Dé-réhabilitons Duplessis (version intégrale)

Duplessis avait beaucoup de défauts, a dit François Legault, mais il « défendait la nation québécoise ». Son jugement, le mien et le vôtre, sont probablement brouillés par l’interprétation sympathique qu’en a fait Jean Lapointe dans la remarquable série présentée en 1978. Trop sympathique.

Peut-on trouver, dans le règne de Duplessis, des réalisations nationalistes ? Oui. Un drapeau. Un impôt provincial. C’est à peu près tout. En 18 ans, c’est lamentablement peu. Y-a-t-il eu, pendant ses années, du développement économique ? Oui. Comme partout sur le continent, de l’électrification, du crédit agricole. Mais il vendait aux multinationales étrangères les ressources naturelles au prix le plus bas possible et garantissait une répression brutale des syndicats. Sa police provinciale était ni plus ni moins le bras armé de la violence patronale. Résultat : les salaires étaient les plus faibles du continent. Et si un Archevêque avait l’outrecuidance de prendre parti pour des exploités, comme Mgr Charbonneau lors de la grève de l’amiante, le bras de Duplessis était assez long pour le faire muter ailleurs par le Pape. On dirait aujourd’hui qu’il l’a cancellé, déplateformé.

Y avait-il, pendant ses années de règne, de l’urbanisation ? Oui, mais c’était malgré lui. Jusqu’au bout, il chanta les louanges du Québec agricole et de la colonisation, dénonça les vices de la ville. Y-a-t-il eu une hausse du niveau de scolarité ? Oui, et beaucoup de nouvelles écoles primaires. Mais il était contre ce qu’on appelait « l’école gratuite » car, disait-il dans un de ses nombreux sophismes « rien n’est gratuit ». Reste qu’au moment de ce grand bond continental de la scolarisation, à la fin de son règne, les québécois francophones avaient un niveau d’éducation moindre que celui des noirs américains de l’époque, alors victimes de ségrégation généralisée.  Le verdict de René Lévesque sur Duplessis en éducation était sans appel : « mépris généralisé pour l’éducation, dégradation des enseignants, abêtissement collectif électoralement rentable, trahison quasi universelle des élites ».

Le plus grand exploit de Duplessis fut le plus antinationaliste de tous : retarder de 25 ans la révolution tranquille. Contre le gouvernement libéral corrompu d’Alexandre Taschereau, il avait conclu en 1936 une alliance avec les réformateurs de l’Action libérale nationale. Leur programme commun annonçait un grand train de réforme: nationalisation de l’électricité, bonification des programmes sociaux, lutte aux trusts, aide au développement de la petite et de la moyenne industrie, lutte contre la corruption gouvernementale et assainissement des moeurs électorales. Une fois au pouvoir, Duplessis renia ses alliés, rejeta leur programme et gouverna en autocrate. L’Union nationale eut d’ailleurs des assemblées, mais jamais de congrès, fondateur ou autre. Aucune résolution, aucun programme ne fut jamais discuté par ses membres ou ses délégués. C’était l’affaire du chef et de personne d’autre.

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L’ampleur de son contrôle sur les affaires québécoises est simplement inimaginable. Il décidait personnellement du salaire des fonctionnaires et dressait la liste noire des personnes qui ne devaient être embauchés ni  par l’État, ni par les institutions scolaires. Le trafic d’influence était la règle, pas l’exception. Aucune subvention n’était statutaire. Aucune ne découlait d’un texte de loi ou d’un règlement. Toutes relevaient de l’arbitaire et du bon plaisir partisan.

Dans son excellent livre-portrait de l’homme, Le vrai visage de Duplessis, l’alors journaliste Pierre Laporte rapporte cet échange à l’Assemblée, au sujet d’un contracteur pro-Union-Nationale, un certain Sainte-Marie, qui avait obtenu 90% d’une enveloppe de 6 millions de dollars (67 millions d’aujourd’hui).

« L’opposition va-t-elle prétendre que M. Ste-Marie n’est pas honnête ? Je vais m’asseoir et je vais attendre la réponse ! »

Personne ne se leva du côté de l’opposition.

M. Duplessis se relevant déclara: « L’opposition va-t-elle prétendre que M. Ste-Marie n’est pas compétente ? Je vais m’asseoir et je vais attendre la réponse ! »

Nouveau silence de l’oppostition.

Alors, M. Duplessis se leva triomphant et dit : « M. le président, peut-on trop encourager l’honnêteté et la compétence ? »

Pour voler les élections, il achetait les votes à coup de paires de souliers, de frigidaires, de paiements comptant, de caisses de bières ou de 40 onces. Lors de luttes serrées, il usait de fiers à bras et faisait purement et simplement bourrer les urnes de bulletins de vote favorables à son parti. Plusieurs invoquent pour sa défense le fait qu’il ait gagné plusieurs élections. Mais les a-t-il vraiment gagnées ou ne les a-t-il pas plus simplement volées ? Dans une loi, en 1953, pour se faciliter la tâche, il exclua les représentants de l’opposition des bureaux de scrutin.

Les plaques minéralogiques allant de 1 à 2000 étaient réservées aux favoris de l’Union nationale. Les policiers savaient qu’il ne fallait pas leur donner de contravention. Il fit cependant voter le « Bill Picard » pour retirer au chef syndical Gérard Picard son permis de conduire.

Duplessis, c’était le maccarthisme au cube. Avec sa Loi du cadenas, votée dès son arrivée au pouvoir, Duplessis se donnait le droit de déclarer communiste toute organisation qu’il jugeait suspecte, de cadenasser leurs locaux – y compris leurs logements – et de les mettre à l’ombre pour quelques mois. Cette loi, comme celle visant les témoins de Jéhovahs, coupables de n’être pas des catholique, fut jugée anticonstitutionnelle. Il présentait tous ses adversaires comme des communistes. L’ accusation portait au point que des sœurs pleines de bienveillance annonçaient faire des neuvaines pour le salut de l’âme du chef libéral George-Émile Lapalme, coupable entre autres de proposer une forme d’assurance maladie. Pas nécessaire, répétait Duplessis, « la meilleure assurance contre la maladie, c’est la santé ! » Et encore: « Seul Dieu peut offrir une assurance contre la maladie. »

En janvier 1951 à Trois-Rivières, le Pont Duplessis — nommé ainsi en l’honneur du père du Premier ministre, aussi homme politique — s’effondre dans la nuit. Duplessis dénonce « les communistes » d’avoir fait le coup, alors que des faiblesses structurelles avaient été relevées auparavant sans que des réparations ne soient faites.

Il n’est pas le premier ni le dernier à avoir appelé les électeurs à voter du bon bord. Mais il l’a fait avec un aplomb sans pareil. En 1952, par exemple, il fait la leçon aux électeurs de Verchères: « Je vous avais avertis de ne pas élire le candidat libéral. Vous ne m’avez pas écouté. Malheureusement votre comté n’a pas obtenu les subventions, les octrois qui auraient pu le rendre plus heureux. J’espère que la leçon aura sevi et que vous voterez contre le candidat libéral cette fois-ci. »

En ces matières d’abus de pouvoir, la constance paie. Les routes secondaires dans Verchères, libéral depuis trois élections, étaient en lambeaux. En 1956, les agriculteurs expliquaient au député libéral qu’ils n’en pouvaient plus et devaient voter UN.

Aux députés de l’opposition qui se plaignaient de ce traitement à l’Assemblée, Duplessis répondit un jour: « Le budget de la province n’est pas assez considérable pour subvenir à tous les besoins. Nous devons donc d’abord servir nos amis. »

Alors qu’a  fait Duplessis, au juste, pour la nation ? Quand les autres États d’Amérique du nord construisaient des fonctions publiques professionnelles, ouvraient des universités, socialisaient la médecine, nationalisaient leur hydro électricité, légiféraient contre les accidents de travail, Duplessis faisait sentir sa chape de plomb sur tous ceux qui, au Québec, voulaient emprunter les chemins de la modernité. Un de ses combats fut de s’opposer à ce qu’Ottawa finance les quelques universités québécoises. C’eut été noble s’il avait proposé de les financer lui-même. Mais il s’y refusait. Pour lui, les intellectuels étaient des « joueurs de piano » dont il fallait se méfier. Duplessis se vanta un jour n’avoir jamais lu un livre depuis sa sortie du collège.

Ses initiatives n’inclurent jamais la moindre promotion culturelle, la moindre promotion de l’entrepreneuriat francophone, la moindre défense du droit de travailler en français dans les usines. Dans l’après-guerre, l’Ontario subventionnait la venue d’immigrants britanniques. Duplessis refusait les appels pressants (notamment du Devoir, qu’on l’a parfois vu décrirer en petite morceaux) à faire de même pour les immigrants de France. Pour lui les Français avaient tourné le dos à notre sainte mère l’Église et lisaient des livres à l’index. D’ailleurs, il jugeait que les canadiens français étaient, répétait-t-il, des « francais améliorés ». Alors on allait pas nuire à cette pureté en important des francais de France qui n’étaient pas aussi purs que nous.

N’allez pas croire que Duplessis était à la botte de l’église. C’était le contraire. Il se vantait que les évêques mangeaient dans sa main. Un jour qu’une déclaration cléricale lui avait déplu, il déchira devant le cardinal Léger de montréal le chèque de 100 000$ (une somme énorme) qui devait financer l’hopital hotel dieu de Montréal en déclarant : « voilà ce que votre conduite aura rapporté ».

A quoi tenait son mantra autonomiste ? Lapalme, qui a du écouter des centaines d’heures de ses discours à l’assemblée, se l’est demandé. Il écrit : « autonomie électorale, autonomie négative, autonomie verbale, autonomie saugrenue, autonomie de remplissage, autonomie du néant. Mais y a-t-il quelqu’un qui ait mieux doré l’autonomie que lui ? Quand il évoquait la menace de financement fédéral comme « le crucifiement de la province sur une croix d’or », il surélevait le plateau des offrandes autonomiste de façon à ce qu’on ne vit pas qu’il ne contenait rien. » René Lévesque écrit que l’autonomie de Duplessis était la « ligne Maginot derrière laquelle rien ne devait trop changer » Prononça-t-il le mot « Émancipation ? Jamais, car si peu que ce fut, ça pourrait donner des idées » ajoute Lévesque. « On sentait partout, écrit-il encore, un besoin de changement que lui, couvercle rigide sur une bouilloire en ébullition, étouffait et de toutes ses forces empêchait même de s’exprimer. »

L’alors syndicaliste et journaliste Gérard Pelletier, dans ses mémoires Les années d’impatience, résume bien l’œuvre du Chef : « Aujourd’hui plus que jamais il importe de nous remémorer qu’au nom du nationalisme et de la religion, Duplessis nous a imposé pendant 20 ans le règne du mensonge, de l’injustice et de la corruption, l’abus systématique de L’autorité, l’empire de la mesquinerie et le triomphe de la bêtise. Il faut nous souvenir que cet homme et son régime ont retardé d’un quart de siècle l’entrée du Québec dans le monde moderne. »

C’est pourquoi invoquer aujourd’hui positivement l’héritage de Maurice Duplessis, c’est défendre l’indéfendable, fréquenter l’infréquentable. S’il défendait la nation, ce n’était que d’une façon. Il lui défendait de grandir, de déployer ses talents, de s’épanouir. Il lui défendait d’être moderne et d’être, dans tous les sens du terme, libre.

(Une version plus courte de ce texte a été publié dans Le Devoir.)


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4 avis sur « Dé-réhabilitons Duplessis (version intégrale) »

  1. 1- R.Lévesque a réhabilité Duplessis en partie pour l’autonomie provinciale-l’aspect positif, voulant réduire selon son intuition d’alors la coupure politique qui a été faite à partir de la révolution tranquille avec les Québecois de l’avant 1960. Ce qui a donné 40% pour le Oui en 1980 plutôt que 35% de Oui. Plus les liens en 1979 avec l’Union Nationale surtout R.Biron son chef final.

    Le problème de l’article qui certes rappelle le côté dictateur de l’ex P.M, son obscurantisme en faisant de la part positive un presque zéro-valeur c’est de faire penser aux raisons pourquoi Elliot-Trudeau méprisait le Québec.

    Trudeau lui même dictateur en octobre 70 et en 1981 pour la constitution a fait de Duplessis et du duplessisme, une motivation pour rejeter les Canadiens-Français. Eh oui, Trudeau père s’est nourri de son anti duplessisme pour haïr, vomir les Québécois qui ont commencés en 1960-65 à désirer l’indépendance. Elliot-Trudeau n’a vu dans le Québec qu’un peuple de provinciaux retardés aux instincts troubles.

    La même conception que le trudeauisme canadian véhicule en 2021 tel que vue dans le débat anglais de l’élection terminée le 20 du mois en cours.

    Le duplessisme qui sert de caution à la Québécophobie libérale alimenté depuis le Trudeau de 1970 ne concédant que le français bilinguisé de la loi des langues officielles.

    2-

    Quant à la révolution tranquille, comme c’est dit simplement dans des messages ici de la page FB, notre révolution tranquille en est revenue à la survivance du Québec-province pour notre français. « Tout ça pour ça » comme pour un peu la fédérale, sans renier les progrès des années 1960-1970.

    Nous ne sommes québécois sans majuscule pas tellement plus avancés depuis l’obscurantisme complet des années Charest-Couillard que Legault prolonge plus qu’il ne croit. Jean François Lisée, vous seriez un optimiste.

    Le pessimisme est probablement ce qui empêche de noircir totalement Duplessis. Les élites québécoises depuis 1838 ont été essentiellement celles de la survivance, Duplessis en est, il n’est pas le seul.

    En y revenant, R.Lévesque aurait un des premiers en tant que premier ministre alors pas celui de l’opposition à reconsidérer Duplessis malgré son conservatisme maintenu dans l’Union Nationale qu’il a fondé. Notre problème au Québec par le résultat des 2 référendums c’est qu’une partie notable de l’inconscient collectif serait prête à s’assimiler aux anglophones.

    Y a une part de réalité là dedans pensant aux politiciens, politiciennes d’ici non nationalistes tel une Mélanie Joly. Pierre Trudeau lui a été anglophile jusqu’à cracher sur les siens. Je détesterais toujours plus Trudeau-politicien de 1968-1982 que Duplessis.

  2. En 1944, je nais dans une maison rurale sans électricité, encore à la lampe à l’huile, sans radio. C’est la survivance dans les campagnes.
    M. Duplessis travaille très fort afin que des routes carrossables se multiplient dans les rangs .
    L’électricité rurale s’installe vers les années 1948-49-50
    M. Duplessis travaille à ce qu’il y ait l’instruction dans toutes les campagnes,il fait construire des écoles dans chaque rang.
    Ma famille tient à nous faire instruire, pour tous les onze enfants à y naître.
    Mes parents sont maintenant au courant des nouvelles car ils ont maintenant la radio, un monde d’ouverture sur l’actualité, en 1948.
    M. Duplessis veille à ce qu’un infirmière passe dans chaque famille pour soutenir les mamans dans leur grossesses leur apprendre les soins aux bébés et donner des recettes afin de bien nourrir leur marmaille.
    C’est ainsi que le Québec se bâtit, ponts par ponts, hôpital par hôpital dans chaque comtés. Tout est à bâtir!
    Alors, je me réjouissais de voir tant de modernité à chaque année, les chemins ouverts en hiver, 1955 .
    Alors, que personne ne viennent me dire que M. Maurice Duplessis n’était un nationaliste, c’est un Mensonge énorme, et je ne peux croire que c’est vous Monsieur Lisée soyez aussi ignorant des réalités rurales des années 1940 à 1955.
    Tout ce que je viens de lire est une hérésie et basée sur cette historiographie,,..
    je mettrai alors en doute, tout ce que direz plus tard.
    Dire que j’ai voté pour vous…..
    Vous savez pendant que les villes se vautraient dans le modernisme, nous ,les ruraux commençions à avoir des nouvelles de ce qui se passait dans le monde.
    Apprenez à être reconnaître l’immense travail qu’a fait M. Duplessis!
    Pour ma part j’ai vu arriver un à un les progrès de la modernité!
    De L’électrification de Montréal jusqu’aux derniers rangs de chaque village de la province.
    M. Duplessis avait comme souci de répandre également entre tous les citoyens de la province du premier des villes jusqu’aux derniers du fond d’un rang, les mêmes avancements pour tous !
    Ce n’est pas comme ça que se passe aujourd’hui!!!
    Je vois les politiciens tenter de se faire élire, non pas pour SERVIR et améliorer les situations de survie des gens malgré la modernité ,mais plutôt, SERVIR LEUR PROPRES INTÉRÊTS !
    CEUX qui critiquent M. Duplessis sont à craindre car ils font pire que lui !

    • Votre témoignage de l’électrification des campagnes concerne une réalité que votre expérience a inscrite dans votre mémoire et par vos parents qui ont vécus le progrès directement en tant qu’adultes alors. Un peuple colonisé très fortement le nôtre ne pouvait par le Duplessis de ces années là avancer tant que ça dans un monde moderne qui alors était surtout celui apporté par les anglophones.

      Duplessis n’était pas qu’en cause, l’église imposait sa marque psychique depuis 95 ans après les Patriotes et surtout plus de mille ans depuis l’Europe du Moyen Âge.

      Le progrès technique par Duplessis a été avec le drapeau symbolique du Québec ce qui a existé avant les grands changements des années 60.

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