Hier, un militant péquiste m’a envoyé une missive angoissée. Y a-t-il un avenir pour son parti et pour son rêve souverainiste? Elle fut très lue et très commentée.
Je lui ai promis, non « des » réponses, mais du moins, « mes » réponses, pour ce que ça vaut. Voici la première partie de deux.
Cher François Houle,
Je suis, vous le savez, un indépendantiste indépendant. J’ai chez moi une caricature de Chapleau montrant Bernard Landry, Jacques Parizeau, Gilles Duceppe et Lucien Bouchard m’attendant avec des battes de baseball, tellement ils n’aimaient pas certains de mes écrits.
J’ai toujours résolu, comme le veut une expression américaine, de « dire la vérité aux puissants ». Aux autres aussi, bien sûr.
La crise qui secoue aujourd’hui le Parti québécois m’oblige, comme vous, à prendre position et à vous répondre franchement. À dire les choses comme je les vois.
Mon premier et plus grave constat est que les événements qui ébranlent le Parti Québécois risquent d’avoir un impact désastreux, non seulement sur le PQ et sur la souveraineté, mais sur la totalité de notre vie collective.
L’affaiblissement du PQ ouvre la voie à une réélection du Parti libéral, ou encore à la prise de pouvoir par une alliance Legault/ADQ dont la fibre sociale, culturelle et nationale est, pour tout ce qu’on en sait et tout ce qu’on a lu et entendu, anémique. (Sur l’économie, Legault affiche un nationalisme économique et un volontarisme que n’aurait renié aucun chef du PQ.)
De l’avenir, faisons table rase ?
Déjà obligés de subir pour quatre ans un gouvernement fédéral conservateur majoritaire rétrograde, j’estime que les Québécois ne peuvent se permettre de perdre la seule chance crédible qu’ils ont de redonner au Québec une colonne vertébrale.
Le PQ est imparfait, chicanier, frustrant. Mais si une conjonction de facteurs, dont la montée de Québec Solidaire, devait laisser le pouvoir aux mains des Libéraux ou des Legault/ADQ, voici ce que cela signifierait:
1. Pas de commission d’enquête sur la corruption dans la construction. (François Legault est étrangement discret sur ce sujet pourtant vital*). Il faudrait donc oublier la pièce maîtresse du rétablissement éthique dont le Québec a cruellement besoin;
2. Pas de volonté ferme de refaire un grand ménage dans le financement des partis politiques — comme le proposent des jeunes députés du PQ — pas de recul du copinage et du cynisme. (Même silence à ce sujet du côté de Legault);
3. Pas de volonté d’adopter une Charte de la laïcité et de stopper l’interminable dérive des accommodements raisonnables. Seul le PQ (paradoxalement, grâce à Louise Beaudoin), en fait un cheval de bataille. L’alliance de Legault avec des fédéralistes rendrait son gouvernement impotent sur cette question;
4. Pas de volonté d’empêcher le français de devenir minoritaire sur l’île de Montréal, pas de volonté de donner un nouvel élan, indispensable, à la défense de notre langue (ici encore, impotence structurelle de la coalition Legault face à un programme offensif et multiforme du PQ);
5. Pas de volonté d’établir une gestion plus intelligente de notre immigration, en faisant de la connaissance du français une condition de sélection, puis un élément indispensable à l’intégration (même impotence de Legault, grande réticence de Québec solidaire);
6. Pas d’engagement à ce que le Québec récolte au moins 50% des revenus tirés de nos ressources naturelles (Legault va beaucoup moins loin et est très proche de milieux d’affaires frileux à cet égard, comme Sirois);
7. Pas d’engagement à l’indépendance énergétique du Québec, donc à faire reculer la place du pétrole importé dans nos vies, dans nos portefeuilles et notre environnement (silence complet de la coalition Legault sur ce plan);
8. Pas d’engagement à appuyer l’économie sociale, solidaire, coopérative. Dans ces deux dernier cas, Québec solidaire est évidemment partant, mais sa montée, en nuisant à l’élection du PQ, rendrait la chose encore plus lointaine. (ici encore, Legault est silencieux);
9. Pas d’engagement à gouverner résolument comme une nation et à tracer un parcours vers la souveraineté ;
10. Pas de femme première ministre, avec tout ce que cela implique comme avancée, comme compréhension des enjeux et comme façon de gouverner.
Je sais que Jean Charest tourne le dos à chacune de ces mesures (je n’insiste pas sur la #10). Je sais que François Legault est pour l’essentiel muet sur chacune d’entre elles, donc ne les considère nullement prioritaires. Je sais qu’Amir Khadir, malgré toute sa fougue, ne peut former le gouvernement.
Le cas Pauline Marois
Je connais Pauline Marois. Ses forces, trop souvent sous-estimées, et ses faiblesses, trop souvent magnifiées. Je sais qu’elle a choisi, sur ces 10 sujets et sur bien d’autres, d’extraire le Québec de la corruption, du malaise, du renoncement linguistique, qui caractérisent le gouvernement actuel.
Les militants, et certains démissionnaires, posent deux questions: a-t-elle vraiment la volonté de réaliser la souveraineté et, si oui, en a-t-elle la capacité ? Et, si non — et même, pour certains, si oui — , le PQ ne serait-il pas mieux servi en repêchant Gilles Duceppe ?
Cher François, aujourd’hui j’ai tenté de dire pourquoi, dans l’avenir immédiat, l’affaiblissement durable du PQ serait une grave perte pour le Québec contemporain. Une perte que nous ne pouvons collectivement nous permettre.
Demain, je vous parlerai du cas Pauline Marois et je répondrai, du mieux que je le pourrai, à l’autre question difficile: est-il déjà trop tard pour le PQ?
bien cordialement,
Jean-François Lisée
*J’ai écrit que Legault était « étrangement discret » sur la question d’une commission d’enquête. Les responsables de sa coalition ont réagi en notant que dans leur document fondateur il était question de « faire la lumière » et, sommés de trouver une citation de Legault sur la question, m’ont conduit à une réponse donné par François sur son blogue, affirmant « il faut une enquête sur la construction ». C’est ce qui s’appelle être discret.
Après la publication de ce billet, François Legault a déclaré spontanément à Franco Nuovo: « j’en suis pour l’enquête pour la construction ». C’est un progrès. Je suis heureux d’y avoir contribué.