Désenchantés

Saviez-vous que dans Jean-Talon, lundi, un électeur de 104 ans a participé au vote ? Également deux résidents de 103 ans et cinq de 100 ans. Il y a aussi ceux qui ne se sont pas présentés. Ainsi, le taux de participation des inscrits de 106 ans fut de 0 %. (Il n’y en avait qu’un.) Pour les 62 centenaires présents sur la liste électorale, donc présumés en état de voter, le taux de participation fut d’un peu moins de 25 %, la moitié du taux général, élevé, de 56 % pour la partielle. Je parie toutefois qu’il s’agit d’un record, qui sera battu à chaque cycle électoral à venir. L’impact politique du vieillissement se déploie devant nous, s’avançant — ce qui est désormais un spectacle rare — à la vitesse d’un glacier.

Le taux de participation des nouveaux électeurs, ceux de 18 ans, fut très respectable : 49 %. Mais la tranche d’âge la plus présente dans l’urne lundi affichait 60 ans, à 76 % de participation, une part un tantinet supérieure à celle des 61 à 80 ans.

Le déséquilibre de participation de la pyramide d’âge est un invariant de notre vie politique. Plus étonnante est la décision d’une forte proportion d’électeurs aux cheveux gris de Jean-Talon de gifler leur coreligionnaire, François Legault, 66 ans, pour faire un triomphe à un jeunot, Paul St-Pierre Plamondon, 46 ans (mais on lui en donnerait 36, non ?). Comment l’expliquer ? Pour percer ce mystère, il faut se tourner, parmi les analystes disponibles, vers quelqu’un qu’on ne peut suspecter de biais anti-Coalition avenir Québec (CAQ).

Le bureau du premier ministre s’est beaucoup plaint, ces derniers mois, de la disparition des chroniqueurs pro-CAQ. Naguère, il y avait Bernard Drainville (Cogeco), Caroline St-Hilaire (TVA), Marie Grégoire (Radio-Can) et, mais on n’ose vraiment l’affirmer, Martine Biron (idem). Que sont-ils devenus ?

En leur absence, on peut se tourner vers quelqu’un qui était encore, il y a quelques mois à peine, membre du caucus de la CAQ. Une dame, Joëlle Boutin, désormais commentatrice à La joute sur LCN, et qui peut attester d’une connaissance fine de la circonscription de Jean-Talon. Fichtre ! Elle en fut députée pendant presque six ans. Voici comment elle analysait le comportement de ses ex-électeurs jeudi : « C’est l’écho d’un mécontentement de la grande région de Québec, pas seulement de Jean-Talon, et d’un sentiment de trahison. Les gens n’aiment pas ça, se faire prendre un peu pour des cons. »

Tout est dit. Mais ce sentiment est-il vraiment circonscrit à la seule région de Québec ? C’est ce qu’affirment les proches du premier ministre et ce qui semble motiver le remède qu’ils proposent : le retour du troisième lien. Or, un simple survol du sondage Léger de fin septembre, qui apparaît désormais comme un faible signe avant-coureur de la débâcle de la semaine dernière, permettait le diagnostic d’un mal plus généralisé. Si on le compare au sondage de décembre dernier, on constate, oui, que la CAQ est passée de 48 % à 23 % dans les intentions de vote dans la région de Québec. Chez tous les francophones ? De 48 % à 39 %. Dans les régions du Québec ? Pareil : de 48 % à 39 %.

Le Québec vit donc une période de désenchantement par rapport à François Legault et à son équipe. Lorsqu’on leur avait demandé, après les élections de l’an dernier, la principale raison qui avait motivé leur vote pro-CAQ, les électeurs avaient cité la « gestion de la pandémie » comme principale raison de leur contentement. Personne n’estimait que cette gestion avait été parfaite. Mais l’attitude sérieuse, réfléchie, pour l’essentiel transparente du premier ministre avait, disons-le, enchanté les Québécois.

Ici, la forme importe davantage que le fond. Et on sent, depuis un an, que M. Legault ne met plus les formes. Il brise ses promesses avec désinvolture, écorche sa propre crédibilité en répétant des arguments qu’il doit savoir faux, fait preuve de mépris envers ses adversaires. On ne peut lui reprocher d’être combatif. Mais on sent que tout ça le dérange : les questions, l’opposition, le rappel de ses promesses. La démocratie, quoi !

Rien ne semble l’irriter davantage que l’enchantement qui est en train de s’opérer autour de son désormais  principal adversaire : PSPP. Un signe : même s’il avait décidé de se faire contrit et humble, le soir de sa défaite dans Jean-Talon, Legault n’a pu s’empêcher de se présenter au lutrin sans attendre la fin du discours du chef vainqueur. Il avait des airs de « tasse-toi, petit morveux, tu as assez parlé, mononcle a quelque chose d’important à dire ».

C’est vrai que Plamondon était un peu long, mais n’avait-il pas mérité son temps de parole, lui qui n’a même pas droit à une question par jour à l’Assemblée ? L’irritation du premier ministre est d’autant plus ancrée que la vraie question qu’il souhaite poser au jeune chef est : « Il est pas mort, lui ? » Les stratèges caquistes avaient décidé qu’il n’y avait pas de place au Québec pour deux partis nationalistes. D’où leur tentative d’assassinat du Parti québécois. C’est raté.

Les électeurs en ont décidé autrement. Le scrutin de 2026 s’annonce comme une guerre entre deux partis nationalistes. Pour l’instant, la ligne de fracture entre les deux n’est pas le « nous continuons à nous contenter d’être une province » contre « on veut un pays ». Mais plutôt « nous continuons à vous prendre pour des cons » contre « on respecte votre intelligence ». La suite à la prochaine partielle. Ou à la prochaine pandémie.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

3 avis sur « Désenchantés »

  1. concernant l`indépendance du Québec, la question financière est maintenant résolue, le Québec est capable .Faudrait maintenant passer à un autre aspect de l`indépendance à venir et se préparer à la faire .
    Nous en sommes capables.
    Imaginez la fierté de l`obtention d`un diplôme universitaire après plusieurs années d`étude!!!
    Imaginez maintenant la fierté de l`obtention de l`indépendance du Québec avec la certitude que notre peuple ne veut pas mourir.
    Merci de me lire……………………
    André Beloeil.

  2. Lorsque la question de l’indépendance a été proposée à l’émission MORDUS DE POLITIQUE, l’animateur a spontanément demandé à Jean-François Lisée,
    péquiste évident. Il a peiné à dire quelques mots, interrompu par les 3 autres membres de l’équipes, pourtant professionnels de la communication. Leur réaction hystériques sur la question de l’indépendance
    manifeste clairement une immaturité sur cette question.

  3. Contrairement à une majorité de québécois, je n’ai pas la mémoire aussi courte et je me rappelle d’une certaine « liste des horreurs » que préparait le gouvernement Marois en catimini, convaincu d’être réélu, mais se gardant bien de dévoiler ce qu’il préparait pour les québécois.
    « Prendre les québécois pour des cons », le PQ en est bien capable lui aussi.

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