Le jour où le premier ministre Jean Charest a annoncé les termes de sa loi très spéciale, le Barreau du Québec a publié un communiqué qui détonnait dans le concert général des appels à la loi et à l’ordre.
Pour le bâtonnier, Me Louis Masson, il importait de « rappeler que les représentants des deux parties agissent en toute légitimité. Les élus du gouvernement ont été choisis démocratiquement par les citoyens et les représentants des fédérations étudiantes l’ont également été, et ce, en vertu de la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants ».
Des représentants étudiants qui agissent en toute légitimité ? Ne sont-ils pas au contraire des enfants rois prenant en otage le droit à l’éducation et imposant, selon un scribe, la « tyrannie de la minorité » ?
Ce que le bâtonnier indique — et il s’est fait critiquer par certains avocats progouvernementaux pour l’avoir fait — est qu’on assiste plutôt à un assaut contre la majorité. Du moins, contre le principe majoritaire dans le droit d’association.
Car soyons nets. Ce qui s’est produit au printemps 2012 est inédit. Jamais, au moment de toutes les autres grèves étudiantes, le gouvernement et les tribunaux n’avaient contesté la légitimité des décisions des assemblées étudiantes. Jamais les élites n’avaient encouragé les étudiants opposés à la grève à s’adresser aux tribunaux pour faire prévaloir leur droit individuel à l’éducation, plutôt que d’aller se battre, en assemblée générale, pour faire triompher leur point de vue.
Ex-militant étudiant, je peux attester du fait que plusieurs grèves des années 1970 se sont conclues lorsque les étudiants de filières plus traditionnelles (administration, droit, etc.) s’organisaient et se mobilisaient pour voter la fin de la grève en assemblée, mettant ainsi en minorité les plus militants, venant des sciences sociales.
Au printemps 2012, cependant, ce mécanisme d’autorégulation de la démocratie étudiante a été cassé par le gouvernement. Le signal est clair : ceux qui souhaitent reprendre leurs cours n’ont pas à se comporter en démocrates.
L’assemblée étudiante est ainsi privée de légitimité, mais dans un cas seulement. Lorsqu’une majorité vote un retour en classe, tous et chacun se soumettent à sa décision. Mais lorsqu’une majorité vote la poursuite de la grève, les perdants sont invités à ignorer cette décision en se prenant un avocat. Et on s’étonne que des membres de la majorité réagissent mal à ce déni de légitimité ! On voudrait torpiller l’esprit démocratique qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Jamais l’idée d’obtenir une injonction pour aller au cours n’avait été testée. D’autant que leur succès ne reposait sur aucune certitude juridique. À preuve : le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, a refusé d’accorder une des premières injonctions réclamées, le 23 avril. Son refus était fondé en droit. Il estimait que la décision de grève démocratiquement prise par une assemblée générale constitue « l’exercice d’un droit constitutionnel ou quasi-constitutionnel, en l’occurrence le droit à la liberté d’expression, qui s’oppose à un droit qui bien qu’extrêmement important [celui d’aller au cours] ne constitue pas un droit constitutionnel ou un droit quasi-constitutionnel ».
Cette approche aurait pu faire école et renvoyer tous les étudiants mécontents vers leurs assemblées. Mais le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, en a décidé autrement. Alors même qu’il affirmait que les injonctions n’étaient pas de nature à résoudre le conflit, il a pris sur lui de s’attribuer la totalité des demandes d’injonction et de les accepter toutes. Il a ainsi appliqué sa propre vision du droit, ancrée dans notre époque individualiste, et non celle de son collègue Blanchard, plus inspiré par le droit d’association. C’est un choix, lourd de sens. Il aurait pu en faire un autre.
Jean Charest a déclaré que sa loi spéciale était « fondatrice ». En effet. Elle fonde le principe que, en société, le droit de l’individu prime sur la délibération et la décision collective. Voilà ce qu’on vient d’enseigner à nos étudiants. Et on les traite d’enfants rois.
Et encore :
On pourrait appliquer ce même principe, demain, pour affirmer le droit des syndiqués ayant voté contre une grève de rentrer au travail. C’est ce que font plusieurs États américains. Et, pourquoi pas, le droit de ceux qui n’ont pas voté pour le gouvernement Charest de ne pas payer la hausse des droits de scolarité, ou de la TVQ.
Une pétition est désormais en ligne, à l’Assemblée nationale, pour que soit reconnu et encadré le droit de grève des associations étudiantes.