Vive Noël, fête paienne !

Ainsi donc, le quartier général woke du Canada, la Commission canadienne des droits de la personne, dans un texte sur l’intolérance religieuse (qui évite toute mention de l’intolérance de certains religieux), vient de jeter l’opprobe sur Noël.

On lit au sujet de la discrimination à l’égard des minorités religieuses qu’elle est « ancrée dans l’histoire du colonialisme au Canada’’ et qu’un « exemple évident est celui des jours fériés au Canada. Les jours fériés liés au christianisme, dont Noël et Pâques, sont les seuls jours fériés canadiens liés à des fêtes religieuses ».

L’Assemblée nationale a répliqué en votant unaniment cette résolution, présentée par la CAQ:

Que l’Assemblée nationale rappelle que la Fête de Noël est une tradition célébrée au Québec; Qu’elle dénonce les propos de la Commission canadienne des droits de la personne selon lesquels les jours fériés liés au christianisme, dont Noël et Pâques », représentent un « exemple évident » d’une «discrimination religieuse systémique » et que cette «discrimination à l’égard des minorités religieuses au Canada est ancrée dans l’histoire du colonialisme au Canada »; Qu’elle dénonce toute tentative de polarisation à l’endroit d’événements rassembleurs qui font partie du patrimoine québécois depuis plusieurs générations. Qu’enfin, elle invite tous les Québécois à s’unir en cette période de Noël qui approche.

Qui a raison ? L’anniversaire de naissance du petit Jésus n’est-il pas le symbole même du repli religieux, de l’exclusion de l’autre ? Que nenni ! Nous pouvons désormais réévaluer les choses au moyen d’un puissant outil : la traque de l’appropriation culturelle.

Il appert que le Noël chrétien est probablement la plus gigantesque opération d’appropriation culturelle de l’histoire. D’abord, rien n’a jamais indiqué que la Vierge a enfanté le 25 décembre. On a longtemps pensé que ça devait être au printemps. Ce n’est que 300 ans après l’événement allégué que l’Église a décidé que cela s’était passé en ce jour. Pourquoi ? Pour s’approprier toutes les fêtes païennes et religieuses préexistantes qui se tenaient à ce moment.

L’embouteillage de célébrations vers la fin de décembre n’est pas l’effet du hasard. Avant TikTok, la télé, le cinéma, le seul écran qui s’offrait à la vue de l’humanité était la toile céleste, les mouvements du Soleil et de la Lune. Oui, il y avait des longueurs. Mais personne ne pouvait ignorer que le Soleil brillait de moins en moins, jusqu’au 21 décembre. Qu’il semblait s’immobiliser pour trois jours et que, c’était certain, il brillait quelques minutes de plus à compter du 25. On se mit donc à célébrer le retour de la lumière. La naissance du Soleil.

Le mot Noël nous vient d’une longue évolution du mot « natale », qui signifie naissance. Les Romains l’utilisaient pour fêter la naissance du « Soleil invaincu ». La fête juive de Hanoucca, qui se déroule dans la première moitié de décembre, se fonde sur un récit miraculeux qui aurait eu lieu au moment de la reconquête du Temple. Mais les historiens pointent également, pour cette fête juive, une appropriation de fêtes païennes du solstice. Dans une version antérieure, Adam lui-même, fin observateur, aurait célébré le retour du Soleil et instauré une fête de huit jours.

Lorsque les musulmans sont apparus, au VIIe siècle, les chrétiens avaient déjà cannibalisé le 25 décembre. Ils n’ont donc pas tenté de fixer une fête en ce jour. Les imams français, cependant, indiquent à leurs ouailles de célébrer avec leurs amis, en s’abstenant tout simplement d’aller à la messe (et de boire de l’alcool). En Chine, le 21 décembre est une date importante, le moment le plus bas du Soleil étant vu comme le point de convergence entre le Yin et le Yang. La tradition veut que les raviolis aient été inventés en ce jour.

Bref, une fois décapée des vernis religieux peints au fil des siècles, la période de Noël apparaît comme une des plus rassembleuses qui soient et, symboliquement, à la fois des plus simples et des plus riches. La renaissance du Soleil, de la lumière, de l’espoir.

On doit dire que les francophones sont mieux à même de réinvestir le mot Noël même de sa signification d’origine. Les Hispaniques aussi, qui parlent de « Navidad », donc de naissance. La tâche est plus ardue pour les anglophones, qui utilisent le mot hyperconnoté « Christmas  », qui signifie Messe du Christ. De même, ils appellent notre père Noël « Santa Claus », une référence à Saint-Nicolas. Mais cet évêque grec si généreux du IVe siècle a-t-il seulement existé ? Son récit n’apparaît que 300 ans plus tard et n’est peut-être qu’une réinterprétation de la vie d’un philosophe grec généreux, mais non chrétien. On trouve un peu partout, dont récemment en Italie, des prêtres catholiques rageurs contre le « mensonge » d’un personnage magique donnant des cadeaux et faisant ainsi une déloyale concurrence au petit Jésus. Il faut aussi savoir que le personnage désormais universel du père Noël est un succès de mise en marché, non du Vatican, mais de Coca-Cola dans les années 1930. Donc, on est en présence d’une figure dont l’origine, probablement, et la carrière, manifestement, sont areligieuses.

Aucun problème non plus à célébrer l’arbre de Noël. Les Égyptiens, Chinois et premiers Hébreux vénéraient les arbres qui, comme les sapins, gardent leur verdure même au creux de l’hiver. Des branches de sapins étaient utilisées pour décorer les maisons pendant le solstice. Ce sont probablement les Allemands, païens devenus chrétiens, qui ont eu l’idée d’y mettre des décorations. Puis, au XVIe siècle, en y mettant des chandelles, Martin Luther l’a plus fermement associé à la lumière tout en augmentant dangereusement le risque d’incendie.

Bref, les croyants peuvent investir ces dates de la foi de leur choix, y adjoindre messes, crèches et candélabres. Mais point besoin pour rassembler croyants de dieux divers et athées de rebaptiser Noël « fête du solstice » ou de renier les attributs de la fête. Le mot Noël, le père et l’arbre forment un trio qu’on peut célébrer en soi, sans inhibition. Grâce à un outil puissant : la réappropriation culturelle ! Et au-dessus du sapin, tout concourt à installer le symbole du Soleil invaincu, notre astre solaire étant, comme chacun sait, une étoile !

(Ce texte est une version actualisée d’une chronique d’abord publiée dans Le Devoir.)


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7 avis sur « Vive Noël, fête paienne ! »

  1. Faut admettre qu’il y a à penne 30 ans personnes ne se posaient ses questions. J’ai comme l’impression que je reçois du monde dans ma maison et que ceux-ci décide de changer mes meubles de place. Aujourd’hui je constate que je vivais dans un 5 pièces et maintenant je suis confinés dans une chambre sans être capable de dire un mot et d’être catégorisé. Mais j’admet aussi que mon manque de fierté et l’oublie de nos efforts pour nos droits et libertés s’évapore et en laissant la place aux autres. Plus vieux, en nous regardant dans un miroir, nous y verrons un lâche.

  2. C’est Spock dans un des Star-Trek (le 5 ou le 6), qui dit : « le bien-être du plus grand nombre prime sur celui d’une seule personne ».
    « Les Droits De La Personne » est une structure essentielle dans une société égalitaire et universelle. Évidemment, il faut bien voir à ne pas faire mentir Spock.
    C’est le plus grand nombre qui mène la marche. C’est le plus grand nombre qui gagne ses élections. C’est la démocratie.
    Je suis athée issu de parents athées (une rareté dans les années ’70). Pour moi Noël n’ a aucune signification ; bien que, adulte, j’aime donner, et enfant j’aimais recevoir des cadeaux.
    Et je crois que la « fête de la lumière » devrait plutôt se fêter le 21 juin (journée inondée de lumière), plutôt que le 21 décembre ; journée de noirceur et de froid glacial.
    Quant à la nativité, le seul lien que j’y vois est qu’il fait si noir et si froid, si tôt dans la journée, qu’il ne reste plus qu’à aller batifoler sous les couvertures si vous habitez une époque où l’électricité n’a pas encore été inventée, ce qui par corollaire suppose que la contraception n’a pas encore été inventée elle non plus. je serais curieux de voir combien d’enfants naissent en août-septembre du moyen âge au siècle des lumières.
    🙂

  3. Plutôt qu’un dérivé latin, j’avais lu – est-ce exact? – dernièrement que le mot Noël serait en fait un résidu de la langue gauloise ou franque, Noio hel, voulant à peu près dire «nouveau soleil»! En outre (de potion magique), il faut l’admettre, tout ceci colle très bien à la fois à la sonorité du mot et au moment où on l’utilise (en excluant les campeurs bien sûr…)

    M Baril confirme le tout en expliquant beaucoup mieux que moi ce dont il retourne dans un article du Devoir de 2006 : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/124959/libre-opinion-joyeux-noio-hel-le-paradoxe-des-souhaits-de-noel?

    Plus que jamais, donc, ce serait un festival du solstice et de trémas; un noël païen!

    Tout ceci, me donne finalement envie de résister encore et toujours à l’envahisseur, retranché dans le camp canadien de Lacomissiondédroidlapersum, en vous souhaitant un très joyeux Noël.

    • Bien que l’hypothèse soit à pemière vue séduisante (comme l’est toute hypothèse vraisemblable qui confirme notre opinion), le -ël du français Noël n’a rien à voir avec le ἥλιος grec et tout à voir avec le natalis latin.

      Écoutons d’abord les linguistes linguistes avant les sociologues.

      « le \t\ latin ayant subi un amuïssement progressif en \d\ pour disparaître (évolution que l’on retrouve dans l’évolution de mutare vers muer, avec un doublet muter issu d’une réfection savante). L’évolution de nael vers noel (le tréma date du XVIIIe siècle) s’explique par la dissimilation des deux a de natalis » (Albert Dauzat, Larousse étymologique, Paris IV, 1980, 495b)— (Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, le Robert, Paris, 2012, 2250b).https://fr.wiktionary.org/wiki/No%C3%ABl

      « L’o de noël (en face de l’a. fr. nael, ital. natale, a. prov. nadal) est dû à une dissimilation des 2 a de natalis. » https://www.cnrtl.fr/definition/no%C3%ABl

      Voir aussi cette note très exhaustive de l’article du wikipédia français qui déconstruit patiemment les fausses étymologies: https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl#cite_note-13

      Ceci dit, comme l’explique M. Lisée, libre à vous de voir dans cette nativité celle du soleil plutôt que de Jésus.

    • Bon rappel historique. Pour moi, depuis des année, le moment sommet de cette péruode est le solstice, cette année 2023, le 22 décembre à 22h27
      Rg

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