Inespéré: l’ONU fonctionne !

Un événement majeur a eu lieu, ce jeudi — et ce n’est pas le budget Bachand.

1. L’ONU fonctionne. Le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé à 10 contre 5 d’utiliser « toutes les mesures nécessaires » pour empêcher le dictateur-fou de Libye de reprendre le contrôle de l’entièreté de son pays.

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Le vote du Conseil de sécurité. Notez, à gauche, le représentant portugais (élu à ce siège en battant le Canada) qui vote dans le bon sens!

Évidemment, c’est très tard. Évidemment, il aurait fallu que la communauté internationale cloue l’aviation de Khadafi au sol dès qu’elle a tiré sur la foule, aux premiers jours de la rébeillon. Évidemment, il sera beaucoup plus difficile de refouler les troupes (et mercenaires) pro-Khadafi aujourd’hui que si l’ONU avait agi il y a trois semaines.

Tout de même, le vote est majeur.

2. La Chine et la Russie, représentants de l’autocratie au sein du Conseil de sécurité, donc défenseurs du droit des États de réprimer tranquille, n’ont pas utilisé leurs vétos pour empêcher l’adoption de la résolution, comme ce fut le cas dans des situations similaires précédentes;

3. Évidemment, la décision de la Ligue Arabe, samedi dernier, de faire appel à la communauté internationale pour sévir contre l’un des leurs a pavé la voie à cette décision majeure;

4. Le réveil, tardif mais salutaire, de l’administration Obama qui a, dans les dernières heures, décidé de peser de tout son poids en faveur d’une intervention anti-Khadafi (contre le vœu du Pentagone), indique que Washington a finalement choisi l’audace, plutôt que l’hésitation;

5. Dans les rues de Benghazi, dernier bastion de l’opposition libyenne, la décision de l’ONU a été accueillie avec un bonheur égal à la crainte d’être abandonnés, et massacrés, qui l’avait précédé. Jamais l’ONU n’a été si populaire;

6. Signalons aussi, dans les derniers 24 heures, la position courageuse prise par la France, notamment le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, affirmant avant ce mardi dans un billet de son blogue intitulé Notre honneur :

Il ne suffit pas de proclamer, comme l’ont fait à peu près toutes les grandes démocraties, que “Kadhafi doit partir”. Il faut se donner les moyens d’aider efficacement ceux qui ont pris les armes contre sa dictature.[…]

Seule la menace de l’emploi de la force peut arrêter Kadhafi. […] Nous pouv(i)ons neutraliser ses moyens aériens par des frappes ciblées. C’est ce que la France et la Grande-Bretagne proposent depuis deux semaines. A deux conditions: obtenir un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, seule source de droit international en matière d’usage de la force ; agir non seulement avec le soutien mais aussi la participation effective de pays arabes.[…]

Il est souvent arrivé dans notre histoire contemporaine que la faiblesse des démocraties laisse le champ libre aux dictatures. Il n’est pas encore trop tard pour faire mentir cette règle. Ce sera l’honneur de la France d’avoir tout tenté pour y parvenir.

7. L’essentiel, dans les frappes qui devraient commencer dans les heures qui viennent, est la participation de plusieurs pays arabes dans cette coalition, en plus de la France, des la Grande-Bretagne et, bien sûr, des États-Unis dont la marine s’est positionnée ces derniers jours en Méditerrannée.

Juppé affirmait hier que plusieurs pays arabes avaient confirmé leur participation.

8. Cette décision, et l’intervention militaire qui s’ouvre, est essentielle dans le Printemps arabe en cours. En effet, après les succès des démocrates en Tunisie, puis en Égypte, la capacité du dictateur Khadafi d’écraser la rébellion dans son pays avait pour effet de mettre un cran d’arrêt à l’espoir de renouveau.

L’appui de l’Europe, de pays arabes et de la communauté internationale aux rebelles libyens à l’heure même où ils sont acculés à leur dernier quartier envoie au contraire le signal à la rue arabe que l’histoire est avec eux, que le monde est avec eux, que la route est ouverte.

La décision signale aussi aux dictateurs restants qu’il ne leur suffira pas d’utiliser leur police et leur armée pour réprimer leurs peuples. La situation internationale a changé. Le risque d’une intervention étrangère à l’appui des rebelles devient — évidemment nullement automatique et toujours problématique — mais désormais dans l’univers du possible.

Bref, l’ONU fonctionne. C’est une extraordinaire nouvelle pour les rebelles de Benghazi, une extraordinaire nouvelle pour le Printemps arabe, une extraordinaire nouvelle pour chacun de nous.