Vous m’avez peut-être déjà entendu dire qu’une des tendances lourdes sur la question nationale est la décanadianisation du Québec.
*Économiquement, nos échanges avec l’extérieur étaient, avant 1990, surtout avec le reste du Canada, depuis, surtout avec les États-Unis;
*Sociologiquement, les liens familiaux avec les francophones hors-Québec s’estompent avec les générations et avec elle la notion de famille canadienne;
*Politiquement, une pluralité de Québécois votent pour le Bloc depuis maintenant 17 ans, signe d’un détachement majeur;
*Symboliquement, les jeunes Québécois rêvent à Singapour, Sao Paulo, New York, Berlin ou Londres, mais pas à Toronto.
Je perçois depuis peu quelques intéressants retours d’ascenseurs*. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec, elle, était moins indulgente lorsqu’elle a lu, le mois dernier, dans un communiqué de son organisation sœur, l’Association canadienne des journalistes (CAJ), la phrase qui suit:
«The CAJ is Canada’s largest professional organization for journalists from all media, representing about 800 members across the country».
La CAJ se présente donc comme la première association de journalistes au pays. On comprend la fédération québécoise de rétorquer:
Puisque la FPJQ compte deux fois plus de journalistes (1900), faut-il en conclure que le Québec ne fait plus partie du Canada?
On me rétorquera avec raison que ces « oublis » ne sont pas nouveaux. Après tout, l’émission de nouvelles-phare de la Canadian Broadcasting Corporation annonce tous les soirs « The National »‘, affirmant ainsi embrasser toute la nation canadienne, comme s’il n’y en avait qu’une. Pire, le quotidien torontois le Globe and Mail s’est longtemps affiché comme Canada’s National Newspaper, ce qui supposerait qu’il a une version française, toujours introuvable dans les kiosques. (Mais les majorités sont toujours impérialistes, voyez les Américains, qui se disent tels comme si ni le Canada, ni le Mexique, ni les autres nations d’Amérique n’existaient…)
Des détails. Mais voici que la déquébécisation du Canada s’installe subrepticement dans des visions du Canada d’hier… et de demain!
Le passé littéraire a-québécois du Canada
Un bibliothécaire de l’Université de Montréal, Mathieu Thomas, attire notre attention sur la nouvelle Cambridge History of Canadian Literature. M. Thomas nous situe l’importance de l’ouvrage:
Cette collection peut être considérée comme le nec plus ultra dans plusieurs domaines, Cambridge UP étant une maison d’édition très respectée. Je suis convaincu que la plupart des cours universitaires donnés sur le sujet de la littérature canadienne (que ce soit aux USA, au Canada, en Europe ou ailleurs) incluront à l’avenir des lectures provenant de cet ouvrage.
Or, que dit ce livre de référence, compilé par deux spécialistes de littérature canadienne, Coral Ann Howells, de l’Université de Londres, qui a beaucoup écrit sur Margaret Atwood, and Eva-Marie Kröller, de UBC à Vancouver ? Prosternons-nous devant le londonien Times Literary Supplement, pour nous éclairer. L’auteur canado-germano-britannique Stephen Henighan écrit dans l’édition du 17 septembre du londonien ce qui suit:
The Canada presented in the Cambridge History of Canadian Literature is a predominantly an English-speaking country defined by its multiculturalism; the 1971 Multiculturalism Act is referred to by at least seven contributors.
The reduced emphasis on English-French bilingualism reflects current anglophone Canadian interest in racial diversity and English-language global culture.
After 1759 – the year when the British defeated the French in Canada – references to French-Canadian literature are limited to fleeting asides in chapters devoted to writing in English.
Literature in French – roughly one-quarter of all the literature written in the country’s history – returns in three brisk summary chapters at the volume’s conclusion. The last of these, on French-Canadian fiction, is perfunctory and particularly inadequate in its coverage of the past thirty years.
The fact that fiction in French since 1837 is accorded twenty-three pages, while aboriginal literature since the 1960s gets thirty-seven, gives an idea of this volume’s priorities.
Traduction: ce volume parle du Canada multiculturel, la littérature francophone y tient la part congrue et on en parle moins, au total, que de la littérature des premières nations. Cela donne une idée, écrit le critique « des priorités de cet ouvrage ».
Commentaire du bibliothécaire Thomas:
Il est assez savoureux de voir des British faire la leçon aux canadiens-anglais en ce qui a trait à l’inclusion des canadiens-français dans leur imaginaire national.
Un avenir du Canada, sans le Québec ?
Seuls les auteurs les plus prestigieux sont appelés à donner les Massey Lectures, soit des conférences de haut niveau. C’était en octobre dernier au tour de l’auteur Douglas Coupland qui a choisi de donner sa version de l’avenir, mais d’en livrer un avant goût, en 45 points (très intéressants), au Globe and Mail.
Sa 20e prédiction se lit comme suit:
20) North America can easily fragment quickly as did the Eastern Bloc in 1989
Quebec will decide to quietly and quite pleasantly leave Canada. California contemplates splitting into two states, fiscal and non-fiscal. Cuba becomes a Club Med with weapons. The Hate States will form a coalition.
Traduction: L’Amérique du Nord peut se fragmenter aussi rapidement que le bloc soviétique en 1989. Le Québec va décider de quitter, silencieusement et très gentiment, le Canada. La Californie va envisager de se scinder en deux états, avec et sans impôts. Cuba va devenir un Club med avec des armes. Les États de la haine vont former une coalition.
Le mystère du sondage non-scientifique disparu!
Ce n’est évidemment que l’opinion d’un artiste canadien à l’imagination fertile. Au printemps dernier Léger Mise-en-marché (ma traduction) a demandé aux Canadiens si le Québec serait en meilleure position (better off) s’il quittait le Canada. Quelque 15% de Canadiens hors-Québec dont 26% d’Albertains ont dit oui.
Mais ce n’est pas du tout la bonne question à poser. Il faut au contraire demander aux Canadiens si le Canada se porterait mieux si le Québec partait. Donc s’ils sont favorables à la déquébécisation du Canada.
Je n’ai trouvé aucun sondage scientifique ayant osé poser cette question. Mais il y a le cas du mystérieux sondage non-scientifique disparu.
Comme le font plusieurs médias, le Globe and Mail, toujours lui, pose chaque jour une question à ses internautes. Le 15 janvier 2007, la question, et la réponse des 46 491 premiers internautes à répondre, étaient les suivantes:
C’est un blogue conservateur canadien qui a relevé la chose, et la soudaine disparition de la question du site du Globe and Mail.
À quand un vrai sondage avec cette question qui choque:
En êtes-vous venu à la conclusion que le Canada se porterait mieux sans le Québec?
La réponse serait-elle proche de ce qu’a très brièvement trouvé Canada’s National Newspaper ? Le mystère reste entier!
(* J’ai retiré un exemple suite aux très valables remarques d’alertinternautes. Merci aux alertinternautes Sandrine P. et Jacques L. pour certains de ces signalements. Merci d’avance aux autres alertinternautes qui m’enverront d’autres exemples de déquébécisation du Canada, je suis preneur.)