USA: L’élection carcérale

Dans moins d’un an, le 5 novembre 2024, on aura une bonne idée du nom des personnalités américaines tenues de se préparer mentalement à passer du temps derrière les barreaux. Ce sera le jour de l’élection présidentielle.

La menace d’incarcération concerne au premier chef Donald Trump. Sa culpabilité manifeste dans un nombre ahurissant d’affaires lui promet de belles années de vie contemplative. Notez : il n’existe aucun scénario qui lui ferait revêtir la camisole de prisonnier avant l’élection. Il est possible que des condamnations à de la prison ferme soient prononcées d’ici là. Mais des appels, qui ne prennent jamais moins d’un an, seront déposés dans tous les cas, puis ces décisions pourront être contestées en Cour suprême.

L’idéal pour Trump est évidemment d’être élu. Dans l’heure, il pourra s’octroyer un pardon présidentiel pour ses crimes contrevenant à des lois fédérales. (Il a aussi annoncé qu’il distribuera des pardons à tous les condamnés de l’insurrection du 6 janvier – près de 400 jusqu’ici.) Cela ne l’exonérera pas des crimes qui violent des lois des États, notamment d’avoir voulu tricher lors de l’élection en Géorgie (la preuve est solide, dont l’enregistrement de Trump demandant qu’on lui « trouve » des votes). En ce cas, la règle juridique veut qu’un État ne puisse contraindre un président en exercice à la condamnation ou à l’incarcération.

C’est une précaution fédéraliste. Sans elle, un État mécontent d’une politique fédérale pourrait user de ce levier pour se débarrasser d’un président politiquement contrariant. Dommage qu’on n’ait pas pensé à une exception pour atteinte au processus électoral lui-même. Ces condamnations ne seraient cependant pas annulées, seulement reportées, dans l’attente qu’un Trump réélu quitte la Maison-Blanche. Ce qui agirait sur lui comme une motivation forte à ne jamais la quitter.

Il existe bien un outil pour lui barrer la route : après la guerre civile, un amendement constitutionnel a été voté pour interdire toute charge publique à quelqu’un ayant participé à une insurrection. Certains tentent de faire appliquer cette disposition pour empêcher Trump d’accumuler des votes dans quelques États, ce qui l’empêcherait d’obtenir une majorité électorale nationale. Mais il faudrait qu’un juge local accepte l’argument — ce qui ne s’est pas encore produit — et que sa décision survive en appel dans le temps imparti. Ce n’est, théoriquement, pas impossible. Mais on voit mal la Cour suprême, majoritairement conservatrice, créer ce précédent.

D’autant plus que se poserait la question de l’incidence d’une déclaration de son inéligibilité sur le climat social. Une réaction violente de groupes radicaux pro-Trump n’est pas seulement possible, mais certaine. C’est pourquoi des têtes lucides affirment que la seule façon de se débarrasser vraiment de Trump, c’est de le défaire aux urnes. Il déclarera évidemment que l’élection est truquée et qu’il a gagné. Il y aura probablement des violences sporadiques. Mais le pire sera évité. Puis, quelques années plus tard, une fois ses appels épuisés, il se retrouvera en cellule.

Mais Trump élu l’an prochain, puis devenu président en exercice le 20 janvier 2025, a l’intention de peupler lui-même les prisons d’un nombre important de ses ennemis politiques. Puisqu’il estime que les accusations portées contre lui sont motivées politiquement, et orchestrées par Joe Biden, ce qui ne repose sur aucune preuve, il annonce la couleur : « C’est une pratique de pays du tiers-monde : “arrêtez vos opposants”. Et cela signifie que je peux le faire, moi aussi. »

Des démocrates ont raison de craindre sa vindicte. Il a annoncé vouloir faire poursuivre Biden personnellement pour les frasques de son fils, même si aucun indice ne laisse croire à une malversation du père. Il n’est pas impossible qu’il vise aussi Hillary Clinton, dont il a souvent souhaité l’emprisonnement. Il en veut aussi à ceux qui ont orchestré l’enquête sur ses liens avec la Russie, puis les deux tentatives de destitution.

Mais il est encore plus furieux contre les républicains qui lui ont tourné le dos. La tradition veut que les procureurs généraux, bien que nommés par le président, soient indépendants dans leurs décisions. Trump a beaucoup souffert, dans son premier mandat, de leur refus d’exécuter ses ordres, notamment de déclarer frauduleuse l’élection de 2020. Son premier geste sera donc de désigner à ce poste un allié inconditionnel, probablement Jeffrey Clark, très actif au sein du département de la Justice dans la tentative d’inversion du résultat de l’élection de 2020.

Dans des conversations privées, rapportées par le Washington Post, on l’entend vouloir se venger d’anciens collaborateurs devenus critiques. Son ancien chef de cabinet John F. Kelly, son ancien procureur général William P. Barr, son ancien avocat Ty Cobb et l’ancien commandant en chef des armées Mark A. Milley sont spécialement visés.

Toute une opération, appelée « Project 2025 », est à l’oeuvre pour préparer des décrets prêts à être signés dès l’accession de Trump à la présidence. Un d’eux lui permettrait d’invoquer la loi sur l’insurrection, et ainsi de mobiliser l’armée pour intervenir contre des manifestants. Il avait voulu l’utiliser lors des émeutes consécutives à l’assassinat de George Floyd, mais en avait été empêché par un entourage prudent.

Puisqu’il est certain que son retour au pouvoir provoquerait des attroupements, comme ce fut le cas en 2016, il s’assurerait, après avoir opéré une purge au sommet du commandement militaire, que les troupes sont déployées à son gré. Un autre document prévoit l’élargissement du nombre de hauts fonctionnaires que le président peut mettre à la porte et remplacer. Il y en a traditionnellement 4000 qui peuvent être virés. Le Project vise à en remplacer 20 000. « Ce sera un boulet de démolition lancé contre l’administration publique », lance en se délectant un des concepteurs de la mesure.

Trump est évidemment très aigri contre les juges républicains qu’il a lui-même nommés, mais qui ont ensuite rejeté ses requêtes absurdes d’annulation des élections. Ces nominations venaient d’une pépinière de droite appelée The Federalist Society. Son Project 2025 relève désormais des candidats plus manifestement inféodés à Trump lui-même et à des théories juridiques qui étendent le pouvoir du président dans un grand nombre de domaines.

Le mot « vengeance » (retribution en anglais) est un des thèmes de Trump dans ses discours électoraux. « Je suis votre vengeance », répète-t-il, provoquant chaque fois des tonnerres d’applaudissements. Une autre traduction de retribution est « châtiment ». Ce mot recoupe davantage, à mon avis, ce que signifierait pour les Américains, et la planète, son retour. Nous serions tous, plus ou moins, prisonniers du trumpisme. Nous voilà prévenus.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans États-Unis par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

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