Le goût de l’eau tiède

Les pourcentages tombent dru, depuis lundi soir, pour démontrer qui a raison ou tort d’être contrit ou content du passage de l’ouragan François. Je vais me concentrer sur les chiffres bruts. D’abord, le nombre d’électeurs supplémentaires à avoir choisi la CAQ, par rapport à 2018 : exactement 176 098.

C’est beaucoup, d’autant qu’à taux de participation presque équivalent, à un demi-point de pourcentage près, il n’y avait que 133 017 nouveaux électeurs à prendre. C’est beaucoup, aussi, parce que le produit de la maison CAQ était remarquablement mièvre par rapport à son produit précédent. En 2018, elle incarnait le changement estimé indispensable, après des années libérales ayant combiné le triptyque toxique odeurs de corruption-austérité brutale-mépris pour les enjeux identitaires. L’équipe Legault s’offrait alors comme la boisson effervescente et rafraîchissante après des années de sécheresse éthique, budgétaire et nationale.

En 2022, le Nouveau CAQ n’avait rien de pétillant. Sans la moindre inhibition, le gouvernement nous a vanté les mérites de l’eau tiède. Continuons. À faire quoi ? Comme avant était la réponse, mais pour plus longtemps. Un gouvernement tablette ou, comme on dit dans les restaurants, « chambré ».

Il faut rendre justice aux stratèges caquistes qui ont, en amont, bien saisi l’humeur électorale. Il en faut, de l’audace, pour penser que l’eau tiède est tendance, qu’on pourra tenir toute une campagne en ne promettant presque rien d’autre et en espérant même étendre ses parts de marché avec un produit aussi insipide.

Et pourtant, sans l’incapacité de François Legault de parler correctement d’immigration, sans l’inacceptable bulle de cerveau de Jean Boulet, jetant des électeurs jusque-là bien disposés dans les bras libéraux et solidaires, la CAQ aurait pu déployer son empire fade sur trois ou quatre autres circonscriptions, notamment sur l’île de Montréal.

La donnée capitale du scrutin, donc, était que la soif populaire d’eau tiède était telle qu’elle a pour l’essentiel tenu, et s’est même fortifiée, malgré que les acheteurs aient admis aux sondeurs avoir été exposés par la CAQ à la pire de toutes les campagnes de publicité des marques en présence et, certainement, à la pire des campagnes que la CAQ ait présentées depuis sa naissance. Ça, Monsieur, Madame, c’est de la soif.

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De vraies saveurs étaient pourtant disponibles. Et on doit reconnaître que le produit minoritaire à plus haute teneur en TNT politique est celui qui enregistre la plus forte hausse des ventes : le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime. L’ex-animateur de radio a attiré dans son giron pas moins de 471 836 électeurs de plus que son prédécesseur ne l’avait fait en 2018. S’il avait payé à temps ses taxes, son Hydro et son câble, gageons qu’il entrerait à l’Assemblée en vainqueur.

Mais lui qui a, en un an, créé une force politique suscitant un appui populaire presque équivalent aux trois autres partis d’opposition est banni par notre mode de scrutin, condamné à rôder autour du parlement pour y trouver un micro ou une caméra, repoussé par cette injustice vers sa frange radicalisée et complotiste trouvant inévitablement dans ce résultat inique des raisons de plus de prendre la rue et de rejeter le système. Un gâchis.

Un premier ministre vraiment habité par l’impératif de la cohésion sociale en tirerait des conclusions immédiates sur la nécessaire réforme du scrutin. On a plutôt assisté, dès mardi, par Sonia LeBel et Bernard Drainville (ci-devant ex-ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne), et par le patron Legault lui-même à des claquages de portes.

Parmi les autres saveurs présentes dans la distributrice électorale, il y avait la libérale sous emballage Dominique, dynamique à souhait. Par rapport à l’emballage précédent, beige-Couillard, elle a pourtant trouvé 410 030 preneurs de moins. On peut penser que la correction à la baisse de la part de marché libérale n’était pas complètement intégrée en 2018 et qu’elle atteint désormais son réel point d’équilibre. Malgré cette glissade des ventes, les résultats libéraux établissent une équation qui pourrait être stable : au Québec, les francophones élisent le gouvernement ; les non-francophones, l’opposition officielle.

Le plus étonnant dans le comportement des électeurs est leur refus d’accorder une croissance, même mineure, à des produits, certes minoritaires, mais très typés dont les publics devraient être au rendez-vous.

Québec solidaire a un attrait générationnel certain, GND fut le chouchou des médias depuis deux bonnes années et son parti devrait être poussé vers le haut par deux vagues combinées : la woke et la climatique. Pourquoi donc, malgré ce climat porteur et hypermédiatisé, le parti des co-porte-parole a-t-il perdu des troupes depuis 2018, exactement 14 991 électeurs pour être précis ? Sérieusement, je ne me l’explique pas.

Idem pour le PQ, abandonné par 87 309 électeurs. Au dernier scrutin, on pouvait comprendre la volonté de s’agglutiner derrière la CAQ, parfois en se pinçant le nez, pour être certain de faire barrage aux libéraux. De plus, le chef péquiste de l’époque, que je ne nomme pas par pure charité chrétienne, était accusé de cacher la souveraineté, d’être couci-couça sur la langue et de ne jamais sortir sans chaise à porteurs. PSPP fut au contraire la révélation de la campagne, ses publicités alternaient entre l’annonce de l’hécatombe linguistique et la promesse du réveil du géant indépendantiste, en pleine année René Lévesque. Et il a eu moins d’électeurs ?

Force est de constater que la grande aiguille de l’horloge québécoise pointe fermement sur l’heure « tranquille » plutôt que sur l’heure « révolution ». Dans ces cas, on se console avec des dictons : « Il faut se méfier de l’eau qui dort. »

On se console comme on peut.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

7 avis sur « Le goût de l’eau tiède »

  1. L’hom/me que j’ai mis à chercher une explication aux deux faits que QS a perdu
    14 991électeur/es et que le PQ en a perdu 87 309 de l’élection 2018 à l’élection 2022 a trouvé.

    Chez les grégaires, sans être des moutons ou des caribous les hom/me le sont, en cas de danger, une pandémie par exemple, les membres se réfugient en un centre. Quoi de plus centre que François Legault et la CAQ.

    Pas tous cependant, jusqu’à de 10 à 15 % peuvent ne pas emboîter le pas.

    Que reste-t-il pour nos amours et là, je ne parle pas des Expos.

    Les graphiques à ces pages ont aidé l’hom/me à trouver.

    https://rjjyl.blog/2022/09/15/prospection-politique-mi-aout/

    https://rjjyl.blog/2022/10/18/prospection-politique-aout-2021/

  2. 176 098 sur 1 685 573 donne 1 % et des poussières.

    Moi qui m’imaginait que la question à l’urne serait le mode de scrutin et non la soif populaire d’eau tiède; fallait-il être naïf politiquement ! pour ne pas écrire d’avant avant-garde.

    Si Éric Duhaime avait ajouté ce plus substantiel en fin de course le PCQ allait chercher chez QS et le PQ un supplément de mécontents nécessaire et suffisant à l’élection d’au moins un député. Je m’en veux. Il y a eu Claire Samson qui a fait une différence entre les partis sans élu en 2022 et les autres.

    L’occasion ne se représentera pas avant 4 ans sous majorité de sièges. Sous infériorité numérique à 41 contre 59 % en nombre d’électeur/es, ça va dépendre des « intellectuel/les ». Comme les Dupont, je dirais plus, je dirais même, non je ne dirai pas, du MDN, Mouvement démocratie nouvelle. J’y commente abondamment depuis 2020, pour ne pas écrire squatte.

    https://www.facebook.com/profile.php?id=100064801503577

    Des 410 030 preneur/es de moins au PLQ, Bloc Montréal n’en a obtenu que 7 774 et le Parti canadien du Québec 12 981. Qu’en sera-t-il quand le vote s’y divisera comme ça se passe entre la CAQ, le PQ et QS.

    QS. « Sérieusement, je ne me l’explique pas. »

    PQ. « Et il a eu moins d’électeurs ? »

    – Je mets un hom/me là-dessus.

    Après que les parents des baby-boomers se soient offerts une révolution tranquille, pourquoi leurs petit/es-enfants ne se payeraient pas de leurs épargnes plutôt qu’un troisième lien en région de Québec, ailleurs je ne sais pas comme Céline en une autre matière, une évolution tranquille ?

    Pour ce faire, nous disposons d’un an avec le mixte compensatoire et jusqu’à trois avec le CRPPP. C pour circonscription, R pour région, P pour province ou pays, P pour proportionnel et troisième P pour préférentiel. (aucun rapport avec PSPP mais pourquoi pas).

  3. En terme de qualité de texte, c’est un 10/10; contenu profond, politiquement de haute voltige et grande lucidité . Un peu « acide » à certains endroits mais bon…
    Bravo et merci!

    Note: dommage qu’il n’apparaisse pas dans les médias,..

  4. Très bon texte! Un peu comme si, au-dessus du Québec, il y avait un grand écriteau avec la mention: « Prière de ne pas déranger » (soupir).

  5. Les lendemains de grippe de cheval dureraient plus d’un mois… imaginons la durée des lendemains de pandémie. Alors, les feux d’artifice ? Faudra attendre 4 ans pour espérer voir des chandelles romaines tirées par le gentil monde politique… à moins que Poutine n’allume ses feux de Bengale radio-actifs.

  6. Également en contre point un bon article qui fait débat lorsqu’il est possible. Très bien les chiffres et statistiques sur l’élection. La métaphore commerciale du politique connaît des limites, elle est quand même très lisible pour l’article. Sous un angle pas tous.

  7. Mon message plus philosophique reproduit ici. Mon propos actualité sur ce que serait la post pandémie et réaction de l’article que dans facebook Lisée.

    MESSAGE

    Dans la vie, la question du suicide se pose. Il y a des situations de suicide individuel qui existent. On peut le déplorer à distance mais c’est comme ça. Il y a aussi ce qui ressemble à des suicides collectifs.

    Des nations qui se laissent aller, des civilisations qui s’effondrent. On a le cas connu de suicides collectifs dans des sectes menés par des gourous. Des membres de sectes se sont immolés.

    Ou autrement de ça, l’individualisme en développement comme jamais depuis 1980 rend tout tiède, tout fade.
    D’ailleurs la métaphore Lisée de la démocratie sous forme d’offre commerciale et de produits politiques la détruit.
    C’est donner raison par distraction à la vision du monde de Duhaime du chacun pour sa gueule.

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