Un géant francophone nommé Abdou Diouf

J’ai eu l’énorme plaisir, le 19 septembre dernier, de présenter au CORIM un des géants de l’histoire africaine récente et un grand bâtisseur de la Francophonie moderne, le sénégalais Abdou Diouf.

Voici son allocution, précédée de ma présentation:

Verbatim :

Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie, Monsieur le Président Diouf, si je dis « mon ami », parce qu’on se connaît un tout petit peu, je suis obligé de dire « mon grand ami » ou, comme disait Napoléon à quelqu’un qui était plus grand que lui : « vous êtes plus long ». C’est vous qui m’avez raconté cela, donc mon « long ami » et même si notre amitié n’est pas très longue dans le temps, compte tenu de votre taille, c’est une longue amitié.

Vous le savez, Monsieur le Secrétaire général, depuis quelques années, les Québécois fondent les sources de leur(s) politique(s)  publique(s), de leurs usages, sur l’Amérique, sur l’Europe et sur la France, ce qui fait que nous avons décidé, comme les Français, de désigner nos anciens premiers ministres du titre de premier ministre.

Donc, je vous salue d’abord et j’ai le plaisir de saluer le premier ministre du Québec, le premier ministre du Québec et le premier ministre du Québec.

Je salue Monsieur l’Administrateur de la Francophonie, le président du Conseil, Raymond Chrétien, le Conseil d’administration du CORIM, son président-directeur général, trois anciens ministres des Relations internationales du Québec sont avec nous aujourd’hui, et celui qui a inventé l’idée même que nous pouvions avoir des relations internationales, MM. Paul Gérin-Lajoie, Gil Rémillard, Mme Louise Beaudoin.

Nous avons aussi trois directeurs, anciens et présents, du quotidien montréalais qui a le mieux porté la cause du français et de la Francophonie : Jean-Louis Roy, Lise Bissonnette, Bernard Descôteaux. Et, comme disent nos amis africains, je vous salue en vos titres, grades et qualités, mais, j’ajoute que je salue aussi tous les sans-grades qui sont ici que je remercie pour leur présence.

M. Diouf, à qui la faute? Qui doit-on blâmer ou plutôt vénérer pour vous avoir ici parmi nous au terme d’une extraordinaire carrière publique, pas au terme d’une vie parce qu’on sent dans vos gênes qu’il y a du centenaire chez vous, au moins, et on le souhaite.

Mais, au terme d’une admirable vie publique, c’est la faute de votre grand-mère parce qu’un jour que vous reveniez ravi de l’école pour lui dire que vous étiez premier en espagnol, elle vous a dit « que voulez-vous que ça me fasse – que veux-tu que ça me fasse -, je veux que tu sois premier en français ». Or vous voici, cher Abdou Diouf, premier en français. Vous êtes le premier de la Francophonie, vous êtes le premier de tous ces peuples qui ont le français en partage. C’est la faute de votre père, parce que votre père était un champion de dames et pour être champion de dames, il faut garder son calme, percer la stratégie de l’adversaire, jouer deux coups d’avance et c’est, je spécule, ce qui a préfiguré au talent de diplomate et de médiateur.

C’est évidemment la faute de Senghor, il a déjoué tous vos plans. Vous aviez dit, vous le grand administrateur, enfin le jeune et grand, toujours grand, le jeune administrateur public, que votre carrière serait dans l’administration publique sénégalaise.

Je vous cite : «  je fuyais la politique comme la peste », heureusement pour vous, heureusement pour vous et pour nous, s’il est vrai que la politique est une maladie, elle n’est pas mortelle, on finit toujours par se soigner.

Et, d’ailleurs, dans une première étape, lorsque Senghor a été interpellé par des conseillers qui lui disaient : pourquoi ne faites-vous pas de ce jeune Diouf un ministre? Il disait « non, j’ai besoin de lui ». Ce qui en dit long sur le pouvoir relatif des conseillers et des ministres. Ayant moi-même été conseiller pendant cinq ans, mais ministre depuis seulement un an, je n’ai pas suffisamment de recul pour dire lequel est le plus utile au chef du gouvernement et de l’État.

Senghor vous a joué un tour, il vous a nommé premier ministre et, ensuite, il a changé la constitution du Sénégal pour faire en sorte que, si le président se retirait en cours de mandat, le premier ministre en exercice devenait automatiquement président du pays et, selon sûrement un hasard, superbement positionné pour l’élection suivante, la peste vous a rattrapé.

Alors, tout cela est vrai, votre mère est responsable, votre père est responsable, Senghor, que vous appelez votre mentor, votre maître et votre père spirituel est responsable et ils ont tous poussé très fort, très fort, sur la roue de votre destin.

Mais moi, je crois connaître le vrai responsable de la qualité de votre carrière, ce responsable est parmi nous, il s’appelle Adbou Diouf.

À vous voir aujourd’hui avec votre prestance, votre calme, vous qui semblez être la sérénité incarnée et qui avez la sérénité contagieuse, on pourrait penser que votre vie politique a été un long fleuve tranquille. Il n’en est rien. Vous avez connu toutes les turbulences de la vie politique sénégalaise : tensions avec les chefs religieux, crises politiques, crises financières, dévaluation de la monnaie et même, comme si vous étiez au Parti Québécois, crise dans votre parti politique.

Dans toutes ces intempéries, vous avez construit l’État de droit dont Senghor avait coulé les fondations. Vous avez mis le Sénégal dans le peloton de tête de la croissance, vous avez laissé une situation financière saine, mais, plus encore, vous avez instauré un vrai débat, une vraie démocratie partisane, un vrai multipartisme au Sénégal.

Certains de vos commentateurs ou de vos alliés plus conservateurs vous accusaient même d’avoir instauré, au Sénégal, une démocratie débridée, vous répondiez que c’était ce qu’il fallait faire : lâcher la bride. Car, s’il est vrai qu’une démocratie complètement libre comporte beaucoup d’inconvénients pour les puissants, elle comporte surtout beaucoup de liberté pour les citoyens. Dans cette démocratie sénégalaise débridée grâce à vous, vous avez gagné des élections, des élections compétitives et on vous en félicite. Mais vous avez franchi un autre pas, en essence beaucoup plus important, vous avez perdu une élection.

Dans l’histoire de la démocratie occidentale, un moment clé est celui où le premier président élu, George Washington, accepte de terminer son mandat et de céder la place à un autre. C’était la preuve qu’il n’était pas un roi, c’était la preuve que l’on pouvait changer le chef de l’État.

Dans l’histoire de la démocratie africaine, le fait que vous ayez accepté que la démocratie soit compétitive et que vous puissiez perdre, malgré votre valeur qui aurait dû conduire à votre réélection, mais que vous perdiez avec élégance et respect de la démocratie a été un moment clé de la transition africaine vers la vraie démocratie.

Ce geste, cher Abdou Diouf, vous a donné ensuite et jusqu’à aujourd’hui et pour l’avenir un ascendant considérable envers les autres chefs d’État de la Francophonie et de l’Afrique qui n’avaient pas, autant que vous, la défaite facile.

La grande question de la transition démocratique en Afrique est celle de l’alternance et de l’acceptation de la limitation des mandats. Vous êtes la grande réponse.

Je n’ajouterai, que pour le mentionner, comment vous avez tiré durant vos mandats à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), comment vous avez tiré l’OIF vers le haut. Vous avez tenté avec votre extraordinaire compagnon, Clément Duhaime, de l’amener à votre hauteur avec un succès considérable.

Maintenant, l’an prochain, vous nous laisserez le redoutable fardeau de trouver un successeur à votre mesure. Je vous le dis bien franchement : « Nous n’y arriverons pas. Nous n’y arriverons pas ».

Personne ne sera votre égal, mais grâce à vous, nous savons ce vers quoi il faut tendre, vers l’excellence.

Mesdames et Messieurs, le secrétaire général de l’OIF, Monsieur Abdou Diouf.

Vous trouverez l’allocution de monsieur Diouf en cliquant ici.

4 avis sur « Un géant francophone nommé Abdou Diouf »

  1. M. Lisée a bien raison de souligner l’excellence de monsieur Abdou Diouf. Mais il y a lieu de nous demander si le ministre a bien écouté (et lu) les propos de M. Diouf, alors que le gouvernement du Québec a accepté de soumettre la culture à la logique du marché, un précédent, dans le cadre des négociations d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG), et auxquelles le Québec a participé activement, dans ses champs de juridiction.

    M. Diouf prend bien soin de souligner «toute la pertinence de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée à l’UNESCO en 2005» face aux divers accords commerciaux qui se négocient, mais il constate aussi «la vulnérabilité de cette Convention et des principes qu’elle veut protéger et promouvoir devant des logiques de marché purement économiques et financières.»

    Avec l’AÉCG, le Québec s’est engagé dans un dangereux processus de négociation de la culture, à la pièce, chapitre par chapitre. Le ministre Lisée tentera de nous rassurer en disant que le texte de l’accord fera référence à la Convention de l’UNESCO, et que les dirigeants de la Coalition québécoise pour la diversité culturelle appuient la démarche de négociations. Mais cette approche répond à une vision étroite de la culture, centrée entre autres sur l’industrie culturelle. Comme le souligne M. Diouf, la culture, c’est bien sûr la langue, mais c’est aussi «une manière propre de concevoir le monde». Et M. Diouf d’insister: «Je n’ai pas à vous convaincre, ici à Montréal, de la nécessité de rester vigilants pour éviter que les accords commerciaux ne viennent miner et vider de son sens une Convention âprement négociée et librement adoptée dans le cadre de l’UNESCO.» Il reste à souhaiter que le ministre Lisée aura bien pris note.

  2. Je ne sais pas qui a écrit ce discours de ministre… mais je soupçonne qu’un bonne part revient à J.-F. Lisée lui-même. Culture & style. Ce n’est pas courant!

  3. Bon matin, la charte, aurez-vous suffisamment de tonus de colonne pour établir clairement précisément et de manière définitive que les signes symboles seront interdits! Nous savons que les religions existent et ici nous avons subi la religion à l’exemple de tout les autres pays! La religion qui a dominé écrasé (tué violé, réf; les croisades ) Informer éduquer, libérer les gens des carcans et surtout dénoncer les menteurs et manipulateurs et celui ou ceux qui obligent forcent intimident! Soyons aux aguets car nous sommes engagés malgré nous dans une guerre, je ne doute pas de l’issue de cette guerre mais est-il nécessaire d’attendre chaque fois le point culminant ?
    Agir en 1939 les démocraties ont temporisés et négociés avec un dictateur,,,la société a vécu la seconde guerre mondiale! Nous vivons un nouveau type de guerre la guerre idéologique la guerre des esprits des idées et des valeurs! Une femme est l’égal de l’homme! Nous devons le mettre dans la loi et ajouter des conséquences! Quand le gouvernement a décidé de sévir contre la conduite dangereuse, il a déposé une loi avec des crocs!! La corruption des idées des $$$ Mettez des conséquences !

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