Le paradis inflationniste de votre épicier

Les temps sont durs. Heureusement, nous sommes un peuple de débrouillards. De ratoureux, même. L’inflation alimentaire nous tombe dessus comme les oiseaux d’Hitchcock dans The Birds ? Regardez-nous slalomer dans les rangées des supermarchés, d’un prix coupé à l’autre, tenant notre circulaire telle une carte codée pour une palpitante chasse au trésor. Et si, hier, il nous arrivait de nous délecter à la vue du brocoli, aujourd’hui, notre goût pour la pomme de terre en vrac atteint des sommets.

Nous portons sur nous, en permanence, notre propre bouclier anti-inflation. Le phénomène n’est pas passé inaperçu chez un des membres les plus perspicaces de notre 1 % national, le p.-d.g. de Metro, Eric Richer La Flèche.

En entrevue au Journal de Montréal cette semaine, Monsieur Metro-Super C nous a révélé l’existence d’une nouvelle unité de mesure de l’inflation, intégrant notre débrouillardise dans l’équation, et donc plus proche du réel que ne l’est l’indice de Statistique Canada. Il s’agit, nous apprend-il, de « l’inflation interne ». Elle ne mesure pas l’évolution du prix des produits, mais l’évolution des produits achetés. Vous me suivez ? Je sens que non. Alors voici. Puisque l’an dernier, vous achetiez des brocolis et que cette année, vous préférez les patates, le prix de vos achats a moins augmenté. N’est-ce pas fantastique ? M. Laflèche explique : « Les gens ajustent leur comportement. Ils achètent des denrées moins dispendieuses, des produits de marques privées, ils achètent en spécial. Tout ça fait en sorte que l’inflation réelle que nous vivons, elle est moindre que l’inflation publiée » par Statistique Canada.

Le remplacement du poulet par le baloney est certes une stratégie anti-inflationniste gagnante. Le p.-d.g. tient une bonne piste. Mais il ne va pas au bout de sa logique. Aidons-le. Plus d’un de ses clients sur dix s’approvisionne désormais aux banques alimentaires. Voilà un coût évité qui fait aussi, indubitablement, baisser la facture d’épicerie. Il y a aussi la décision de ne plus manger de poisson du tout. Y avez-vous pensé, M. Laflèche ? Ça compte ! L’air de rien, sauter un ou deux repas par semaine contribue puissamment à contenir l’inflation interne.

Je ne sais pas pour vous, mais depuis quelques mois, les algorithmes des réseaux sociaux ont décidé que j’étais un candidat tout désigné pour m’adonner au jeûne intermittent et me bombardent de pubs à ce sujet. S’y adonner, c’est jouer un tour pendable à l’inflation alimentaire. Elle ne s’en remettra pas.

Une stratégie moins rude est d’aller moins souvent au restaurant, ou plus du tout, et de se replier sur le fait-à-la-maison. Une aubaine pour les enseignes. Les ventes chez Metro ont augmenté de presque 7 % en un an (et de 5 % chez le concurrent Loblaw, propriétaire de Maxi et Provigo). Voyez, l’inflation, c’est le paradis des épiciers.

Heureusement, les petits consommateurs peuvent se rabattre sur un outil salvateur : la carte de crédit. Equifax nous apprend que, sans même calculer la dette hypothécaire et la hausse faramineuse des taux, l’endettement moyen des utilisateurs de crédit a atteint le record de 21 131 $. Par personne. Cette somme équivaut à plus du tiers du revenu médian des ménages québécois. Ce nouveau sommet, explique la firme, n’est pas principalement attribuable à l’augmentation de la dette des détenteurs actuels de cartes plastifiées. Non. Le gonflement est produit par l’afflux de nouveaux porteurs de cartes. Ceux qui, malgré l’inflation interne réduite, la fréquentation des banques alimentaires et, peut-être, la pratique du jeûne intermittent, doivent quand même chercher un appel d’air dans le vortex de la vie à crédit.

Heureusement, les grands épiciers n’ont pas un coeur de pierre. Conscients de l’urgence et sachant que leur propre bien-être économique dépend de leur réputation auprès d’une clientèle essentiellement captive d’un oligopole, ils ont spontanément décidé de limiter leurs profits — en forte augmentation — à leur niveau prépandémique et de verser le pactole supplémentaire en rabais sur les produits alimentaires essentiels. Leurs directions ont de même procédé à un gel de leur salaire et à l’abolition de leurs primes jusqu’à ce que l’inflation alimentaire officielle revienne autour de 2 %.

Avez-vous autant ri en lisant le paragraphe précédent que moi lorsque je l’ai écrit ? En réalité, les profits bondissent allègrement de trimestre en trimestre, comme la rémunération des géants de l’épicerie. M. La Flèche avouait cette semaine qu’il lui arrivait de faire lui-même ses achats. Conscient de la hausse scandaleuse du prix du beurre, il lui arrive d’en acheter plusieurs livres lorsque des soldes en ramènent le prix sous les cinq dollars et de les congeler pour les consommer lorsque les prix dépassent les huit dollars. Une précaution nécessaire puisque, l’an dernier, il a encaissé une rémunération totale de 5,4 millions de dollars, en augmentation de 6,8 % sur l’année précédente. Sa prime annuelle a aussi bondi de 15 %, à 1,5 million.

Lui et ses amis du 1 % sont donc aux prises avec des décisions difficiles. Puisque leurs revenus augmentent, comment peuvent-ils modifier leurs comportements pour éviter de se retrouver avec un trop-plein d’épargne ? Leur propre inflation interne les pousse-t-elle à faire des substitutions ? Au lieu de la Lexus, la Porsche ? Au lieu de l’hôtel cinq étoiles, l’île privée ? Au lieu de la croisière en yacht de luxe, un petit tour en orbite ?

Mais je leur fais confiance.
Face à l’inflation, ce sont les plus débrouillards de tous.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

5 avis sur « Le paradis inflationniste de votre épicier »

  1. Bonjour- Autre petit truc en saison (inflation hypocrite): geler les prix tout en réduisant la quantité.

    À résoudre::
    Les terres agricoles mondialement s’érodent à un rythme de 10 à 40 fois plus rapidement que la formation de nouveaux sols, et de 500 à 10, 000 fois les taux des terres forestières (Réf.: Collapse.de Jared Diamond)
    Autres pratiques contribuant à l’érosion des terres agricoles: la salinisation, la surexploitation (dont l’industrialisation de l’élevage et cultures intensives) l’acidification et l’alcalinisation.
    Achats de terres agricoles par des groupes d’investisseurs étrangers pour des projets commerciaux. Une situation qui contribue à la surenchère/inflation dans le secteur immobilier.
    Les statistiques citées par « La Coalition pour la protection du territoire agricole«  démontrent que le Québec parvenait à s’autoalimenter à 85 % dans les années 1980, alors que cette proportion a chuté de nos jours aux alentours de 55 à 60 %.
    Le président de l’UPA a ajouté que la situation est d’autant plus critique que les superficies de sols cultivables au Québec sont excessivement rares. Selon lui, elles ne représentent que 2 % du territoire du Québec, alors que 4 % du territoire ontarien est réservé à l’agriculture. Dans les provinces de l’Ouest, cette proportion atteint 8 %. (stats. 2015)
    Les gros investisseurs participent, chaque année, à la reconversion de 4 000 hectares de terres agricoles à d’autres fins, dont le développement immobilier (Stats. Canada 2015).

    Nous avons déjà perdu jusqu’à 75% des populations d’abeilles dans certaines régions des États-Unis, 50% dans l’ensemble de l’Amérique. Albert Einstein a remarqué de façon prophétique: “Mankind will not survive the honeybees’ disappearance for more than five years.”  70% de la production agricole planétaire y dépend.

     »Bonne lecture. »

  2. On jase ….

    RECETTE GAGNANTE POUR LES EMPLOYEURS EN VOIE DE RENOUVELER UNE CONVENTION COLLECTIVE
    1. Faites une promesse que vous savez d’avance ne pas pouvoir respecter.
    2. Faites savoir à vos employés que le personnel cadre vient de bénéficier d’une augmentation salariale de 30%.
    3. Offrez un gros cadeau à des millionnaires après avoir informé vos employés qu’ils devront se serrer la ceinture.
    4. Accusez publiquement vos employés de ne pas collaborer à la table de négociation.

    En cas de grève, demandez au patron de supplier vos employés de rentrer au travail pour le bien de la clientèle.

  3. Bonjour M. Lisée
    J’ai essayé de partager cet article sur Facebook, et on me dit que « Le contenu relatif à l’actualité ne peut pas être partagé au Canada… ». Je suis choquée et j’aimerais bien trouver une solution pour contourner l’imbécilité de Facebook. Pour le moment, je vais prendre des saisies d’écran de votre article, les assembler dans Photoshop et les publier sur ma page. Si vous avez une meilleure solution, SVP m’en faire part 🙂 Merci et bonne journée !

    • Oui, il semble que Facebook estime que jflisee.org est un média 😉
      Je contourne le problème en indiquant : à lire sur mon blogue, via laboitealisee.com
      facebook n’estime pas que laboitealisee.com est un média 😉

  4. Bonjour, De mon côté j’ai remarqué en faisant mon épicerie que les épiciers ont trouvé un petit truc pour essayer de nous berner, ils montent le prix d’un produit bien au-delà du prix normal une semaine et les semaines après ils le remettent au prix initiale. En l’achetant en réalité nous croyons faire une bonne affaire, mais en réalité nous l’achetons au prix régulier. Sur le coupon de caisse il le compte comme un économie vous économisez X% sur votre épicerie qu’il est écrit. Ça c’est depuis que le fédéral a fait une sortie pour nous dire qu’il surveillerait les épiciers. Comme d’habitude au fédéral ils comptent ça comme une préoccupation de leur part vis à vis les consommateurs, mais personne ne s’est présenté pour donné suite à leur sortie d’avant budget, c’est du néant comme d’habitude.

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