Le budget Charest/Bachand a eu sa première note ce jeudi soir, Léger Mise-en-marché (ma traduction) affirmant à TVA que 74 % des Québécois en sont insatisfaits et que 83 % ne croient simplement pas la promesse d’atteinte de l’équilibre budgétaire, dans quatre ans.
Je l’ai écrit hier, ce budget est aussi maladroit qu’ambitieux. La taxe santé de 200 $ — dont je prévois le retrait d’ici 18 jours ou au prochain budget tant elle est inacceptable et inacceptée — est devenue en 24 heures le symbole de cette maladresse.
L’incrédulité, un tremplin ou un trou noir
Mais le fait de n’être pas cru, lorsqu’on annonce une cible ambitieuse, n’est pas nécessairement fatal. Et j’ai une suggestion à faire à Jean Charest en fin de billet.
Je m’explique. Lorsque Lucien Bouchard a annoncé au printemps 1996 que son gouvernement atteindrait l’équilibre en 2000, 85 % des citoyens n’y croyaient pas. Cela était, disait le conseiller que j’étais alors, une bonne nouvelle. Car le fait d’atteindre l’objectif, avec un an d’avance trois ans plus tard, fut pour lui et son gouvernement un gain net de crédibilité dans l’opinion, dont l’incrédulité fut détrompée par les faits (mais qui lui en voulut de plusieurs des sacrifices ainsi imposés).
Le gain politique appréhendé était tel qu’en fin de course, le gouvernement Chrétien — qui avait tout fait dans l’intervalle pour nuire financièrement au Québec –, s’empressa, par le jeu des transferts fédéraux, d’envoyer un chèque de 1,4 milliard pour prétendre être, lui, responsable de l’embellie fiscale québécoise.
Répéter l’exploit Bouchard ?
Le couple Charest/Bachand pourrait-il répéter l’exploit ? Les différences entre leur situation et celle d’il y a trois lustres sont importantes :
(+) Lucien Bouchard avait entamé le processus dès son arrivée, ce qui validait le sérieux de son intention; sa crédibilité générale était forte, même si l’opinion ne le croyait pas sur ce point ;
(-) Jean Charest a attendu 7 ans avant de s’y mettre et sa crédibilité générale est si faible que TVA pouvait titrer hier : « Le budget plus impopulaire que le gouvernement », sans avoir à élaborer.
(+) Lucien Bouchard promettait d’atteindre l’équilibre dans le temps qu’il restait au mandat du gouvernement. Lorsque fut venue l’élection de la fin 1998, chacun voyait que l’objectif serait atteint sous peu, ce qui fut fait en mars 1999.
(-) Jean Charest lance sa grande réforme pluriannuelle dans la deuxième année de son troisième mandat. Plusieurs mesures importantes, dont la réforme des frais de scolarité (2012) et la hausse des tarifs d’électricité sur le bloc patrimonial (2013) supposent une action sur la durée. Or tel est le talon d’Achille du premier ministre et de son plan. Sera-t-il toujours capitaine du navire lorsque viendront les vents forts, dans la quatrième voire la cinquième année de son mandat ?
Un levier de crédibilité disponible pour M. Charest
Établissons d’abord correctement le calendrier. La fin légale du mandat de cinq ans de M. Charest le porte à décembre 2013, avec quelques mois de jeu. À tout prendre, la mise à jour fiscale de l’automne 2013 pourrait signaler l’atteinte de l’objectif.
Si le premier ministre, qui a donné son « soutien inconditionnel » au budget et qui le défend, en lieu et place de son ministre, depuis sa sortie, a vraiment la volonté de mener cette tâche à terme, il a une façon de le faire savoir aux électeurs.
À Céline Galipeau qui lui demandait au TJ s’il allait rester longtemps au gouvernement, M. Charest a répondu avec cette pirouette :
On encourage les Québécois à rester plus longtemps au travail, je pense que ce serait une bonne idée que je donne l’exemple.
Il pourrait amorcer (je dis amorcer seulement) un retournement de crédibilité s’il annonçait, dans les prochains jours, la chose suivante :
1. Ce combat pour remettre le Québec sur des rails économiques solides est un des grands combats de ma vie ;
2. J’entends mener ce combat à terme et en assumer, avec mon extraordinaire équipe, toutes les étapes ;
3. Je peux donc vous dire que je resterai les deux mains sur le volant jusqu’à l’atteinte de notre objectif dans quatre ans ;
4. En clair, soit je mènerai ce gouvernement pour tout le temps nécessaire à l’atteinte de l’objectif, soit je retournerai chercher un nouveau mandat populaire dans l’intervalle si je le juge nécessaire dans l’intérêt du Québec, ce qui n’est bien sûr pas le cas dans l’avenir prévisible.
Ce faisant, il dirait aux Québécois qu’il ne les lâchera pas pendant l’effort et qu’il souffrira avec eux — car, je le garantis, ce sera souffrant aussi pour lui. Ou alors qu’il risquera de sombrer s’il retourne en élection dans l’intervalle.
Ensuite ? S’il reste jusqu’à la fin 2013 et que son pari est réussi, toutes les portes lui seront ouvertes.
S’il suivait cette voie, les Québécois ne croiront toujours pas que M. Charest atteindra son objectif. Mais ils pourraient croire que le premier ministre, lui, y croit. Et cette condition est indispensable à la reconstruction de sa crédibilité.
Cela dit, je serais le premier surpris s’il suivait cette suggestion. Et le premier à saluer son cran s’il le faisait.