Bilan: Ted Kennedy, mort / Obama, grièvement blessé

hope-replie-150x150Il n’y a aucune illusion à se faire. La défaite démocrate, hier, au Massachusetts, est catastrophique.

Sur le plan symbolique: Ted Kennedy, qui a oeuvré toute sa vie pour un régime universel de santé dans son pays, fut remplacé par un homme qui a promis de dérailler ce train alors même qu’il entrait en gare.

Sur le plan politique: Obama avait remporté cet État avec 25 points d’avance lors de la présidentielle il y a 14 mois.  Les démocrates ont donc chuté de 30 points, pour perdre avec 5 points d’écart, dans leur forteresse. C’est comme si un démocrate était élu sénateur du Texas.

Sur le plan pratique: Obama perd sa super-majorité de 60 sièges (sur 100) au Sénat. C’est le nombre requis pour empêcher les Républicains d’enclencher un filibuster, donc de traîner indéfiniment en longueur les débats et d’empêcher la tenue d’un vote (pour une illustration pratique, voir Mr Smith Goes to Washington, de Frank Capra). La capacité de faire revoter par le Sénat la version modifiée du projet de réforme de la santé est donc compromise. (Il faudrait voter avant l’arrivée du nouveau sénateur républicain, ou alors délayer suffisamment le projet pour convaincre la républicaine modérée du Maine, Olympia Snowe, de s’y rallier. Deux voies improbables.)

Sur le plan électoral: Des démocrates modérés du Sénat et ceux de la Chambre des représentants, devant affronter l’électorat lors du scrutin de mi-mandat de novembre prochain, sont tétanisés par le résultat de l’élection d’hier. Ils seront plus hésitants que jamais à appuyer des politiques progressistes d’Obama qui gêneraient leurs électeurs. Leurs sièges, leur emploi, en dépendent.

Sur le plan des politiques publiques: le commentateur modéré David Gergen, ancien conseiller de Bush père et de Clinton, affirmait hier soir sur CNN: «Nous avons probablement lu la notice nécrologique, ce soir, du régime universel de santé, un rêve démocrate depuis plus de 70 ans […].  Le projet de loi sur les changements climatiques sera extrêmement difficile à réaliser,  la réforme de l’immigration est probablement morte pour cette année, le projet de réforme des marchés financiers va probablement être très adouci.»

Le choix d’Obama: Le président doit tenir son discours sur l’État de l’union dans une semaine. Il doit choisir entre la contrition et le repli, ou la contrition et la contre-attaque.  Un recul sur la santé, à ce stade, serait  le Waterloo que les Républicains souhaitent lui infliger depuis un an.  Il n’a de choix que de foncer.  D’autant que les sondages sur ce point sont trompeurs, puisque l’opposition, majoritaire, est formée de l’addition des mécontents qui croient que la réforme va trop loin (le tiers) et de ceux qui croient que la réforme ne va pas assez loin (un autre tiers). Le défi d’Obama est de convaincre sa courte majorité démocrate à la Chambre d’adopter, tel quel, le projet déjà voté par le Sénat, ce qui mettrait un terme à la procédure parlementaire et lui permettrait de signer ce texte historique. Sa capacité de rassembler au sein de son propre parti est donc en jeu, à l’heure ou déjà, hier soir, certains représentants démocrates sonnaient la retraite devant les micros.

L’espoir est ténu pour un projet conséquent sur l’écologie, car l’opinion n’est malheureusement pas à ce rendez-vous. Obama pourra contourner le Congrès pour faire réduire les émissions de gaz à effet de serre par l’Environmental Protection Agency, mais l’impact systémique sera moins grand. Il s’agit d’une perte pour le momentum planétaire dans ce dossier crucial.

Cependant la décision d’Obama de hausser le ton contre les banques et leurs bonus dorés ces dernières semaines devrait ouvrir une période plus offensive sur ce terrain, à la fois politiquement populiste et économiquement indispensable, où la colère de l’opinion est mobilisable.

Obama pourrait, en novembre prochain, perdre ses majorités à la chambre et au sénat. L’élection du Massachusetts aura été la bande annonce de ce film catastrophe. La capacité du président d’être une force de progrès souffrira, beaucoup, de ces mouvements de l’électorat.

Mais s’il ne fouette pas ses troupes pour user de ces majorités pendant qu’il les a encore, à quoi auront-elles, à quoi aura-t-il, servi ?