Québec laïc: pourquoi j’ai signé

Vous trouverez ce mardi dans Le Devoir, et sur ce site, le Manifeste pour un Québec laïque et pluraliste, initié par le sociologue et père de la loi 101 Guy Rocher et par Daniel Baril, du Mouvement laïque québécois. Une centaine d’intellectuels et de citoyens s’y associent. Moi aussi.

Comme plusieurs autres, sans doute, je ne l’aurais pas signé il y a deux ans. Le fait est que les Québécois cheminent, sur les questions d’identité, de laïcité et de rapport entre la société et le fait religieux – rapport qui n’a qu’un lien incident avec l’immigration. L’échec du rapport  Bouchard-Taylor, la connaissance plus vive que nous avons des expériences étrangères de rapport au religieux, la volonté, constamment réitérée par l’opinion publique, de cadrer plus clairement ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, le refus de laisser l’État s’adapter, de compromis en compromis, à la misogynie inhérente à plusieurs pratiques religieuses orthodoxes, tout me semble converger vers un choix réfléchi et assumé pour davantage de laïcité.

Le nouveau manifeste, qui est une réponse à celui du Québec pluraliste que j’ai commenté ici, propose de faire franchir au Québec un pas de plus dans sa marche vers la sécularisation. Il ne traite que de l’État, et n’embrasse donc pas toute la réalité sociale, mais c’est déjà un important pas.  Voici des extraits-clés :

Loin d’être une négation du pluralisme, la laïcité en est l’essentielle condition. Elle est la seule voie d’un traitement égal et juste de toutes les convictions parce qu’elle n’en favorise ni n’en accommode aucune, pas plus l’athéisme que la foi religieuse. Le pluralisme ainsi entendu n’est ni celui des minorités, ni celui de la majorité. Elle est aussi une condition essentielle à l’égalité entre hommes et femmes.

La laïcité dite «ouverte», par contre, s’avère être en pratique une négation de la laïcité de l’État puisqu’elle permet toute forme d’accommodement des institutions publiques avec une religion ou une autre. […] Les aménagements de cette laïcité «ouverte» convergent avec les objectifs des groupes religieux conservateurs qui cherchent à faire prévaloir leurs principes sur les lois en vigueur. Au mieux, c’est un mode de gestion au cas par cas de la liberté de religion dans la sphère publique.

Nous avons débattu, sur ce blogue et ailleurs, du « statut particulier » offert au fait religieux par l’aménagement actuel dit des accommodements raisonnables. Dans la fonction publique, notamment, on ne peut exprimer de façon vestimentaire son opinion politique, écologique ou syndicale —  mais son opinion religieuse, oui.

Le manifeste pour un Québec laïque insiste  pour mettre  toutes les opinions sur le même pied : à l’extérieur. C’est pourquoi il précise :

La neutralité de l’État s’exprime par la neutralité de l’image donnée par ses représentants. Ces derniers doivent donc éviter d’afficher leur appartenance religieuse, philosophique ou politique.

On remarquera qu’il n’est même pas question de «signes ostentatoires». Il est interdit, dans la fonction publique, de porter une épinglette du Parti libéral du Canada. En toute logique, et en toute équité, ce doit être aussi vrai pour la croix, le croissant et l’étoile de David.

Le crucifix du Salon bleu

Le manifeste aborde aussi le cas particulier du crucifix qui surplombe l’Assemblée nationale du Québec :

La déconfessionnalisation des institutions publiques s’est faite au nom de la liberté de conscience et du pluralisme. C’est aussi sur ces principes que reposent les actions visant à mettre un terme aux prières dans les assemblées municipales ou encore les demandes de retrait des crucifix des tribunaux, des salles municipales et de l’Assemblée nationale.

J’ai défendu le droit, pour les Québécois, de maintenir le patrimoine historique présent dans leurs habitudes et le paysage. Ce patrimoine signifie notamment que la plupart des fêtes chômées au Québec sont tirées de notre histoire chrétienne et que notre paysage est ponctué de croix et de statues chrétiennes — il y en a une sur le drapeau québécois.

Cependant je suis sensible à l’argument selon lequel, si le Québec fait, comme les signataires du manifeste le souhaitent, un pas de plus vers la laïcité de ses institutions, il devrait retirer les signes religieux existants dans les lieux de pouvoir : ceux où se réunissent les représentants du peuple ou ses administrateurs et où se prennent les décisions pour toute la société. Il me semble que cela donne une cohérence à notre action et donne un signal d’ouverture supplémentaire aux membres des autres religions et aux citoyens qui ne sont pas religieux.

Je vous laisse lire le manifeste et y réagir. Je reviendrai sur certains de ses aspects et conséquences  sous peu.

Ce contenu a été publié dans Laïcité par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !