Brian Topp, les putes, le Québec et moi !

Avertissement: ce billet ne contient aucune relation de contact charnel. Mais il y sera question, de manière rhétorique, de péripatéticiennes. Un peu de patience.

Brian Topp est un des candidats favoris à la direction du NPD, donc au poste de chef de l’opposition, donc au poste de premier ministre aux élections de 2015. Je l’ai connu en 1998, lorsqu’il était conseiller du premier ministre néo-démocrate de la Saskatchewan, Roy Romanow. Oui, le Romanow qui a négocié avec Jean Chrétien l’entente fameuse de la «Nuit des longs couteaux», qui isolerait le Québec pour l’avenir prévisible.

romanow-topp-2011

Roy Romanow, l’agent-double d’Ottawa, et son conseiller Brian Topp

Romanow était cette année-là le porte-parole des provinces dans les discussions avec le fédéral. Puisque j’étais conseiller de Lucien Bouchard, Topp était un de mes vis-à-vis dans ces discussions.

Un peu de recul, avant d’en venir au sujet sexy qui vous intéresse. De 1996 à 1999 s’est déroulé un intéressant pas de deux entre le Québec et les provinces canadiennes. Il y était question de « l’union sociale », une entente entre les provinces et le fédéral qui aurait, à notre avis, augmenté le pouvoir d’Ottawa dans les compétences provinciales. Nous étions évidemment contre et avions refusé de nous associer au processus.

À chacune des rencontres annuelles d’été de ce qui ne s’appelait pas encore le « Conseil de la fédération », Lucien Bouchard demandait sans détour à ses homologues si leur future union sociale allait imposer ses décisions au Québec.  Question accueillie par un long silence.  Le Québec comblait ce silence en réitérant toujours la même condition : l’introduction du principe de « droit de retrait », c’est-à-dire de la capacité d’une province, comme le Québec, de refuser une nouvelle initiative pancanadienne mais de conserver sa part de financement de l’initiative.

À l’été 1998 : déblocage.  Les provinces intègrent à leur position la notion de « droit de retrait » et réussissent à convaincre le Québec d’adhérer à leur front commun. Mais les provinces sont très vulnérables financièrement.  Les compressions fédérales en santé et leur propre redressement budgétaire ont provoqué une crise majeure de leurs réseaux de santé et elles ont un grand besoin de fonds additionnels.

Début 1999, les provinces savent que des surplus fédéraux sont disponibles pour le budget de février et elles veulent leur part.

La carotte de Jean Chrétien

Alors que, fin janvier, les provinces étaient convenues d’un projet complet d’entente d’union sociale avec droit de retrait, Jean Chrétien intervient pendant les quatre premiers jours de février auprès des premiers ministres pour qu’ils abandonnent leur position et qu’ils acceptent son propre projet à la place. (Oui, oui, les putes s’en viennent, soyez patients !)

indexSon projet, oeuvre de Stéphane Dion, a ceci de particulier que, pour la première fois de l’histoire du Canada, les provinces reconnaîtraient formellement le droit du gouvernement fédéral d’intervenir directement, avec son propre argent, dans n’importe quel champ de compétences des provinces en matière sociale et d’éducation supérieure. Si une province n’offrait pas un futur et nouveau programme et n’entendait pas l’offrir, car elle n’en partageait pas l’objectif, elle pourrait aller se faire cuire un œuf, avec son propre argent.

Lorsqu’il convoque les premiers ministres à sa résidence du 24 Sussex, début février 1999, Jean Chrétien a une carte à jouer pour soumettre les provinces à sa version de l’union sociale : l’augmentation des transferts en santé.

Deux des premiers ministres les plus influents du pays, tous deux conservateurs, donc d’un parti opposé à celui de Jean Chrétien, désignent précisément cet enjeu lorsqu’ils se présentent à Ottawa le 3 février, veille de la rencontre avec Chrétien.  « Nous savons tous ce que nous voulons, dit Mike Harris, de l’Ontario.  Nous voulons plus d’argent. » Ralph Klein, de l’Alberta, fait sienne une réplique d’un film américain à succès : « Show me the money! » (montre-moi l’argent !). Quant à Glen Clark, néo-démocrate de la Colombie-Britannique, il met la barre bien haut en débarquant de son avion : « En substance, je vais appuyer le gouvernement fédéral. »

Brian Topp, le 3 février 1999

Bon, j’y viens. Roy Romanow a convoqué Lucien Bouchard dans la suite de son hôtel, à Ottawa, pour lui annoncer la nouvelle. En tant que représentant des provinces face à Ottawa, Romanow appuie à 150 % la proposition… fédérale. Il a parlé aux autres collègues pour les en convaincre, s’il en était besoin : ils acceptent de donner expressément au gouvernement fédéral un droit d’ingérence, en échange de la promesse d’un rétablissement partiel de leur financement en soins de santé. Les provinces abandonnent la position commune élaborée quelques jours plus tôt avec le Québec, ne demandent aucun changement à la proposition fédérale, qui devient document officiel, refusent même la proposition québécoise de poursuivre les discussions. Comme en cette nuit de 1981, Romanow est l’agent de Chrétien dans la maison des provinces. L’instrument de l’isolement du Québec.

brianjpg-150x150Brian Topp, moi et un autre conseiller de Romanow faisons la conversation, dans l’antichambre, en attendant que Romanow explique à Bouchard l’ampleur de la capitulation provinciale. Entre nous, nous faisons exprès d’éviter l’épineux sujet qui occupe nos patrons respectifs dans l’autre pièce. La messe est dite, le forfait commis, point besoin d’en rajouter.

Alors, on jase. On discute d’abord de la faiblesse de l’opposition que le NPD doit affronter en Saskatchewan. Un des députés d’opposition, me raconte Topp, a été pris la main dans le sac — façon de parler — avec une femme de petite vertu. On mentionne aussi la mésaventure d’un député du Bloc, tombé dans le piège d’une jolie flic jouant à la péripatéticienne dans une rue mal famée d’Ottawa.

Puis, me vient en tête une anecdote, chevauchée par une arrière-pensée politique.

indexCela me fait penser, dis-je, à cette histoire qui ressemble au film Indecent Proposal avec Robert Redford et Demy Moore. Un homme élégant va voir une jolie femme dans le hall d’un grand hôtel et dit la trouver si séduisante qu’il est prêt à lui offrir un million de dollars pour passer la nuit avec elle. Affirmant qu’elle n’a jamais fait ça dans le passé, mais le trouvant fort beau, elle accepte.

Dans l’ascenseur, l’homme se ravise et lui dit: ‘vous savez, un million c’est beaucoup d’argent. Je vais vous donner 100 $’

‘Quoi ? rétorque la dame, outrée. 100$, mais je ne suis pas une pute!’

‘Madame, reprend l’homme, on a établi ce que vous étiez. Maintenant, on discute le tarif.’

Dans l’instant où j’ai terminé la blague, Topp a enchaîné: « C’est nous, la pute ? Nous, les provinces ? »

J’avais raconté l’anecdote dans l’espoir qu’un peu plus tard, dans la nuit ou au matin, lui et son collègue se disent : «coudon, il parlait-tu de nous, là ? »

C’était sans compter sur la vive intelligence, ou le grand sentiment de culpabilité, de Brian Topp.

« If the shoe fits », répondis-je, un grand sourire aux lèvres. Ce qui a créé un froid dans la conversation, interrompue par Lucien Bouchard sortant de sa rencontre avec Roy Romanow.

Brian Topp, le 4 février 1999

Le lendemain, les premiers ministres sont conviés à déjeuner au 24 Sussex. C’est Jean Chrétien qui sert la soupe. Nous, du Québec, pensons que Chrétien a fait connaître à l’avance aux autres provinces le nombre de dizaines de millions dont ils bénéficieront lors du budget imminent, pour les soins de santé, donc le tarif convenu pour renoncer à la virginité provinciale dans l’union sociale.

Nous sommes donc totalement estomaqués d’apprendre que, ni auparavant ni pendant le déjeuner, Chrétien n’a donné de chiffre. Il obtient donc la signature de toutes les provinces anglophones à l’expansion du pouvoir fédéral de dépenser sans avoir montré le bout de son porte-feuille. La promesse seule a suffi.

Les conseillers piétinent à l’extérieur de la résidence du premier ministre, en attendant la conférence de presse commune (j’avais enjoint à Lucien Bouchard de partir pour Québec et de préparer une déclaration distincte, mais je garde cette histoire pour une autre fois).

Brian Topp me repère dans le groupe et vient vers moi. « Alors, qu’est-ce que tu en penses ? ».

« Je pense que vous n’avez même pas négocié le tarif ! »

Fin de la conversation.

L’ancien chef libéral québécois Claude Ryan a commenté cet épisode comme suit :

« C’est la troisième fois, au cours des 30 dernières années, qu’après s’être engagé dans une démarche commune avec les autres provinces et territoires, le Québec aura été lâché en cours de route par ses partenaires. »

Troisième fois : le rapatriement de 1982, Meech en 1990, l’Union sociale en 1999.

Brian Topp n’était pas un décideur dans cette affaire. Seulement un exécutant. Et il est hasardeux d’imputer au conseiller les méfaits du décideur, j’en sais quelque chose. Mais voilà le creuset politique dans lequel il a exercé. Un environnement où le Québec est, en dernière analyse, quantité négligeable. J’aimerais pouvoir dire que j’ai entendu, ou lu, Brian prendre de la distance par rapport à ces événements et à ce comportement. Ce n’est pas le cas.

J’ai lu autre chose, cependant, à son sujet et au sujet du Québec. J’y reviens dans le prochain billet. Mais je donne un préavis : cette fois, aucune prostituée ne fait d’apparition, même rhétorique…

Demain : Brian Topp et le Québec, printemps 2011