Les Pitounes et moi (intégral)

L’autre samedi, amis et inconnus bienveillants m’ont avisé que mon nom circulait sur Internet pour une raison qui ne leur apparaissait pas optimale à la bonne gestion de mon image publique. Sur le site Reddit, une entrée s’intitulait « Lisée follow des drôles de comptes sur Instagram. » Suivait une capture d’écran attestant que j’étais abonné au compte « Bonjour Pitoune », dont le slogan est « Chaque jour, les plus beaux rondins de bois ».

Les photos diffusées par ledit compte mettent en valeur des Québécoises aux formes généreuses. Leur utilisation de tissu est parfois minimaliste, mais elles restent habillées — du moins dans l’état actuel de ma recherche.

L’internaute FoieGras95 a écrit le commentaire le plus apprécié : « Même en matière de pages coquines, Lisée choisit une page avec un nom 100 % québécois. Un vrai de vrai. » Point_5 est d’accord : « Bin, il supporte le business local. » L’achat chez nous au secours de ma réputation, je n’en demandais pas tant. Suit une discussion sur les conséquences de cette révélation sur ma carrière. « Moi je m’en fout, écrit Trolliantor_and_us. Au moins [Lisée] s’assume. » Deadly Chinchilla renchérit : « Je suis 100 % d’accord, hommes ou femmes adultes et ados ont tout à fait le droit de se rincer l’œil sur autre chose que son/sa partenaire sans que ce soit de l’infidélité. »
Je respire.

Certains internautes me remercient de leur avoir ainsi signalé l’existence de la page, à laquelle ils s’abonnent illico. « Ça reste de la peaulitique », ricane Cervino_1. D’autres me conseillent d’utiliser à l’avenir un site paravent anonyme et m’offrent des options.

Sans vouloir aucunement mettre en cause la qualité du travail, le jugement ou les choix de vie des participantes de Bonjour Pitoune, je me suis désabonné dès qu’on m’a informé de mon abonnement. Je n’ouvre qu’occasionnellement mon compte Instagram, mais j’avoue avoir vu passer depuis quelque temps certaines de ces Québécoises, me demandant lequel de mes abonnés s’amusait à les repartager.

Depuis des décennies que j’interviens dans le débat public, j’ai toujours observé la maxime suivante : si vous étiez gênés que votre mère prenne connaissance d’un de vos actes ou propos dans le journal, ne faites pas cet acte, ne tenez pas ce propos. Ma marge de manœuvre est étroite. Ma mère m’avait semoncé publiquement pour avoir déclaré en 2016 vouloir que le Parti québécois forme « un ostie de bon gouvernement ». Lorsqu’en 2018 j’ai souhaité la non-réélection d’un ministre libéral en affirmant « éloignez de nous ce calice », elle m’a cependant donné l’absolution, déclarant aux journalistes que je ne faisais alors que citer les Évangiles. Merci, maman.


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C’est donc avec un pincement au cœur que je m’abstiens de cliquer « j’aime » sur tout message ou photo qui pourrait me mettre dans l’embarras, un malentendu étant si vite arrivé. Ai-je été abonné par le compte sans mon consentement ? Mon ami l’expert en Internet Bruno Guglielminetti balaie cette hypothèse. « Il faut absolument cliquer sur le bouton “abonnement” sur ton téléphone ou ton ordi. Mais bon, ajoute-t-il, l’écran de téléphone étant sensible, un doigt mal placé pour faire défiler un compte de haut en bas sur ton écran peut t’avoir fait aimer une photo par erreur. Mais c’est certain qu’il fallait avoir cette photo à l’écran, ou ce compte, même quelques secondes, pour que ton doigt “s’accroche virtuellement” dans le piton. »

Je me serais donc abonné par mégarde, inconsciemment, par geste freudien ou par désir irrésistible d’encourager les arts visuels locaux ?

Reste l’hypothèse qu’un pirate informatique se soit introduit dans mon ordinateur pour me lier subrepticement aux pitounes. Je suis souvent très dur dans mes propos et écrits avec les régimes chinois et russe, et j’ai récemment écrit un bouquin sur les espions, des gens qui ont plus d’un mauvais tour cybernétique dans leur sac. Mais j’ose croire que, s’ils voulaient se venger, ils trouveraient mieux.

Comment aurais-je géré l’affaire si elle était survenue alors que j’étais ministre ou chef du PQ ? Facile, j’ai décidé depuis longtemps de dire la vérité, même lorsqu’elle est invraisemblable, ce qui arrive, croyez-moi. J’aurais dit : « J’ai probablement fait une erreur de manipulation et, dès que j’ai été avisé de l’abonnement, je me suis désabonné. Voilà. » Je vois d’ici les caricatures.

Des conseillers auraient cependant pu suggérer des parades. « L’attaché politique qui s’occupe du compte croyait qu’il s’agissait de foresterie, un thème essentiel en région. » Ou encore : « La frénétique recherche de candidatures féminines est à l’origine de cette dérive. » Il y a aussi l’accusation d’avoir été piraté, impossible à
vérifier.

On avait lu en 2015 un étrange tweet de l’éphémère candidate caquiste et ex-journaliste Jocelyne Cazin au sujet de Julie Snyder, alors conjointe du chef péquiste Pierre Karl Péladeau. Le couple Péladeau-Snyder était venu faire campagne dans la partielle où Mme Cazin se présentait. « Je te dis que la Julie a eu le crachoir », disait le message. Erreur de destinataire d’un message devant être privé ? Pas du tout, a expliqué la candidate : piratage !

La vérité sur l’affaire Cazin

Jocelyne Cazin étant une de mes lectrices, m’a écrit sur Twitter pour m’aviser qu’elle avait révélé les dessous de cette affaire dans son livre « Ma véritable identité« , publié en 2020. Je suis allé vérifier, et c’est le cas. Voici l’extrait pertinent:

Dont acte.

L’année suivante, en 2016, on lisait « Je suis Option Nationale » sur le compte Twitter de la députée et candidate à la chefferie péquiste Martine Ouellet. Mauvaise humeur de sa part, elle qui jugeait son propre parti d’être provincialiste ? Non. Piratage !

Celui attribué à un pirate par l’équipe de Stephen Harper en 2013 était particulièrement dur. Une manifestation d’Autochtones opposés à une exploitation de gaz de schiste sur un territoire revendiqué avait dégénéré au Nouveau-Brunswick au point de provoquer l’incendie de six véhicules de la GRC. Le tweet du premier ministre disait : « Le Canada ne va PAS céder à ces soi-disant “Premières Nations” et elles doivent décider entre être de loyaux Canadiens ou faire face à la force maximale de l’autorité de la Couronne. » Une enquête a été annoncée pour dénicher le malfrat. Mais presque dix ans plus tard, il court toujours.

Il est quand même bizarre que ces pirates se limitent à un seul message et qu’ils soient à ce point proches de ce que le détenteur du compte pense vraiment. Ou à ce point proche de ses préférences
sylvestres.

Ma peine d’internet

Mais laissez-moi vous raconter la réelle mésaventure vécue sur internet pendant ces années. Peu après mon élection comme chef, je reçois en privé sur Twitter le message d’une comédienne québécoise de renom m’avouant tout le bien qu’elle pense de l’indépendance, du PQ, et de son nouveau chef. Elle se demande comment elle peut nous rendre service. Je ne la nomme pas, vous allez comprendre pourquoi. Elle se reconnaîtra.

Ravi, je suggère une rencontre ou on pourrait envisager sa participation à un événement public. Certes, répond-elle, mais dans un premier temps elle préférerait qu’un de ses jeunes assistants puisse intégrer nos rangs. Pourquoi pas ? Je le contacte, me rends compte qu’il a à peine 16 ans et le met en contact avec les jeunes péquistes, ou il se met à militer. Plusieurs mois plus tard, à l’aube d’un Conseil national ou d’un congrès, je recontacte la star via le même compte privé twitter pour lui demander si elle désire désormais s’afficher. Elle me renvoie au jeune militant, qu’elle souhaite voir briller avec plus d’éclat dans notre équipe.

Vérification faite, le jeune homme était stagiaire au sein de l’équipe internet de l’actrice et se faisait passer pour elle ! La pauvre n’avait jamais manifesté la moindre intention de s’impliquer en politique. Il fut viré de l’équipe, sanctionné par le PQ, dont le chef vécu ainsi sa première peine d’internet.

(Une version plus courte de ce texte a été publié dans Le Devoir.)


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1 avis sur « Les Pitounes et moi (intégral) »

  1. Bonjour Jean-François,

    Nous autres aussi, au Lac-St-Jean, entre les années 1930 et 1960, on en avait plein de Pitounes…………………sur la rivière Péribonka et ailleurs.

    Mais……..elles ont disparus, et quelques années plus tard, comme par enchantement, elles ce sont réincarnées sur internet!!!!

    Sous d’autres formes. Hé oui, la terre et ses milliards d’années, c’est fous que le monde change, et des fois….pour le mieux!!!

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