Dissonance cognitive

La dissonance cognitive est la coexistence, chez un individu ou une institution, d’éléments qui ne s’accordent pas et qui nécessitent pour les concilier un effort constant, parfois lancinant, souvent non concluant.

Ce trouble était à couper au couteau, lundi soir dernier, lors du débat qui opposait trois candidates solidaires : les députées Christine Labrie et Ruba Ghazal et l’ex-députée Émilise Lessard-Therrien.

Pendant un échange, Mme Ghazal, qui a fait de la promotion de l’indépendance sa priorité, s’est désolée que la question ait été escamotée pendant la campagne l’an dernier. Elle s’est tournée vers Christine Labrie, qui estime que l’indépendance, bien que souhaitable, n’est pas prioritaire. Voulant marquer cette différence, Mme Ghazal lui a demandé si, lors de la prochaine campagne, Mme Labrie jugerait nécessaire de faire une sortie sur le sujet. Cette dernière a rétorqué : ce sont les membres qui décident de la plateforme électorale, donc c’est à eux de décider.

Elle a parfaitement raison. Ces trois excellentes politiciennes ne briguent pas le mandat de proposer des orientations ou de réécrire le programme ou la stratégie du parti. Pas du tout. Elles souhaitent devenir co-porte-parole. Martin Matte, porte-parole de Maxi, a certes une réelle influence sur la confection de la publicité. Mais l’enseigne se fiche complètement de son avis sur l’organisation des magasins, la stratégie d’expansion, la fixation des prix.

J’exagère ? Il faut toujours retourner au texte. Selon les statuts de Québec solidaire, les co-porte-parole doivent « représenter le parti », « exprimer les positions du parti » envers les autres groupes et les médias. Comme c’est un peu mince, on leur demande aussi de « piloter les interventions du parti à l’Assemblée nationale » et de « coordonner les solidarités avec les mouvements sociaux ».

À entendre les trois candidates lundi, j’ai eu l’impression qu’elles trouvaient ce corset un peu juste. Qu’elles brûlaient de « coordonner l’élaboration et la mise en oeuvre de la stratégie politique et électorale du parti ». Qu’elles souhaitaient devenir celle qui « anime et convoque le Comité de stratégie » afin « d’assurer la cohérence de l’ensemble des activités du parti ». Dommage pour elles, ces éléments sont absents de leur définition de tâches. Elles apparaissent ailleurs : dans le mandat du président du parti. (Question : nommez-moi les candidats à la dernière course à la présidence de QS. Vous ne savez pas ? Alors, le nom du gagnant ? Raté, c’était une gagnante, désormais remplacée par un intérim. Il n’y a qu’une candidate pour le poste, qui sera pourvu au congrès de la fin du mois.)

Remarquez, on les comprend de ne pas s’être présentées à la course à la présidence. On ne la voit presque jamais, celle-là. Elle n’est pas à l’Assemblée nationale, donne peu d’entrevues. Ceux qui veulent changer le monde souhaitent généralement être entendus. Je ne prétends pas que les co-porte-parole n’ont aucun pouvoir d’influence. Autour de la table du Comité de coordination, instance dirigeante, que j’aime appeler le « Politburo », ils tiennent 2 des 14 sièges. À ce titre, ils peuvent faire des propositions, participer au débat, peser sur la décision.

Je n’ai aucun doute que la légitimité que leur a donnée une élection, surtout si elle fut contestée, en fait des voix fortes dans cette enceinte. Mais ils n’en dirigent pas les débats ni n’en fixent les priorités. Il faut se lever de bonne heure, à l’exécutif du PQ, du PLQ ou de la CAQ, pour mettre le chef en minorité lors d’un débat, même à huis clos. Le porte-parole ? On s’en balance.

C’est pourquoi il est si étrange qu’au débat de l’autre jour, les trois candidates aient fait des propositions sur les orientations futures du parti. Christine Labrie a critiqué le fait que QS se contente de renvoyer à une future constituante le soin de définir ce que serait un Québec souverain. Le parti devrait avoir sa vision du pays du Québec, a-t-elle expliqué. Une excellente remarque. Elle s’est fait rabrouer par Manon Massé, porte-parole sortante, qui semble avoir compris, avec l’expérience, que lorsqu’on tient le crayon au nom de quelqu’un d’autre, on ne dessine pas en dehors des lignes.

Ruba Ghazal a même publié une plateforme. Une plateforme ? Pour une porte-parole ? Cela devrait être, en soi, un motif de disqualification. Il n’appartient pas à une porte-parole de proposer des orientations aux décideurs. D’ailleurs, qu’avait l’animatrice du débat à poser des questions sur les enjeux ? La totalité de la discussion aurait dû porter sur : comment vous y prendrez-vous pour bien porter la parole ? Quelles sont vos qualités de communicatrice ? Savez-vous manier la langue de bois ?

La réponse à cette dernière question était, manifestement, non. Mme Therrien a osé affirmer s’inquiéter du « plafonnement » dont le parti est victime depuis 2018. (QS a fait 16 % du vote en 2018, 15,5 % en 2022 et est à 15 % dans le dernier sondage Léger-Québecor.) Elle devrait suivre des cours du leader parlementaire solidaire, Alexandre Leduc, qui a dit le matin de la publication du sondage : « Bien, moi, je refuse le postulat du plafonnement, là. Je ne pense pas qu’on est en train de plafonner. » Un journaliste a pris la balle au bond : « Vous pensez que vous déclinez ? » Leduc a esquivé. Il ferait un bon porte-parole.

Je comprends ces trois femmes de ne pas pouvoir s’empêcher de réfléchir. Ce qu’elles veulent, au fond, c’est être cheffe. Ou, au moins, co-cheffes. Pour tout dire, je les approuve. La structure de QS — peut-être ai-je déjà évoqué la chose dans le passé — est fondamentalement trompeuse pour le public. Elle est aussi tordue pour le parti lui-même.

On nous annonce une réforme des statuts pour l’an prochain. Est-ce que ce sera l’occasion de revoir ce vice de forme et de transformer les co-porte-parole en co-chefs ? Le parti refuse de dire si des propositions en ce sens sont venues d’en haut ou si cette avenue est envisagée. De l’interne, on m’indique que la question des co-porte-parole ne fait pas partie des discussions, du moins pour l’instant.

Ce serait dommage. Allez, camarades, mobilisez-vous, c’est le bon combat !

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

PS: Pour les problèmes insolubles posés par le projet solidaire de constituante, cliquez ici: Comment Québec Solidaire ne fera pas l’indépendance.

2 avis sur « Dissonance cognitive »

  1. De toutes façons les chefs ou co-chefs ont tous tiré leurs révérences. Même Dubois y songe ne voyant plus de lumière au bout du tunnel . Alors bonne chance aux cocos du polit-bureau. D’autres parts j’endosse pleinement la sortie lucide de Plamondon sur l’ immigration en fin de semaine dernière. Quant a un discours » Wokiste » sur l’immigration, Mme Courchaine en avait tout un aujourd’hui aux mordus (es). Elle perd des plumes ….

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *