Les expulsions barbares (+ échanges avec le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard)

De mauvaises langues accusent le député Sol Zanetti d’avoir atteint le summum de l’exagération en gonflant, puis dégonflant, une balloune depuis son siège de l’Assemblée nationale jeudi dernier. Je ne suis pas d’accord. Juste avant, en point de presse, un autre député solidaire avait fait pire.

Au cas où on déclare atteinte, voire dépassée, la capacité d’accueil du Québec et qu’on veuille limiter le nombre d’immigrants temporaires au Québec, passés de 47 000 en 2007 à 470 000 cette année, il a dit ceci : « Si on définit qu’elle est remplie [la capacité d’accueil], on coupe qui ? On va commencer à faire des déportations massives ? On va commencer à dire que ces 100 000 là, qui sont de trop, peut-être, qui ont déménagé ici, qui ont eu des contrats, qui ont eu un logement, qu’on leur a donné un permis, qui travaillent dans le réseau de la santé et dans l’éducation… On va leur dire : “C’est terminé ? […] Vous savez quoi, là, on s’excuse, on vous a fait venir pour rien, on s’est trompé, finalement, on n’a pas la capacité de vous avoir” ? »

Je vais vous étonner. Il s’agit d’un député qu’on estimait jusque-là crédible et posé : Guillaume Cliche-Rivard. Il est avocat, expert en immigration. Comment peut-il ne pas savoir qu’on parle ici des temporaires qui, comme leur nom l’indique, sont bien temporaires. L’immense majorité des étudiants étrangers qui peuplent McGill et Concordia et anglicisent le centre-ville prennent la poudre d’escampette dès qu’ils ont leur diplôme en poche. L’immense majorité des travailleurs agricoles volent retrouver leur famille latino-américaine une fois la récolte terminée. Les autres savent tous que leur séjour affiche une date de péremption, ce à quoi ils ont librement consenti.

Bref, si on décidait, selon le chiffre évoqué, d’admettre désormais 100 000 personnes de moins, ce qui nous maintiendrait toujours à un niveau historiquement excessivement élevé, il suffirait d’attendre que ceux qui souhaitent repartir repartent et de ne donner des autorisations qu’à 370 000 candidats, plutôt que 470 000.

L’introduction du terme « déportation » dans un débat sur l’immigration qui se déroulait depuis quelques mois dans un contexte apaisé est simplement honteuse. S’il tient à sa crédibilité, Cliche-Rivard doit faire amende honorable.

Sur le fond, il affirme ne pas savoir si, oui ou non, notre capacité d’accueil est atteinte. Il voudrait qu’une équipe d’experts se penche sur la question. C’est une idée tellement bonne que je la proposais en 2018 lorsqu’on ne comptait sur le territoire que le quart du nombre de temporaires actuel.

On peut bien, comme le fait la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, par un appel de projets de recherche, en obtenir une analyse plus fine et régionalisée. Mais refuser d’admettre aujourd’hui que l’ajout depuis cinq ans de centaines de milliers de personnes supplémentaires aggrave les crises du logement, de la santé et des garderies me rappelle ceux qui, face aux méfaits du tabac ou du réchauffement climatique, réclamaient davantage d’études.

Heureusement, un grand nombre de Québécois ont entendu parler de la loi de l’offre et de la demande. Début octobre, 71 % d’entre eux (comme 68 % des Canadiens) ont déclaré au sondeur Ipsos qu’imposer un plafond d’admission aux étudiants étrangers serait une bonne façon de réduire la pression sur les logements abordables. Logiques, 75 % des Québécois (71 % des Canadiens) pensent qu’il faut revoir à la baisse les cibles d’immigration le temps que se résorbe la crise du logement. (Mémo au politburo de QS : ce sentiment est partagé par 66 % des 18-34 ans, votre électorat principal.)

Qui, parmi nous, à part les élus solidaires, figure parmi les dissidents de la loi de l’offre et de la demande ? Le gouvernement fédéral, bien évidemment. L’inénarrable ministre de l’Immigration, Marc Miller, a redit récemment qu’il fallait davantage d’immigrants pour construire davantage de logements. (Marc, ça ne marcherait que s’ils les bâtissaient avant d’arriver ou s’ils les emmenaient avec eux. Un pensez-y-bien.)

Plus terre à terre, son collègue Pablo Rodriguez, qui semble admettre l’existence d’un problème, a prétendu que l’augmentation du nombre de temporaires était la faute du Québec. Mme Fréchette affirme au contraire que c’est la faute du fédéral. Peut-on savoir qui remporte la palme de cet édifiant concours de Ponce Pilate ?

Mardi, dans ces pages, la spécialiste Anne-Michèle Meggs a mis clairement la responsabilité sur les épaules du Québec.

À l’exception des demandeurs d’asile, le Québec a indubitablement le pouvoir de réduire le nombre d’étudiants étrangers, qui comptent pour 44 % des temporaires, mais il ne le veut pas ; il a indubitablement le pouvoir de limiter le nombre de travailleurs temporaires (17 %), mais il ne le veut pas.

Sur le reste, les 36 % du Programme de mobilité internationale, Québec a omis d’exiger un droit de veto lors de sa création pendant l’ère Harper. Le gouvernement Legault — au pouvoir pendant l’explosion des temporaires et en possession depuis avril 2022 d’un rapport des experts Pierre Fortin et Marc Termotte l’avisant de sa « perte de contrôle » du dossier — a choisi de ne pas utiliser le levier à sa disposition : réclamer, comme le lui permet l’entente Canada-Québec, l’ouverture de discussions qui lui permettraient d’en reprendre le contrôle.

Bref, alors que 7 Québécois sur 10 savent que l’explosion du nombre d’immigrants rend intenable — et probablement insoluble — la crise du logement, entre autres, nous sommes en présence d’une opposition solidaire fantasmant sur des « déportations » massives et d’un gouvernement caquiste qui se prétend nationaliste, mais refuse d’utiliser les pouvoirs que détient déjà la nation.

Bref, bienvenue au Québec.

(Ce texte a d’abord été publié par Le Devoir.)

M. Guillaume Cliche-Rivard a fait publier une réplique dans le Devoir du lendemain, la voici:

Avant de trancher sur notre capacité d’accueil, il faut en débattre

Dans une chronique publiée mercredi dans Le Devoir, Jean-François Lisée s’en est pris directement à mes propos relatifs à la capacité d’accueil du Québec en matière d’immigration. En plus de déformer ma pensée et d’attaquer ma crédibilité, il m’a demandé de me rétracter. Voici ma réponse.

La semaine dernière, Québec solidaire (QS) a refusé d’appuyer une motion à l’Assemblée nationale qui déterminait que la capacité d’accueil du Québec était dépassée. Pourquoi ? Parce qu’encore à ce jour, nous n’avons aucune définition de ce que signifie cette capacité d’accueil et des éléments qui la composent. Nous n’avons pas non plus fait le débat pour la quantifier ni établi le chiffre à partir duquel on peut la juger dépassée. Nous avons donc à nouveau demandé qu’un comité d’experts non partisan se penche sur la question.

Si la science nous démontre alors que notre capacité d’accueil est bien atteinte et ne peut être bonifiée, alors je suis prêt à accepter ce fait. Mais nous estimons que c’est de cette façon qu’il faut traiter du dossier, et non en votant à la volée une motion à l’Assemblée.

Je suis allé présenter cette position en point de presse et j’en ai profité pour soumettre quelques questions à ceux, comme le Parti québécois (PQ) ou la Coalition avenir Québec (CAQ), qui estiment que notre capacité d’accueil est dépassée. Essentiellement, je leur ai demandé, si tel était le cas, quelles étaient leurs solutions. J’ai soumis quelques options.

D’abord, il est possible d’investir dans notre capacité d’accueil afin de la bonifier. Sinon, il est possible de viser un plan de réduction du nombre de temporaires sur cinq ans pour revenir à des niveaux préétablis. Finalement, tout en soutenant que je serais surpris que cela soit la position choisie, une autre option serait d’exiger le départ d’un certain nombre de résidents temporaires, tout en démontrant du même souffle comment cette proposition serait déraisonnable et peu envisageable. J’ai donc soumis ces scénarios afin que ceux qui exigent un meilleur contrôle de l’immigration nous expliquent de quelle manière ils suggèrent de procéder.

Or, M. Lisée et d’autres m’ont accusé de soulever le spectre des déportations massives et ont attaqué ma crédibilité sur tous les fronts. Évidemment, plutôt que nous expliquer quelles étaient leurs avenues pour régler maintenant une situation qu’ils jugent incontrôlable, ils ont préféré déformer mes propos.

M. Lisée prétend que l’immigration temporaire est toujours éphémère, mais rien n’est moins vrai aujourd’hui. Une importante part de l’immigration permanente provient des temporaires : prétendre le contraire relève de l’ignorance ou de l’aveuglement volontaire. En commission parlementaire, l’ensemble des acteurs économiques nous ont expliqué que ces travailleurs temporaires répondaient à des besoins permanents.

Il faut d’ailleurs admettre que nous sommes bien dépendants de nos médecins étrangers, de nos travailleurs agricoles, de nos étudiants en région, et plus encore. Je sais pertinemment que ces personnes posent une pression en matière de logements et d’accès aux services sociaux, notamment, mais je me permets aussi de rappeler qu’une grande partie d’entre eux ont reçu une autorisation émise par le gouvernement du Québec après vérification de la pénurie de main-d’oeuvre dans leur secteur.

J’ai été très clair sur le fait qu’il n’est pas acceptable d’avoir un système d’immigration qui compte sur plus de 470 000 résidents temporaires maintenus dans un statut précaire. Ce que je demande, c’est un débat posé sur la question avec des experts afin d’établir un plan de match. Aussi, ce que je demande, c’est que ceux qui prônent une réduction de l’immigration nous expliquent leur solution à court terme, sans éviter les questions difficiles et que l’on comprenne pleinement ce qu’ils proposent.

D’ici là, je continuerai de soulever ces incohérences, qu’il leur en plaise ou non.

Réplique du chroniqueur (intégrale)

Cher Guillaume Cliche-Rivard,

Vous aviez une belle occasion d’admettre que, dans le feu d’un point de presse que j’ai cité très exactement et que chacun peut aller lire sur le site de l’Assemblée nationale, vos paroles ont dépassé votre pensée lorsque vous avez évoqué le risque de « déportations massives ». Vous choisissez dans cette réplique de maintenir cette position honteuse. Elle ne vous grandit pas. Y a-t-il une règle imposée aux élus Solidaires par le Politburo interdisant d’admettre qu’il leur arrive, comme chacun d’entre nous simples mortels, de commettre des erreurs ?

Sur le fond, vous choisissez l’aveuglement sur la gravité de la situation sociale causée par une augmentation incontrôlée de l’immigration. Au sujet du logement, la Banque nationale nous informait hier qu’il n’est « pas surprenant que les constructeurs d’habitations ne parviennent pas à suivre cet afflux inattendu de nouveaux habitants dû à l’immigration et que, par conséquent, le déficit de l’offre de logements se soit aggravé pour atteindre le pire niveau jamais enregistré. » 

Vous affirmez que ceux qui veulent réduire le nombre d’immigrants doivent dire comment ils procéderont. Pourquoi pas ? C’est donc précisément ce que je décris dans mon texte: 1) en laissant partir ceux qui veulent repartir 2) en n’accordant pas de nouveaux permis aux futurs candidats.

N’appartient-il pas à celui qui introduit le concept de « déportation massive » de démontrer pouquoi il pense que cette issue est vraisemblable ? Vous ne le faites pas, parce que vous êtes incapable de le démontrer. Refusant d’admettre que c’est un dérapage, vous vous enfoncez. C’est dommage.

Vous rapportez des témoignages affirmant que des détenteurs de permis temporaires en santé ou en garderies occupent des postes permanents. Je n’en disconviens absolument pas. Mais vous semblez continuer à nier les enseignements de la science en immigration, résumée en avril 2022 dans le rapport de l’économiste Pierre Fortin: l’augmentation du nombre d’immigrants provoque une augmentation quasi identique de la demande de services, en santé ou en garderie comme ailleurs. C’est une spirale sans fin. En conséquence, une réduction du nombre d’immigrants réduira le nombre de postes nécessaires ou, en situation de plein emploi comme on la vit maintenant, réduira la pression excessive sur nos services.

Les économistes de la Banque nationale ont publié avant-hier ce tableau extrêmement éloquent de l’impact de l’immigration récente sur le logement, un sujet qui vous est cher, et avec raison, à QS:

Sauf pour en connaître la granularité, pour citer Fitz, le débat sur la capacité d’accueil est désormais donc derrière nous. Les chiffres sur le logement sont terrifiants. Nous avons dépassé le point critique. Libre à vous de continuer, pour des raisons de pure rectitude idéologique, de jouer à l’autruche.

Jean-François Lisée

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