Pendant l’été, quelques billets de blogue choisis, en rappel.
Les nouvelles sont bonnes pour le 1%. Notre 1%. Oui, je sais, je ne cesse de vous dire que notre 1% québécois n’empoche chaque année que 11% de l’ensemble des revenus produits au Québec, une misère comparé aux 24% captés par le 1% de nos voisins américains.
Reste que notre 1% travaille fort pour ne pas avoir l’air trop fou, lors des rencontres internationales dans les palaces. La médaille d’or revient à l’ex-PDG de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, qui quitte la compagnie en plein scandale, qui a fait chuter la valeur pour tous les actionnaires et entaché la réputation internationale de la compagnie. Punition : il a droit à près de 5 millions de dollars pour amortir sa chute.
Avec Duhaime, le Québec entre donc dans le club sélect des PDGs qui partent avec la caisse, après avoir fait plongé la valeur de l’entreprise.
Pierre Duhaime est donc, pour 2012, le meilleur candidat à notre futur Prix de reconnaissance du 1%.
Il rejoint ainsi les anciens dirigeants de l’Université Concordia qui cumulaient les primes de départ (2,5 millions pour cinq personnes) comme s’ils voulaient absolument prouver que : la séparation, c’est payant !
D’autres PDG qui font simplement leur travail de gérer une entreprise font cependant monter les enchères et leurs CA travaillent fort pour que nos membres du 1% puissent avoir la tête haute.
Ainsi, le président de la Banque Nationale, Louis Vachon, vient d’empocher une hausse de salaire de 32%. Il passe ainsi d’un maigre 5,7 millions en 2010 à 8,5 millions en 2011. Que lui vaut cette extraordinaire progression ? Une année record pour la Banque Nationale ? Non.
Le Conseil d’administration explique la chose très clairement dans un document:
« Les membres du Conseil ont jugé qu’il ne serait pas dans l’intérêt à long terme de la Banque, eu égard notamment à sa capacité d’attirer les meilleurs candidats, de maintenir la rémunération de son plus haut dirigeant au bas de l’échelle de son groupe de référence »
Bref, le CA a jugé que, puisque les 1% dans les autres banques sont mieux payés, le 1% dans notre banque doit être mieux payé. Et vous savez quoi ? Maintenant que Louis Vachon est mieux payé, la moyenne du « groupe de référence » va monter. Une autre banque s’en saisira pour augmenter le salaire de son propre PDG. Ce qui augmentera la moyenne. Ce qui poussera d’autres banques…
C’est beau la finance, non ?
Ne croyez pas que le PDG est le seul en cause. Toute la troupe des hauts dirigeants suit la mouvance:
La chef des finances, Patricia Curadeau-Grou, voit sa rémunération croître de 35 % pour atteindre 3,2 M$
Luc Paiement, premier vice-président à la direction, 3,3 M$, une hausse de 15 %;
Ricardo Pascoe, premier vice-président à la direction, Marchés financiers, touche 5,5 M$, un gain de 10 %.
Heureusement, nous, au Québec, nous avons notre propre modèle. Et notre première institution financière est une coopérative. Oui monsieur ! Et dans les coopératives, on n’imite pas les salaires extravagants du privé, on n’embarque pas dans la construction d’une oligarchie coupée du peuple, des salariés, des membres des Coops.
Pardon — nous interrompons ce couplet coopérat0-lyrique pour vous livrer une nouvelle de dernière minute:
La PDG du Mouvement Desjardins, Monique F. Leroux, a touché l’an dernier 3,1 millions, une augmentation de seulement 3,4%.
Desjardins a plusieurs fois eu ce débat sur la rémunération de ses hauts dirigeants. Doivent-ils être détachés de la course à l’enrichissement des big boss de la finance, ou non ?
La réponse donné est Oui, mais à la traine.
La rémunération de notre coopératrice-en-chef est fondée sur la spirale ascendante des salaires du 1% financiers, mais seulement à 75% de la médiane des patrons des banques et des PDG de fonds financiers. Mme Leroux touche seulement 63% de cette médiane (elle est donc en retrait) mais sa rémunération est comparable à celle des autres PDG de coopératives de même taille.
Évidemment, la totalité de ces salaires sont proprement indécents.
Ils sont indécents en soi, aujourd’hui. Mais ils sont indécents historiquement. Des personnes identiques, dans les mêmes positions, et avec les mêmes responsabilités touchaient dans les années 1950, 1960, 1970 des sommes considérablement moindres, en ajustant bien sûr pour l’inflation.
Pire, ces prédécesseurs qui en plusieurs cas ont construit ces empires financiers, pour ne parler que d’eux, et qui étaient payés beaucoup moins étaient… imposés beaucoup plus ! Qu’on songe que le taux d’imposition marginal aux États-Unis sous Richard Nixon était de 75%. C’est dire que sur le second million empoché, 750 000$ retournait à l’État et à la solidarité.
Et pourtant, le monde tournait. La classe moyenne croissait. La croissance était au rendez-vous. Et les patrons patronnaient.
Ils ne pouvaient évidemment pas concevoir que leur salaire pourrait un jour être multiplié par cinq, dix, trente. Ils savaient que seuls ceux qui inventaient la poudre, ou découvraient du pétrole, ou lançaient une toute nouvelle entreprise devenue florissante, pouvaient connaître un tel enrichissement.
Mais être pour ainsi dire un fonctionnaire de la grande entreprise, monter les échelons, gérer correctement, voire brillamment, et être payé comme si on était un prix Nobel (en fait, beaucoup plus) ? Jamais. Faire plonger sa compagnie, puis être récompensé comme si on n’avait rien fait de mal ? Impensable.
La progression insensée des hauts salaires dans les années 1980, 1990, 2000 et depuis tient à une cause principale. Pas la compétition effrénée pour les « meilleurs joueurs ». Pas l’augmentation du degré de difficulté des tâches. Pas l’augmentation relative des sommes sous gestion.
Non: une seule. La progressive désinhibition des hauts salariés. Ils se sont auto-convaincus que ce qui était anormal était normal. Ils ont quitté le monde de la rémunération réelle, raisonnable. Ils sont entrés dans une bulle d’auto-référence. La bulle du 1%. Les nôtres comme les autres.
Billet d’abord publié en avril 2012.