Vous connaissez André Pratte. L’homme qui, presque à lui seul, de son poste d’éditorialiste en chef de La Presse, tente de doter les fédéralistes québécois d’une pensée, d’une stratégie, d’une relève. Et qui, généralement, trouve le temps très, très long.
Une de ses tâches ces dernières années fut d’avertir ses amis fédéralistes endormis que la menace séparatiste était bien réelle. Dès 2005 il écrivait: « le Canada est toujours à une crise près de l’indépendance du Québec ».
Attentif même aux mouvements de personnel, il écrivait en février 2010:
comme ils l’ont toujours fait, les souverainistes bougent. Ils bougent de façon convaincue, intelligente et habile, ils bougent avec l’aide d’une relève impressionnante.
Relève ? Il élaborait:
Certains estiment que l’indépendance est une idée dépassée qui n’intéresse plus les jeunes. On a dit que les départs de François Legault et de Camil Bouchard étaient des coups durs pour la chef du Parti québécois, Pauline Marois.
Peu des gens ont remarqué que le PQ est en train de s’enrichir d’une relève très forte. M. (Alexandre) Cloutier, par exemple, a 32 ans et est bardé de diplômes en droit constitutionnel. Le député de Nicolet-Yamaska, Jean-Martin Aussant, 39 ans, a lui aussi un bagage académique et professionnel impressionnant en économie et en placement. La candidate en vue de l’élection complémentaire dans Vachon, Martine Ouellet, 40 ans, est ingénieure à Hydro-Québec et militante écologiste. Où trouve-t-on l’équivalent au PLQ, au PLC, au PC?
Bon, Aussant est parti, mais il aurait pu nommer aussi Hivon, St-Arnaud, Rebello, Girard et plusieurs autres. Et il concluait que ses amis fédéralistes échouaient à la tâche d’ériger une stratégie et une équipe suffisamment forte pour contenir cette menace:
Et pendant ce temps, que font les Québécois qui croient au Canada? Les politiciens disent la même chose que leurs adversaires souverainistes (sur les querelles Québec/Canada). Les autres, confortés par les sondages, vaquent à leurs occupations professionnelles. Ils vivent dans l’illusion que le scénario de 1995 ne peut pas se reproduire. Grave erreur.
Tout est-il donc perdu pour le PQ et la souveraineté. Le vélo péquiste est-il cassé ? André Pratte n’en est pas convaincu. Dans un texte publié samedi dernier sur le site du Globe and Mail, il a expliqué aux lecteurs du Canada anglais pourquoi, malgré la propension des péquistes à se tirer dans le pied, l’avenir n’est pas nécessairement rose pour l’unité canadienne, notamment dans la relève. Il vaut la peine de le lire au complet. Voici mes extraits choisis:
Les jeunes séparatistes ont confiance en eux et ne craignent pas la séparation. Ils voyagent autour du monde pour étudier, travailler et faire du tourisme mais n’ont jamais trouvé de bonne raison d’aller à Toronto ou à Vancouver, encore moins Saint-Jean ou Régina. Pour eux, le reste du Canada est un pays étranger, avec des valeurs et une culture différente. Ils voient l’élection d’un gouvernement Harper majoritaire et le vote massif des Québécois pour le NPD comme la dernière démonstration en date du gouffre infranchissable entre le Québec et le Canada anglais […]
Les jeunes québécois entendent rarement des arguments intelligents et passionnés en faveur du fédéralisme et de l’expérience canadienne. L’essentiel de ce qu’ils perçoivent du Canada anglais est, au mieux, de l’indifférence envers le Québec et le français (voir la cérémonie d’ouverture des jeux de Vancouver). […] Pendant ce temps, la séparation est promue par leurs professeurs, par les artistes qu’ils admirent et par des politiciens brillants, jeunes et vieux. […] Pour les Québécois de moins de 40 ans, la souveraineté semble à la fois logique et naturelle, bonne pour le Canada et pour le Québec, comme Gilles Duceppe l’a souvent dit.
Alors, quoiqu’il arrive à Pauline Marois et au Parti Québécois, un très grand nombre de Québécois vont continuer à appuyer la séparation. De manière croissante, ce choix ne sera pas basé sur ce qu’ils ont appris dans les livres d’histoire mais sur ce qu’ils perçoivent comme un fait accompli: le Québec et le Canada marchent déjà sur des chemins divergents.
C’est pourquoi l’autopeluredebananisation dont des membres importants du Parti québécois sont à la fois des acteurs et des victimes depuis deux semaines le laisse perplexe. Dans son édito en ligne de ce vendredi, il conclut:
La meilleure chance des souverainistes, à court terme, c’est que survienne une crise majeure entre le Québec et le reste du pays. Alors pourrait se recréer la ferveur indépendantiste qu’on a vue après l’échec de l’Accord du lac Meech. C’est le fondement de la «gouvernance souverainiste» mise de l’avant par Mme Marois. Les fédéralistes, dont je suis, voient d’un très mauvais oeil cette stratégie d’affrontements systématiques. J’ai toutefois du mal à comprendre pourquoi certains militants péquistes s’y opposent.
Pauline Marois pourrait lire cet extrait lors de la prochaine conférence téléphonique de ses présidents de comté, et ensuite on pourrait en écouter la bande, coulée aux médias, sur le site de Cyberpresse. La boucle serait bouclée…