La « Gauche efficace » pour les nuls

arton7811-333c71L’expression gauche efficace semble beaucoup embêter les scribes de droite ces temps-ci. Ainsi, à la fois Richard Martineau et Joseph Facal ont chacun, cumulativement à cinq reprises en moins de dix jours, douté de son existence.

Pour le second, croire que la gauche peut-être efficace relève du gag — je n’ose en conclure que seule la droite est efficace, ce que ne semble pas démontrer l’auto-régulation du systême financier international ces dernières années. Pour le premier, toute volonté de créer de la richesse, peu importe ses modalités, doit n’appartenir qu’à la droite. Voici la lettre ouverte que j’ai adressée au premier, suivie de quelques remarques pour le second:

Puisque chacun se demande quel livre offrir pour  Noël, je remercie Richard Martineau d’avoir, deux fois récemment, cité mon ouvrage « Pour une gauche efficace ». Le chroniqueur semble cependant avoir de la difficulté avec le concept. Selon lui, je propose de : « baisser le fardeau fiscal des entreprises, réduire les impôts des Québécois plus fortunés, hausser les frais de scolarité et privatiser partiellement Hydro-Québec ». Il y voit des mesures « de droite ». Il me fait plaisir de l’éclairer.

Entreprises. La droite veut réduire les taxes et impôts, rapetisser l’État, réduire les services. La gauche classique, c’est l’inverse. Sous le vocable « gauche efficace », je propose de réduire le fardeau des entreprises, mais seulement de celles qui acceptent, notamment, 1) d’assurer la formation continue de tous leurs salariés; 2) d’associer  leurs salariés aux discussions sur l’avenir de l’entreprise et de l’augmentation de sa productivité.

Fardeau fiscal des fortunés. La droite rêve de les « libérer » de l’impôt. La gauche classique note, comme moi, que la réduction de leur fardeau depuis 25 ans est un non-sens. Dans mon esprit, la « gauche efficace » admet qu’on ne peut augmenter ces impôts tant que nos voisins (USA, Ontario) ne le feront pas. Mais je propose d’augmenter le fardeau autrement : par une tarification variable selon le revenu. Pourquoi un médecin montréalais aurait-il le même revenu et paierait les mêmes impôts que son collègue torontois, mais ne paierait sa garderie que 7$ par jour, alors que le Torontois le paie 50$?

Frais de scolarité. La droite veut les augmenter. La gauche classique veut le gel. Je refuse d’ériger une barrière financière à la porte des universités. Mais j’estime qu’il est « de gauche » et « efficace » d’exiger aux diplômés, lorsqu’ils deviennent de haut salariés, de rembourser les 2/3 du coût de leur formation. Ainsi, on pourrait injecter dans le réseau universitaire les  600 millions qui lui manquent.

Hydro Québec. La droite souhaite hausser les tarifs, quitte à appauvrir les petits salariés. La gauche classique veut le statu quo. Je propose un « big bang » : qu’en une nuit, les tarifs augmentent au niveau ontarien mais que simultanément, les impôts baissent et les prestations augmentent. Aucun Québécois ne serait appauvri. Au contraire, chacun tenterait de réduire sa consommation, donc d’augmenter son revenu disponible. (Une taxe carbone serait introduite pour le gaz et le mazout.) Voilà qui est efficace – rendre les énergies renouvelables rentables – mais de gauche – protéger les ménages ! Une vente possible, surtout aux Québécois, de 25% d’Hydro, permettrait ensuite de réduire la dette et de mieux financer les programmes sociaux. (Note: évidemment, pout être rentable, cette vente devrait être faite dans des conditions optimales: avec un marché boursier très élevé d’une part, et des taux d’intérêts sur la dette élevés d’autre part. Sinon, il n’y a pas de différence de revenu pour la collectivité.)

Je note que Richard n’a pas relevé mes propositions pour une plus grande syndicalisation du secteur des services, un investissement massif contre la pauvreté et l’analphabétisme, la nationalisation de l’éolien et le soutien à l’économie sociale et coopérative. Une prochaine fois?

Cette brève mise au point n’épuise évidemment pas le sujet. Mais j’ajouterais au bénéfice de Joseph Facal qu’une approche de gauche efficace ne se limite pas à un souci d’arrondir les aspérités, comme il l’écrit, de politiques classiques de création de richesse ou de réaménagement tarifaire ou fiscale.

Pour la gauche efficace telle que je la conçois:

1) Aucune réforme n’est acceptable si elle conduit à un appauvrissement de Québécois de moyen ou de faible revenu. C’est pourquoi je me suis opposé au budget Bachand et à sa cotisation santé régressive. Je ne trouve rien de courageux dans la tarification des pauvres. C’est pourquoi aussi le rapport Montmarquette-Facal sur la tarification a souffert de mortalité infantile: (presque) rien n’était prévu pour, ni amortir, encore moins éviter, un appauvrissement des Québécois du bas de l’échelle et de la classe moyenne. Cette absence de conscience sociale constitue, à mon avis, un angle mort bien représentatif d’une pensée de droite.

Ainsi, Joseph ne voit pas de différence entre, d’une part, des propositions passées de hausses de tarifs d’Hydro-Québec assortie de vagues suggestions de compensation pour certains clients peu fortunés et, d’autre part, ma proposition d’innocuité totale et garantie de la hausse de tarif pour la totalité les citoyens du Québec. Pour lui, c’est la même chose (de la pure récupération, écrit-il). Pour moi, ne pas saisir la différence est bien la preuve de l’espace politique qui sépare la droite de la gauche.

Le souci permanent de protéger nos citoyens du bas de l’échelle est au contraire considéré comme du misérabilisme par les tenants de cette école politique. Pour plusieurs d’entre eux, par exemple, la Loi québécoise de lutte contre la pauvreté, une loi en pointe de la recherche sociale sur le sujet, est risible, assimilable à une loi contre la gravité. Voilà l’esprit de la droite que je rejette de toutes mes forces.

2) Rien n’est plus important que l’amélioration des compétences des citoyens eux-mêmes. C’est pourquoi je propose un nouvel effort pour la présence des enfants de faible revenu dans les garderies — ils y sont sous-représentés –, l’introduction de maternelles trois et quatre ans dans les quartiers défavorisés (des péquistes de droite, par exemple, étaient opposé à la généralisation de la maternelle cinq ans!), un droit individuel à la formation des salariés en entreprise et la création d’un vaste chantier pour réduire significativement, en dix ans, l’analphabétisme au Québec. Voilà des mesures, à la fois sociales et économiques, qui met l’humain à la bonne place: au centre du projet.

3) Toute réforme de création de richesse doit être concue non pour, d’abord la créer, ensuite la distribuer comme le dit la droite, mais être concue dans une perspective de création/distribution simultanée.

4) La richesse doit être mieux répartie. Le fardeau fiscal de nos citoyens privilégiés a été spectaculairement réduit ce dernier quart de siècle, comme celui des autres riches nord-américains. Il faut donc trouver d’autres moyens : la tarification différenciée selon le revenu, les amendes et contraventions en proportion du revenu, une plus grande tarification des grands consommateurs d’électricité, etc.

Tout cela étant dit, je reste toujours intrigué par la volonté de certains qui se disent, à bon droit, réformistes, de dénigrer les propositions, l’approche ou la terminologie des autres. Puisque la seule chose essentielle est le progrès de la société québécoise et que le degré de difficilté des réformes est, toujours, très élevé, il m’a toujours semblé plus constructif d’identifier les points de convergence chez les propositions des uns et des autres et de s’appuyer sur ces convergences pour faire avancer les choses. C’est cela, aussi, à mon humble avis, la gauche efficace.