Opération « Kill McGill ? »

C’est terrible. Le principal lobby anglo-québécois nous avait avisés, il y a 18 mois, de l’opération caquiste « d’éradication » de la communauté anglophone. Accélérant la cadence, le gouvernement vient de déployer, écrivent les éditorialistes de l’auguste Montreal Gazette, une stratégie « punitive, destructrice, politique et paroissiale, visant à démolir les institutions de la communauté anglophone ». Un des chroniqueurs du journal a surenchéri : c’est « Kill McGill ». De grands noms du commentariat torontois parlent de « vandalisme » et de « tyrannie ». S’inspirant d’un sketch de Monty Python, le plus imagé a présenté la CAQ comme « pétant dans la direction générale du Canada » ; il appelle Ottawa à une réaction fiscale punitive.

Doit-on comprendre que la CAQ a été à ce point mesquine qu’elle a retiré à McGill le cadeau d’un demi-milliard consenti l’an dernier, en lui offrant l’ancien hôpital Royal Victoria pour son agrandissement ? A-t-elle décidé d’y installer plutôt du logement social et abordable ? Non, ce n’est pas le sujet. Aurait-elle alors annulé le financement de 650 millions qui vient avec ce don, frôlant au total le milliard de dollars ? Il n’en est pas question.

Cela doit, en période de pénurie de médecins, signifier la fin de la pratique permettant que, l’an dernier, 303 étudiants canadiens-anglais aient occupé au total le quart des places de résidence en médecine à McGill, coûtant chacun 9 160 $ chacun au trésor québécois, selon les calculs de Martin Maltais, professeur en financement et politique d’éducation à l’UQAR, citant des données du ministère de l’Éducation? Ou cela signifie-t-il le relèvement des tarifs des étudiants de premier cycle de médecine à McGill, qui eux, paient pour leur formation de classe mondiale 15 000$ par an en moyenne, plutôt que 23 000$ à l’Université de Toronto ? On me signale que non.

La CAQ aurait-elle décidé que McGill ne pourra désormais investir dans l’éducation de chaque étudiant un sou de plus que le montant disponible pour ceux de l’Université de Montréal ? Pour y arriver, elle devrait, selon les calculs de l’économiste Pierre Fortin, réduire le budget de McGill de 48 %. C’est hors de question.

Oh , j’ai trouvé ! La CAQ a décidé enfin de ne plus subventionner les rejetons de la bourgeoisie française venus étudier à nos frais à McGill et va redéployer cette somme vers les institutions francophones. Encore raté.

Peut-être a-t-elle décidé de « décoloniser » McGill ? Elle profite comme aucune autre au Québec de son statut d’alma mater des élites anglo-montréalaises qui, pendant des générations, ont exploité le territoire, les Autochtones, les Canadiens français (et discriminé contre les Juifs), accumulant des fortunes folles et remettant en aumône à la grande maison adossée au mont Royal des sommes inimaginables chez ses jeunes voisines francophones. La CAQ aurait-elle appliqué un principe progressiste de redistribution de la richesse (de « réparation », dirait-on dans ce milieu), réduisant par exemple de 25 sous le financement public de McGill pour chaque dollar qu’elle reçoit en don ? Je blague : ce n’est pas dans l’univers mental caquiste.

Continuons à chercher. Cela doit être une décision de bon sens.  Les diplômés de McGill sont pour la plupart destinés à travailler au Québec, dans ce coin d’Amérique où la « langue habituelle et usuelle de travail est le français », non ? Le gouvernement doit donc s’être rendu compte qu’à moins de forcer McGill à prodiguer, disons, 10 % de son enseignement en français (ou en cours de français), puis de vérifier l’acquisition de cette indispensable compétence au moment de la diplomation, il est absolument certain qu’un grand nombre de ses diplômés seront incapables d’écrire, voire de lire, le mémo reçu dans la langue commune une fois entrés sur le marché du travail ?  (On a appris l’an dernier que 35 % des étudiants de cégeps anglos échoueraient à un cours donné en français.) Nous n’y sommes pas.

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a plutôt annoncé qu’elle allait désormais facturer aux étudiants anglophones hors Québec le coût estimé de leur formation, soit 17 000 $, ce qui mettra fin à notre subvention globale de 100 millions dans les têtes de ces (très) chers voisins. À ceux qui crient à l’exode des cerveaux, précisons que la mesure ne s’appliquera pas aux étudiants de maîtrise et de doctorat, où l’unilinguisme anglais à moindre coût continuera à dominer.

L’application du doublement pour le premier cycle — et d’un prix plancher de 20 000 $ pour les étudiants étrangers — doit théoriquement permettre à la ministre d’envoyer 100 millions aux universités francophones sous-financées. McGill et compagnie affirment qu’au contraire il y aura hécatombe des admissions et, qu’en conséquence, la poule aux oeufs d’or deviendra stérile.

L’utilisation du chiffre de 17 000 $ leur donne du grain à moudre. C’est une moyenne. Un choc tarifaire pour les adeptes de la théologie ou de la littérature, mais un prix d’aubaine pour les futurs médecins ou ingénieurs.

Au total, McGill n’a rien à craindre. Concordia et Bishop’s ne sont cependant pas assises sur un aussi gigantesque pactole. Pourquoi la ministre n’a-t-elle pas créé une grille tarifaire s’inspirant de l’Université de Toronto pour McGill, d’une université canadienne moyenne pour Concordia et d’une maison mineure pour Bishop’s ? Et pourquoi n’a-t-elle pas appliqué cette grille au second et troisième cycle ? Dans tous les cas de figure, à droits de scolarité équivalents, les coûts du logement et de l’électricité donnent aux universités québécoises un argument comparatif spectaculaire.

Il y a un avantage à se faire accuser de détruire les universités anglophones lorsqu’on n’aborde, comme le fait la ministre Déry, qu’un aspect de leur surfinancement. Elle devrait en profiter pour appliquer les hypothèses évoquées plus haut. Rien ne sera détruit, sauf un édifice d’iniquité et de privilèges. Le niveau sonore des opposants, lui, restera le même.

(Cet article a d’abord été publié dans Le Devoir.)

2 avis sur « Opération « Kill McGill ? » »

  1. Hier, on apprenait que la ministre de l’éducation de Colombie Britannique allait écrire à notre PM pour lui demander de ne pas procéder et pour demander une rencontre des ministres d’éducation du Canada.
    Je suggère qu’on accepte l’invitation et que la rencontre, qui durera 2 jours, se tienne d’abord à l’UdM ensuite à MCGILL.
    Ensuite, je leur garantirais que nos frais pour les étudiants de leur province ne dépasseront jamais les frais d’universités comparables dans leurs provinces.
    Je leur offrirais aussi que pour chaque franco canadien venant étudier dans nos universités francophones à taux réduit, ils accueillent un étudiant québécois anglophone dans leurs universités au même taux.
    Faute de pouvoir nous offrir cette contrepartie, et puisqu’ils n’ont pas les moyens de construire des universités francophones, je leur suggérerais de verser à notre gouvernement les mêmes sommes que leur gouvernement aurait à investir (individuellement) pour construire et maintenir une université francophone. En contrepartie, nous pourrions accueillir les franco-canadiens de leurs provinces comme s’ils étaient des québécois.
    Bien sûr, nos universités anglophones seraient contre mais je me demande combien les gouvernements des provinces canadiennes seraient prêts à payer pour qu’on leur enlève du pied l’épine des étudiants francophones?

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