Rapatriement: « L’idée fédérale » nous écrit, le blogueur répond

trudeau_1982-150x150Vous savez comme j’aime recevoir du courrier. J’en ai reçu un ce matin du nouveau Directeur de la recherche de l’Idée fédérale, Martin Coiteux. Martin enseigne aux HEC et c’est une figure importante de la relève fédéraliste québécoise. Proche des thèses de François Legault, je ne serais pas surpris de le retouver candidat aux prochaines élections.

Quoiqu’il en soit, Martin Coiteux n’a pas du tout apprécié mon dernier billet sur le sondage CROP qu’il a commandé pour démontrer l’agonie du mouvement souverainiste et la normalisation des Québécois face à la constitution imposée au Québec il y a 30 ans. J’y relevais qu’entre autres résultats, 60% des Québécois rejetaient la constitution canadienne. Et je prenais bien soin de reproduire à l’identique le tableau de l’Idée fédérale.

Voici le commentaire envoyé par Martin, suivi de ma réponse:

Cher Jean-François,

J’admire la prouesse intellectuelle qui consiste à transformer en un triomphe de la cause souverainiste les résultats d’un sondage aux résultats franchement décourageants pour ceux et celles qui, comme toi, défendent vigoureusement cette cause depuis des lustres.

Pour réaliser cette prouesse, il t’a fallu néanmoins emprunter des méandres que visiblement n’ont pas empruntés les 1000 Québécois ayant répondu à ce sondage.

À partir du moment où 71% d’entre eux jugent dépassé le débat sur le statut politique du Québec, que 77% d’entre eux souhaitent la mise au rancart de ce débat, et où ils ne sont que 25% à préférer la souveraineté au fédéralisme, comment prétendre, selon tes mots, qu’ils refusent le «Canada tel qu’il est»?

Certes, ce «Canada tel qu’il est» leur apparaît perfectible et ils appuient donc certaines avenues de changement mais sans jamais faire de nouvelles négociations constitutionnelles une priorité. Dans l’intervalle, ils n’expriment aucun malaise vis-à-vis de ce «Canada tel qu’il est», se déclarant à 63% fiers d’être à la fois Canadiens et Québécois, et jugeant aussi à 63% que le fédéralisme canadien comporte plus d’avantages que d’inconvénients.

Leur appui au rapatriement et à la charte canadienne des droits et libertés t’apparaît étrange mais elle n’est que le reflet du fait qu’ils n’ont pas «acheté» la version dramatique et catastrophiste qu’en ont fait les souverainistes depuis 30 ans. Le sondage montre avec éclat qu’il y a un divorce réel entre la narration souverainiste de l’histoire des 30 dernières années et l’idée que les Québécois s’en font, dans leur vaste majorité.

Un résultat m’a en particulier particulièrement frappé : 59% des Québécois (et même une mince majorité de francophones, à 51%) sont d’avis que la charte des droits et libertés devrait avoir préséance sur la loi 101. Cela dénote quant à moi une maturité indéniable de nos concitoyens, soucieux à la fois de la protection du français et du respect des droits de la minorité linguistique anglophone (75% des francophones disent d’ailleurs que c’est une bonne chose que la charte canadienne des droits et libertés protège les droits de la minorité anglophone du Québec).

Pour moi, c’est clair, les Québécois ne sont pas du tout là où les attendaient les souverainistes. Et cela aide aussi à comprendre le désarroi dans lequel se trouvent actuellement ces mêmes souverainistes. Certes, il est vrai que les Québécois n’ont pas plus envie de l’étiquette fédéraliste qu’ils n’ont envie de l’étiquette souverainiste. C’est par ce qu’ils ne se reconnaissent tout simplement plus dans les termes du débat qui a dominé la vie politique québécoise depuis 40 ans. Ils sont tout simplement prêts à passer à autre chose.

Amicalement,

Martin Coiteux
Professeur, blogueur et depuis septembre, directeur de la recherche à l’Idée Fédérale

Cher Martin,

Tu me demandes comment je peux “prétendre, selon tes mots, qu’ils[les Québécois] refusent le «Canada tel qu’il est»?”

C’est simplement grâce à toi et aux questions que tu as conçues et posées et que je reproduis fidèlement et textuellement.

Selon tes chiffres, 25 % des Québécois sont indépendantiste et 34% ne veulent “rester dans la fédération” qu’à “condition que la constitution de 1982 soit modifiée pour devenir acceptable au gouvernement du Québec”. Cela fait 59% de l’ensemble et 66% des francophones.

Aucune prouesse intellectuelle n’est requise.

Je suis poli en indiquant que le libellé des questions et leur ordre aurait pu être, disons, amélioré.

Tu as demandé en question 2 si le rapatriement à Ottawa d’une constitution qui était à Londres était “une bonne chose”. C’est ce qu’ont trouvé évident 80% des gens (j’aurais dis oui). Mais maintenant que tu les as fait se commettre sur cette “bonne chose”, tu les a mis en demeure de se dédire dans les questions suivantes en trouvant que c’était “une mauvaise chose” sur tel et tel aspect.

De plus, le choix des mots, je l’ai écrit, me semble aussi sujet à caution. Mais, bon. C’est un sondage de L’Idée fédérale, organisme voué à la promotion du fédéralisme. Il ne faut pas vous demander trop de rigueur scientifique.

Sur le fond, libre à toi de voir “de la maturité” dans le fait que la Charte canadienne des droits, élément central d’une constitution rejetée par 66% des francophones québécois dans ton sondage (et à 57% dans un référendum tenu en 1992 sur une version “corrigée” du texte), ait préséance sur la Charte de la langue française.

Voyons le dernier épisode. L’Assemblée nationale a voté à l’unanimité (donc par les élus de 100% des électeurs), une modalité des droits linguistiques (les écoles passerelles). Puis, la Cour suprême, dont les membres sont nommés sans consultation du Québec, s’appuyant sur une constitution non négociée et non approuvée par le Québec ou par les Québécois en référendum, a resserré sa propre jurisprudence pour interdire à l’Assemblée de légiférer sur ce point.

Accepter cette situation est, selon toi, de la maturité. Selon moi, c’est s’habituer, sinon cautionner, un déni de démocratie.

Les résultats de ton sondage qui indiquent que plus des deux tiers des Québécois souhaitent des changements majeurs à la constitution (même s’ils ne sont pas pressés), signifie qu’en 30 ans, ils n’achètent pas le narratif fédéraliste que tout va très bien malgré tout.

La période que nous traversons n’est certes pas faste pour la souveraineté. (Bien qu’il soit faux de prétendre, comme tu le fais que les Québécois “ne sont que 25% à préférer la souveraineté au fédéralisme”. Vous n’avez en aucun cas présenté l’alternative souveraineté/fédéralisme à vos répondants.)

Je n’ai d’ailleurs nullement indiqué que vos résultats indiquent un « triomphe de la cause souverainiste ». Mais ils illustrent que le cancer qui gruge le lien Canada/Québec — l’imposition d’une constitution, la non reconnaissance de la nation, le refus de répondre aux volontés autonomistes des Québécois — reste. Et aucun remède n’est pour l’instant proposé ou disponible.

bien amicalement,
Jean-François

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !