chrétien.

En 1998, Mike Harris était en Amérique latine avec Team Canada alors que le premier ministre Bouchard était retenu à Montréal pour cause de crise du verglas. Glace mise à part, tout observateur neutre savait alors que l’économie montréalaise était en pleine relance. Pas M. Harris. «Montréal n’est plus une grande ville canadienne», disait-il en entrevue. «C’est dur d’aller à Montréal à l’heure de pointe et de constater qu’il n’y a pas d’heure de pointe», ajoutait-il. L’amitié transpirait peu dans ces propos. Ni dans sa participation, cette année-là, au débat entourant la nomination de l’ex-candidat péquiste et gestionnaire émérite, David Levine, au poste de directeur général du nouvel Hôpital d’Ottawa. M. Harris déclarait qu’il aurait préféré un autre Canadien, voire un étranger, fédéraliste plutôt que Levine. Son insensibilité aux droits démocratiques dans l’affaire Levine se faisait sur fond d’insensibilité envers les droits des Franco-Ontariens. Il venait d’annoncer la fermeture du seul hôpital francophone à l’Ouest du Québec, celui de Monfort, malgré les pressions combinées du gouvernement fédéral, du premier ministre québécois et du chef du PLQ.

Début 1999, une partie essentielle se joue: celle de l’union sociale. Le Québec s’est joint à une coalition de provinces qui offre à Ottawa de coordonner avec elles ses interventions en matières sociales, à la condition de bénéficier d’un droit de retrait. Convoqués par Jean Chrétien, rue Sussex, tous les premiers ministres du reste du Canada, Mike Harris compris, lâchent leur position commune. Ils épousent mot à mot celle du fédéral, sans droit de retrait, et donnent une légitimité inédite aux initiatives fédérales futures sur le terrain des provinces, y compris du Québec. Le prix: une infusion importante de transferts fédéraux en santé. Mike Harris avait annoncé la couleur avant la rencontre: «Nous savons ce que nous voulons, avait-il dit devant les micros, nous voulons plus d’argent!» Que le Québec se retrouve isolé et son autonomie mise à mal par ce retournement collectif et soudain ne lui arrache pas la moindre hésitation.

Quelques jours plus tard, le budget fédéral recèle une grande surprise. Cédant aux pressions de Mike Harris et de Ralph Klein, le gouvernement fédéral modifie (avec enthousiasme, il faut le dire) le calcul de ses transferts aux provinces de façon à accroître substantiellement les sommes versées à l’Ontario et à l’Alberta, et à provoquer un manque à gagner immédiat de 330 millions de dollars pour le Québec, de près de 2 milliards sur cinq ans. Merci Mike. Y avait-il un lien entre la reddition des provinces riches dans l’affaire de l’Union sociale et ce nouveau calcul les favorisant? Bonne question. Mike Harris a-t-il agi comme ami du Québec dans ces dossiers? La question ne se pose pas.

La liste pourrait s’allonger, mais à quoi bon? L’empressement de trouver chez Mike Harris un allié du Québec est cependant significatif. Il montre à quel point nos attentes sont faibles en termes d’alliances. Lâchés par des alliés provinciaux lors du rapatriement de la Constitution, en 1982, lors des accords du lac Meech, en 1990, lors de l’union sociale, en 1999, par tout le monde sauf Mike Harris, lors du débat sur la santé en 2000, nous conférons dorénavant le titre d’ami à celui qui nous tourne régulièrement le dos, pour peu qu’il ne le fasse pas dans l’absolue totalité des cas.