Monsieur le Ministre,
Ces derniers jours, nous avons beaucoup discuté (enfin, surtout moi) des meilleurs moyens d’augmenter les revenus de l’État tout en préservant le pouvoir d’achat de la majorité des ménages et en accentuant le nécessaire virage vert.
Ces remèdes ne sont pas sans valeur, mais ils ne peuvent remplacer le ressort principal de la qualité de vie future des Québécois: leur capacité de créer davantage de richesse, bien répartie et respectueuse de leur environnement.
Le premier mot clé est: productivité. Il ne signifie ni d’allonger les heures de travail, ni d’augmenter les cadences. On ne peut mieux le décrire que ne l’a fait le comité dirigé l’an dernier par un de vos économistes conseils, Pierre Fortin:
La capacité des gens de faire plus par heure d’ouvrage repose sur leur motivation, sur leur niveau d’éducation et de formation, sur la quantité et la qualité des outils que l’on met à leur disposition et sur une organisation intelligente du travail qu’ils contribuent eux-mêmes à définir.
Le second mot clé est: durable. Il signifie que les modes de production évoluent pour produire autant (ou plus), mais en utilisant moins d’énergie et moins de ressources naturelles et en créant moins de rejets.
Vous souhaitez augmenter la productivité (par heure travaillée) des Québécois. De combien ? Le rapport Fortin précise l’objectif: Notre productivité par heure travaillée progresse actuellement de 1% par an. Pour maintenir notre niveau de vie, il faudrait porter cette croissance à 1,5% par an. Pour améliorer la richesse du Québec, il faudrait la doubler, à 2%.
Alors, qu’attend-on ? Les grandes entreprises ? Les Bombardier et CAE s’en tirent très bien, merci. Le problème tient à la faible culture d’innovation d’une bonne part de notre réseau de moyennes, et petites, entreprises et aux faibles efforts de formation continue de la main d’œuvre.
Si vous souhaitez donner un véritable coup de pouce à la productivité, donc à la création de richesse durable, au Québec, je vous soumets l’hypothèse suivante.
Il faut d’abord trouver des sous. Plus tôt cette semaine, Marcel Boyer, de Cirano, et Paul Daniel Muller, de Générations d’idées, estimaient que vous pourriez économiser d’ici 4 ans 1,25 milliards par an, en réduisant du tiers l’aide actuelle aux entreprises. Plus facile à dire qu’à faire, je vous l’accorde, mais j’ai de la difficulté à croire que cela soit impossible. Ils soulignent à bon droit que l’État québécois offre des crédits d’impôt pour la recherche et développement que des entreprises multinationales effectueraient de toutes façons. (Je sais, le Québec est en compétition avec d’autres États qui offrent aussi ces bonbons pour attirer l’investisseur, ou le garder.)
Pourquoi ne pas recibler plutôt ces sommes, là où la productivité est faible: dans le réseau des PME. Pour l’instant, tous les programmes incitatifs ont échoué. Il faut une grosse carotte. Proposez aux PME manufacturières de payer, pour eux, leurs taxes sur la masse salariale (du Fonds des services de santé) si elles présentent un Plan d’entreprise pour la productivité et la protection de l’environnement (PEPPE). Elles devraient y indiquer des objectifs de : a) rehaussement du niveau technologique de l’équipement b) de formation continue du personnel et c) de réduction de leur empreinte écologique, sur quatre ans. Le plan serait renouvelable, pour une incitation continue.
C’est le temps d’introduire une telle carotte, car la hausse du dollar canadien rend moins onéreux l’achat d’équipement de production importée.
Je reviens sur la formation pour vous dire que le Québec (et l’Amérique du Nord) est très en retard sur les Européens, notamment les Britanniques et les Français. Eux ont institué des droits individuels des salariés à la formation. Au Royaume-Uni, depuis 2001, deux millions de salariés sont sortis de l’analphabétisme grâce à cet effort, et 1,8 millions d’autres sont passés du statut d’ouvrier au statut de technicien. Voilà qui rend les salariés plus compétents, plus impliqués, plus riches, intellectuellement et financièrement.
Le Québec n’affiche pas un plus grand taux d’analphabétisme que les autres sociétés similaires (le taux est pire en Suisse, par exemple !). Cependant, si vous souhaitez poser les bases d’une plus grande richesse pour le Québec de demain, rien ne serait plus utile que d’élever le niveau de connaissance des 800 000 Québécois qui ne peuvent comprendre une simple phrase écrite.
Couplé à un effort continu de formation en entreprise (la formation la plus qualifiante car la plus pratique), je vous suggère d’organiser un grand sommet sur l’analphabétisme au Québec qui nous fixerait l’objectif de réduire de moitié, en cinq à 10 ans, ce manque-à-savoir.
La richesse que procure la maîtrise de la lecture est une multiforme: culturelle, sociale, économique. Entraînez-nous dans une grande corvée pour un Québec enrichi.
Vous serez sans doute ravi d’apprendre, Monsieur le Ministre, qu’il s’agit de ma dernière lettre. De toutes façons, vous aurez le dernier mot. Mais je ne puis garantir que ce sera, pour ma part, mon dernier commentaire,
Un citoyen intéressé