L’affaire du niqab, à travers le miroir canadien

J’écoutais tranquillement The National, le Téléjournal de CBC, hier soir, lorsqu’on a décidé de m’expliquer l’affaire du niqab et de l’étudiante égyptienne qui avait refusé de l’enlever pendant son cours de français.  Je vous invite à l’écouter d’abord, on en discutera ensuite :

niqab

 

 

 

 

 

 

D’abord un détail. Vous avez remarqué que la journaliste de la CBC a obtenu une « entrevue exclusive » avec Naïma Atef Amed — qui avait la semaine dernière donné des entrevues à TVA, à La Presse et à Radio-Canada ? Passons. L’essentiel est que la controverse est présentée de façon nettement prédominante du point de vue de Mme Amed. Aucune mention n’est faite de la version du Cégep, selon laquelle la musulmane voilée avait réclamé que les hommes aient le dos tourné ou ne lui fassent pas face. Aucune mention des nombreuses tentatives d’accommodements. Aucune mention du fait que les plus grands défenseurs des accommodements — Bouchard, Taylor, Weinstock — soient eux-mêmes d’accord avec la mesure prise par la ministre. (Heureusement que la ministre James est noire, cela nous a un peu sauvés.)  La controverse au Québec est illustrée par le désaccord entre le caricaturiste de la Gazette et l’éditorial de la Gazette.

On ne parle pas ici d’une radio orangiste du sud de l’Ontario, mais du réseau national d’information. Comme mon collègue blogueur Patrick Lagacé citait dans La Presse de ce vendredi, non une feuille de chou manitobaine, mais l’éditorial du Globe and Mail, le quotidien sérieux de référence au pays. Je vous invite à le lire au complet, mais ne puis me retenir de citer quelques passages clés. On y commente le fait que des fonctionnaires sont venus rencontrer l’étudiante pour l’inviter à se dévoiler :

It may be practiced in some Arab and west Asian countries, such as the former Taliban regime in Afghanistan, but empowering state agents to enforce dress codes and bar the education of women is hitherto unknown in Canada.

Je traduis :  Cette pratique existe peut-être dans quelques pays arabes ou d’Asie de l’Ouest, comme l’ancien régime Taliban en Afghanistan, mais donner à des agents de l’État le pouvoir d’imposer un code vestimentaire et d’interdire l’éducation de femmes était jusqu’à présent inconnu au Canada.

Je vous conjure de vérifier. Je n’invente rien. En fait, cela empire. Continuons :

Of course, this is not really about Ms. Ahmed at all; it is about Quebec politics. The Liberal government has come under pressure from the opposition Parti Québécois to get tougher on those who display differences.

Je traduis : Évidemment, la question ne porte pas du tout sur Mme Ahmed ; elle porte sur la politique québécoise. Le gouvernement libéral subit la pression de l’opposition, le Parti Québécois, qui le pousse à être plus dur envers ceux qui font voir leurs différences.

Voyez, c’est la faute des séparatistes ! Ce sont eux qui veulent être durs envers les différences. En général. Cheveux bleus, piercings, porter du blanc après la fête du travail ?

C’est bien simple. Lorsqu’il est question du Québec, surtout des questions linguistiques et identitaires, les médias canadiens, y compris les grands médias qui se prennent pour la BBC et le New York Times, ont tendance à se transformer en Fox News.

Cependant, dans ce cas, un quotidien national canadien a présenté, en éditorial, une version fidèle du cas en question et une opinion modérée de l’action de l’État québécois. Qui ? Le National Post, haut lieu des plumes antiquébécoises. Toute modération est bonne à prendre. Mais c’est un peu comme si Fox News se mettait à faire la promotion de l’indépendance du Québec. Nous aurions comme un malaise.

Alors, honte à la CBC et au Globe and Mail, et (raclement de gorge) merci à l’éditorialiste du Post.