Je vote utile. Je vote Bloc.

La Presse, samedi 20 septembre 2008

Je déteste perdre mon vote. Je ne l’annule jamais. Je crois le vote est à ce point important qu’il devrait être réservé aux seules personnes présentes sur le territoire au moment du vote (ou le week-end précédent). Pas de vote par la poste, par procuration ou depuis l’étranger. Plus : j’estime que les infractions sérieuses à toutes les lois devraient entraîner la suspension du droit de vote pour un délai fixe. Cela rendrait le vote encore plus précieux.

Et c’est sans douter un instant de l’utilité de mon vote que j’appuierai, le 14 octobre, le Bloc Québécois. Je sais qu’il ne prendra pas le pouvoir. Je sais que son existence est le symptôme d’un malaise profond entre le Québec et le Canada. Alors à quoi bon ? J’entends le premier ministre Harper, dans ses publicités, se vanter d’avoir reconnu l’existence de la nation québécoise. Il présente la chose comme un fait majeur de la vie politique québécoise et canadienne.

Certes, mais il faut être victime d’amnésie pour ne pas savoir que, sans le Bloc, jamais cette reconnaissance n’aurait eu lieu. C’est parce que le Bloc, revenant pour une centième fois à la charge, a mis la Chambre des Communes au défi de reconnaître la nation québécoise que Stephen Harper, dans une surprenante volte-face, a récupéré la proposition. Tant mieux. Mais il n’y a aucun scénario où des députés québécois, membres des caucus conservateurs ou libéraux, auraient réussi à pousser le premier ministre, et tout le parlement, à reconnaître notre existence.

Sans les questions incessantes du Bloc sur le déséquilibre fiscal, et sans sa menace de renverser le gouvernement à moins d’un effort significatif sur ce plan, aucune chance que le gouvernement Harper ait mis 3,9 milliards de plus sur la table pour le Québec. Sans le Bloc, qui aurait exercé cette pression ? Les libéraux de Stéphane Dion ? Jean-Pierre Blackburn ? Josée Werner ? Je vous laisse répondre.

Posons une hypothèse. Nous sommes en 2003. La Maison-Blanche fait pression sur le Canada pour qu’il appuie l’invasion de l’Irak. Si, au lieu des députés du Bloc farouchement et ouvertement opposés à la guerre, Jean Chrétien avait eu devant lui de disciplinés députés québécois de Stephen Harper, dont l’appui à l’intervention en Irak est connue, aurait-il eu la marge de manœuvre voulue pour dire non à George Bush ?

Plus prosaïquement, le Bloc rend très audibles des dossiers qui, sinon, se perdraient, à huis clos, dans les grands caucus nationaux conservateurs et libéraux. Exemple : Pendant la montée de la violence liée aux motards criminalisés, c’est Gilles Duceppe qui a talonné le gouvernement vers l’adoption d’une loi antigang dont Chrétien ne voulait pas, au début, entendre parler. Idem pour les agriculteurs aux prises avec les motards ; pour la lenteur fédérale à régler le dossier des congés parentaux ; pour les aînés qui ne recevaient pas leur supplément de revenu garanti, etc.

Depuis un an le Bloc mène une autre bataille : étendre les protections de la loi 101 aux 200 000 québécois (5% de tous les travailleurs) salariés dans des entreprises privées sous juridiction fédérale. On sait que le français est presque une langue étrangère dans les chantiers du Canadien National. Je parie que, d’ici cinq ans, ce sera fait. Même sans l’appui du gouvernement Charest, qui s’en fiche. Personne d’autre que le Bloc ne veut mener cette bataille.

Mais ne me croyez pas sur parole. Lisez plutôt ce qu’écrivait un des grands chroniqueurs du Canada au lendemain de l’élection québécoise de 2007 qui, selon lui, avait poussé Jean Charest à devenir plus nationaliste. « Les Québécois sont brillants. Ils ont un gouvernement plus nationaliste à Québec pour défendre leurs intérêts contre Ottawa. Ils ont leur propre opposition officielle, le Bloc, pour défendre leurs intérêts à Ottawa. Et ils ont un Premier ministre (Harper) dont la politique de fédéralisme ‘d’ouverture’ est comme une porte qu’ils n’ont qu’à pousser. »

Vous aurez compris que l’auteur, Jeffrey Simpson, est en colère contre « les brillants » que nous sommes. C’est son problème. Pour le reste, il a raison : le Bloc renforce, concrètement, le pouvoir politique du Québec au sein du Canada.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !