Notre allié afghan, opiomane ?

121187-hamid-karzai-stephen-harper-lors-300x200Comment expliquer la sortie surprise du président afghan Hamid Karzai, affirmant devant 70 parlementaires (en privé) que si les Américains continuaient à vouloir écarter ses proches de la gestion des prochaines élections (de septembre), il pourrait reconnaître les Talibans comme un mouvement légitime, voire se joindre à eux ?

L’ancien envoyé de l’ONU en Afghanistan, très critique de la fraude électorale qui a reporté Karzaï au pouvoir en août dernier, Peter Galbraith, a une hypothèse : le président en fume du bon ! Voici ce qu’il a dit de Karzai ce mercredi à la chaîne MSNBC :

Il est coutumier des diatribes, il peut être très émotif, impulsif. En fait, des personnes proches du palais présidentiel disent qu’il a un certain goût pour l’un des produits d’exportation les plus rentables de l’Afghanistan.

La principale exportation afghane est, évidemment, l’opium (le pays est le premier producteur mondial), et des proches du président sont régulièrement accusés d’être impliqués dans le trafic d’opium.

Galbraith n’a pas indiqué qu’il avait une connaissance directe d’une consommation de stupéfiants par le président, mais affirme qu’« il y a des informations en ce sens ». Voici la transcription de l’entrevue :

Voici la retranscription de l’entrevue :

« Les accusations de Karzaï étaient initialement amusantes, mais j’ai été limogé par le secrétaire général de l’ONU justement parce que je voulais faire quelque chose contre les fraudes. Or ces fraudes étaient organisées par les partisans de Karzaï et à son profit.

Cette nouvelle sortie soulève des questions sur sa stabilité mentale. Ça inquiète les diplomates à Kaboul depuis longtemps ».

Le journaliste : « Qu’entendez vous par là ? »

« Karzaï est coutumier des diatribes, il peut être très émotif, impulsif. En fait, des personnes proches du palais présidentiel disent qu’il a un certain goût pour l’un des produits d’exportation les plus rentables de l’Afghanistan. »

« Si vous lancez une telle accusation, soyez explicite : vous pensez qu’il a un problème d’addiction à des substances ? »

« Il y a des informations dans ce sens. Mais la réalité est qu’il peut être extrêmement émotif. Ce n’est pas dans l’intérêt de l’Afghanistan. Il y aura bientôt 100 000 soldats américains en Afghanistan : quel intérêt peut-il avoir à agiter l’idée de se rallier aux talibans, ou d’accuser les Etats-Unis d’avoir organisé les fraudes électorales qui lui permettent d’accomplir un second mandat ? Ce sont des commentaires très étranges.

“Je n’y comprends plus rien. Que veut-il ? Chasser les Etats-Unis ? Alors que les troupes américaines le maintiennent au pouvoir ? Que se passe-t-il ? ”

“C’est le problème et c’est ce que doivent se demander les décideurs américains. Pourquoi fait-il ça ? Que veut-il ?

Il ne s’agit pas seulement d’une question d’éthique de leadership. Ce qui est en jeu, c’est le succès ou l’échec de la stratégie du Président Obama. Il s’agit d’une stratégie de contre-insurrection, et une telle stratégie dépend d’un partenaire local fiable, capable de mener une direction honnête et gagner le soutien de la population une fois que nos troupes ont chassé les talibans. Avec un Hamid Karzaï maintenu au pouvoir par la fraude, on n’a pas un tel partenaire.”

“Que peuvent faire les Occidentaux ? Que peut faire Obama ? ”

“Les Occidentaux n’ont pas beaucoup de moyens de pression. Mais cela soulève une question : si nos troupes ne peuvent pas accomplir la mission qui leur est attribuée en raison de l’absence de partenaire fiable, pourquoi sont-elles là ?

C’est un gaspillage de nos ressources militaires précieuses, tant financièrement qu’en termes de vies humaines.”

“S’il n’a pas confiance dans les Etats-Unis ou l’ONU, y a-t-il quelqu’un d’autre qui puisse le raisonner ? ”

“Il ne s’agit pas de le raisonner. Il a dirigé depuis huit ans un gouvernement corrompu et inefficace. Il est maintenant au pouvoir grâce aux fraudes, délégitimé aux yeux de nombreux Afghans : de ce fait, il ne peut pas être un partenaire fiable. Ce n’est pas un problème soluble.

Il est temps que les Etats-Unis parlent ouvertement de cet homme, au lieu de continuer à l’aider sans aucune contrepartie. Au minimum exiger qu’il n’y ait personne directement nommé par Karzaï dans les commissions chargées d’organiser les élections.”

On le constate, Galbraith estime que Karzaï est un problème qui n’a pas de solution. Cependant, paradoxalement, l’idée que le président consomme parfois un peu d’opium pourrait le dédouaner pour les propos tenus sur les talibans. Il n’était pas sérieux, pourrait-il prétendre, seulement gelé !

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !