L’électrochoc

Dans le tourbillon des débats, il arrive que les meilleures idées tombent au combat, victimes de la polarisation. Les tenants du statu quo et ceux de la révolution ont souvent un ennemi commun : le compromis créatif. L’injonction « du passé faisons table rase » induit un puissant vertige (comme la strophe suivante d’une chanson mondialement célèbre : « nous ne sommes rien, soyons tout ! »).

C’est le cas des écoles privées. Il y a ceux qui sont pour. Y compris 96 % des parents qui y ont recours, et qui s’en disent grandement satisfaits. Il y a ceux qui veulent les pousser à l’extinction. C’est le cas — le saviez-vous ? — de la majorité des Québécois. Ils mettraient illico la hache dans le financement public du privé.

Chaque étudiant franchit le seuil des écoles privées avec 60 % du financement effectif qu’il aurait au public. À cette somme s’additionne le chèque envoyé par le parent et les contributions de généreux donateurs — anciens élèves devenus membres de l’élite —, ce qui offre au chérubin beaucoup plus que 100 % de ce qui est investi chez son parent pauvre du public.

Ayant fait, comme député, les portes ouvertes des meilleures écoles du privé et du public à Montréal, je vous l’assure : point besoin d’être un inspecteur patenté pour constater combien on passe, littéralement, d’un monde à l’autre. La qualité des équipements, les traces de rénovation récentes, la grandeur des gymnases. D’ailleurs, 82 % des parents ayant choisi le privé mentionnent leurs visites lors des portes ouvertes comme ayant pesé sur leur décision. Voir, c’est savoir.

Pour un peuple qui ne s’est adonné que tardivement aux vertus de l’éducation, l’attrait du privé est un signe tangible de la volonté de parents d’investir dans la tête de leurs enfants. Quand le privé attirait 5 % de la population étudiante en 1970, c’était tolérable, car marginal. Avec 21 %, dont 39 % au secondaire à Québec et 42 % à Montréal, on est dans un autre univers, celui de la vampirisation massive du public, de sa grave dévalorisation.

Le Parti québécois a adopté en fin de semaine une idée qui circule depuis sept ou huit ans. Elle fut portée par Camil Bouchard, reprise et étoffée par le mouvement École ensemble, dont le coordonnateur, Stéphane Vigneault, était conférencier devant les péquistes.

Il s’agit de casser la spirale de l’école à trois vitesses, non en fermant les écoles privées puis en devant gérer un afflux d’écoliers, mais en les intégrant, presque toutes, au secteur public. Le mot gentil utilisé est « conventionner ». Ces écoles garderaient une dose d’autonomie, leur identité, leur personnel, leur histoire — leur aura —, mais deviendraient des écoles du secteur public, y inscrivant des élèves de leur quartier, sans effectuer de sélection. Il est vrai qu’avec ce système, les voisins immédiats de Jean-Eudes à Rosemont, par exemple, jouiraient d’un effet d’aubaine.

Mais pourquoi diable voudraient-elles se conventionner ? Soyons brutaux : pour ne pas mourir. L’État leur donnerait le choix entre s’intégrer et obtenir 100 % de financement public, ou rester privées et perdre la totalité de ce financement à plus ou moins brève échéance. Il y aura des survivants. Je suppose que Brébeuf pourrait décider de quadrupler son tarif et braver la tempête. Le Québec compte désormais suffisamment de millionnaires pour tenir cette barque à flot. L’immense majorité des autres, non.

École ensemble a demandé à l’économiste François Delorme, de l’Université de Sherbrooke, de faire une simulation de coûts. Il a présumé que les parents québécois auraient le même comportement que les Ontariens, là où les écoles privées ne sont pas subventionnées. Le résultat est que 6 % du total des élèves québécois resteraient au privé, et ne toucheraient pas un sou du public, d’où des économies, au total, de près de 100 millions par an. (Cela semble beaucoup, mais en cas de pépin, se tromper de 100 millions nous donnerait une opération à coût nul.)

Puisqu’il ne serait pas question d’acheter les écoles privées et qu’on garderait, chez les conventionnées, le même nombre d’élèves, on n’a pas à construire de nouvelles écoles publiques. La transition serait graduelle, sur six ans, puisqu’il y aurait « clause grand-père » pour les élèves déjà inscrits.

On sait depuis un rapport du Conseil supérieur de l’éducation de 2015 qu’au sein du Canada, « le Québec est la province où la différence des performances entre les écoles des milieux défavorisés et celles des milieux favorisés est la plus grande, et ce, de façon significative ». Ça ne s’est pas amélioré depuis. Si on est satisfait de cette situation, il est normal qu’on prône le statu quo. Sinon, il faut un électrochoc.

École ensemble propose, une fois ces fusions faites, de redessiner la carte scolaire de manière à maximiser à la fois la proximité, donc l’école de quartier, et la mixité sociale, donc de faire davantage cohabiter gosses de riches et gosses de pauvres. Ce qu’on appelle en d’autres lieux l’école républicaine.

C’est ici que je choisis de vous faire un aveu. Cette proposition nous avait été décrite lorsque j’étais chef du Parti québécois (Camil Bouchard était mon conseiller en éducation). Elle m’avait séduite. Avec les députés, nous avions convenu, dans l’improbable scénario où nous formerions le gouvernement, de la soumettre à la discussion publique.

Parmi les arguments les plus probants : le fait que la Finlande, cet étalon or de la réussite scolaire, ait adopté une réforme similaire pendant les années 1970. Autre argument massue : on trouve pour les écoles privées subventionnées, dans le rapport Parent de 1966, une proposition d’écoles « semi-publiques » qui préfigure ce que je viens de décrire. Si seulement on l’avait écouté à l’époque…

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

1 avis sur « L’électrochoc »

  1. Aîné d’un fils d’ouvrier qui ne voulait pas que je parte travailler avec ma boîte à lunch, j’ai intégré le cours classique en 1964, puis je suis passé au cegep pour devenir enseignant au public. Les premières années furent fort intéressantes. pas trop de gestion et beaucoup d’enseignement. Hélas, à l’automne 82, apparaît à la télé cette publicité du gouvernement où il était mentionné “Enseignement: 27h1/2 par semaine”. Ce fut le tollé dans la population et les enseignants furent pris en grippe. L’attitude changea tant et si bien que dès 90, il était devenu prévisible qu’il y aurait une pénurie d’enseignants. L’atmosphère en classe a continué de se dégrader et nous y voilà. Et c’est là qu’est le problème du publique. On note une augmentation des agressions envers les policiers aujourd’hui, mais cette attitude envers l’autorité a commencé bien avant sans rencontrer trop d’opposition de la part des directions ou de la C. S. Maintenant, ça déborde du cadre scolaire.

    Les parents du privé font majoritairement un suivi plus serré du comportement de leurs enfants que ceux du publique qui, pour une bonne partie, endosse le comportement déviant de leur chérubin.

    Rendre le parent directement responsable du comportement de leur rejeton tel que stipulé dans la Loi calmerait les ardeurs de beaucoup.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *