(Mon oncle) Doris Lussier a sa salle de spectacle !

Vous le savez peut-être, Doris Lussier était le cousin de mon père. On l’appelait « mon oncle Doris » et chacun de ses passages à la maison était une tornade d’humour et d’esprit. J’étais invité ce samedi à l’inauguration du « Centre culturel Doris Lussier » à Weedon. Doris est né quelques kilomètre plus loin dans le petit fillage de Fontainebleau, désormais fusionné avec Weedon.

L’endroit, convivial et chaleureux, contient une salle de spectacle, une pièce où les souvenirs de Doris/Père Gédéon sont visibles et un bar (mais Doris ne buvait pas). Avis aux intéressés: le Centre offre une programmation étonnante et permet de déguster des artistes de renom dans une salle de petite taille.

Pour l’occasion, mon petit cousin Pierre Lussier, fils de Doris, a livré à son père un hommage qui rend remarquablement l’homme que nous avons connu et qui est toujours présent dans nos consciences. Le voici:

Bonjour à tous,

Attendez que je retrouve le texte de mon improvisation

« La gloire, soleil des morts », a écrit Balzac.

Et même si au bout de quelques siècles, cette gloire ne sert plus qu’à ennuyer les écoliers…le gens de Weedon ont quand même voulu, gentiment et à leur façon, immortaliser la brève, mais un peu notée, existence de Doris Lussier et de son poids lourd de la scène légère, le Père Gédéon.

Ce dernier était le baladin, l’espiègle, le Roger-bon-temps qui aimait parler légèrement des choses sérieuses et sérieusement des choses légères. C’était connu.

Doris Lussier, lui, presque devenu un hermaphrodite de l’esprit (il se nourrissait lui-même de ses réflexions), était l’intellectuel, le philosophe et politicien – à la carrière active, mais éphémère puisqu’elle s’est terminée par son commencement et ce, en dépit du slogan original de sa campagne électorale de 1970 contre Bona Arseneault dans Matapédia : il faut que Bonaparte. (283 votes)

Toutefois, en privé, Doris Lussier – qui a enseigné la philosophie à l’Université Laval – , était un cabotin dont certains de ses propos, prétendus humoristiques, pouvaient friser l’hérésie, allant même jusqu’à faire des jaloux en enfer.

En effet, Doris Lussier, ce folâtre du rire, qui pouvait aussi bien lire Socrate – qui n’a rien écrit – qu’aller encourager les Glorieux de Serge Savard, avait un penchant particulièrement marqué pour l’humour. Et il se livrait à des séances épicées de déconnage, cette décontraction de l’intelligence, comme disait Serge Gainsbourg.

Et, devant les incertitudes relatives à une possible existence suprême dans l’au-delà, il aimait faire référence à Victor Hugo – le plus grand de tous – qui avait affirmé que le plus sage ici-bas, est peut-être le plus fou.

Cette attitude philosophique nous amène au cœur même de la réflexion existentielle de ce boulimique de l’esprit qu’était Doris Lussier, et où :

1 : la recherche du plaisir sain sous toutes ses formes;

2 : la mort et

3 : la survie de la conscience

ont été au cœur de ses interrogations spirituelles.

Simplement à titre informatif, relativement à l’évolution de son parcours vis-à-vis la religion fût le suivant :

Il est passé de croyant par peur (enfant terrorisé par les curés), à agnostique, par logique (n’ayant aucune preuve de l’existence ou de l’inexistence d’une force suprême), à espérant, avant de mourir, tout en étant tout au long de sa vie, un épicurien reconnu.

Toutefois, Doris Lussier – qui était aussi membre de la ligue pour la propagation de l’utilisation du subjonctif dans la classe ouvrière- a, il faut le reconnaître, bénéficié de l’appui des ecclésiastiques qui l’ont hébergé (papa était orphelin) sans lesquels il n’aurait pu manger, aller à l’école et enseigner à l’Université, puisqu’il était généreusement pauvre.

Avec le Père Gédéon, Doris Lussier partageait son temps.

N’oublions pas – pour ceux que cela pourrait intéresser – que le Père Gédéon faisait deux spectacles par soir (trois les fins de semaine), sept jours par semaine dans les cabarets de Montréal, et ce, en plus des répétitions quotidiennes en français et en anglais pour Les Plouffes qui, par la suite étaient télédiffusées en direct. Finalement, il complétait sa semaine en animant La Poule Aux Œufs D’or, aussi en direct, si je ne me trompe pas.

Par ailleurs, Doris Lussier- ce joyeux philosophe et …hydropathe (il fuyait les cocktails, où les mélanges d’alcool se transforment souvent en mélange d’idées), affirmait sur toutes les tribunes : « J’ai relativement bien réussi ma vie, je ne veux pas rater ma mort« 

Or, malheureusement pour lui, l’ultima verba du cancer allait difficilement – un euphémisme – précipiter son départ vers le savoir absolu, ou l’ignorance perpétuelle.

L’humour, ce frère du désespoir, le laissa tomber là.

Quand, au cours des semaines qui ont suivi son départ, j’ai réellement pris conscience de la valeur de l’héritage culturel que représentaient sa bibliothèque et ses exhaustives filières où le froment de sa vie était classé, je me suis senti comme un arabe qui venait d’hériter du harem de son père. Je ne savais pas par quel bout commencer…Et je me suis dit qu’un jour, il serait intéressant d’en dévoiler une partie à ce peuple québécois qu’il a tellement aimé.

Et le hasard a voulu que votre bien aimé maire, Eugène Gagné, me proposé de mettre le nom de papa sur votre Centre culturel.

Mon hésitation à accepter a été aussi brève que mon réflexe mettre de côté l’idée de refuser.

Vous y trouverez :

  • des extraits de sa correspondance avec, entre autres, René Lévesque, Jean Lesage, Raymond Devos;
  • des photos où lui ou Gédéon se retrouvent avec :
    • des artistes – ces ivrognes au succès, accrochés à l’adrénaline-;
    • des politiciens, ces autres comédiens qu’il a sournoisement fréquentés, dont un illustre inconnu et surtout reconnu pour sa timidité excessive, Jean-François Lisée;
    • des personnalités sportives, surtout rencontrées lors de tournois de golf, sport qui lui a valu des sarcasmes de leur part qui ridiculisaient le fait qu’il jouait du mauvais côté de la balle. Subtil, papa leur rétorquait joyeusement : « si effectivement, je suis un gaucher gauche, vous, vous êtes des droitiers maladroits.« 
  • la trousse de maquillage du Père Gédéon;
  • des caricatures de Normand Hudon;
  • don sac de golf – uniquement des bois – et la dernière balle qu’il a frappée en octobre 1993, peu avant sa mort;
  • et son exhaustive hagiographie qui relate tout ce qui s’est écrit sur sa vie professionnelle et familliale.

Amusez-vous bien dans votre beau Centre Culturel, et pardonnez-moi si j’ai été si long, c’est que le temps m’a manqué pour être plus bref.

Merci.

Pierre Lussier.

1 avis sur « (Mon oncle) Doris Lussier a sa salle de spectacle ! »

  1. Quelle bonne nouvelle . Je compte bien aller faire un tour à Weedon voir cette salle car, en plus d’être originaire de ce bled , j’ai eu l’occasion de rencontrer sa veuve et son fils lorsque je travaillais à l’Assemblée nationale.

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