Rayons d’écriture

Pour cette formidable journée de promotion des livres québécois, j’ai décidé, non pas de vous suggérer des titres parmi mes lectures, mais plutôt de vous offrir une collection de morceaux d’écriture qui m’ont ému, amusé ou fait réfléchir dans des écrits québécois lus cette dernière année. À vous de décider si vous souhaitez découvrir au complet les récits dans lesquels ces perles se sont nichées.

Dans Maple (Stanké), David Goudreault laisse parler sa protagoniste, une ex-détenue : « À part le club de lecture et les tournois de cunnilingus, y avait pas grand-chose pour passer le temps au pénitencier. »

Il lui permet aussi cette comparaison audacieuse entre plusieurs corps de métiers : « Je n’avais jamais connu ça, la vie de pissou qui attend sa paye, avant d’en donner la moitié au gouvernement. J’avais eu quelques proxénètes en cours de route, mais ils étaient honnêtes. Ça tournait toujours autour de soixante pour cent dans mes poches, quarante dans les pires cas d’exploitation. Il n’y a que dans la musique ou la littérature que les putes générant le profit ne touchent que dix pour cent du magot. »

Dans Rétroviseur (Boréal), Carl Leblanc nous dit de son personnage central : « Il sait que les rêves sont la plupart du temps des habits trop grands qui rendent les gens inélégants. » Il a aussi cette image du printemps : « La rivière est gorgée, tout l’invendu neigeux de la montagne s’écoule. »

Dans Plessis (VLB), de Joël Bégin, le personnage de Gégé a acheté un hot-dog, mais il n’y a plus de condiments. « Il contempla un instant la possibilité de manger le hot-dog nature. Non. Du jour où on découvre l’assaisonnement, il n’y a plus de retour possible à la fadeur du monde. On pouvait comprendre pourquoi les navigateurs et les empires étaient prêts à mourir et à tuer pour des épices. Gégé crissa sa barquette dans la poubelle. »

Sur l’intelligence d’un autre personnage, Bégin écrit : « Il avait mémorisé des pans entiers de vocabulaire latin et grec, s’était livré au calcul de la cerclure du cercle et la quadrature du quadre […]. Mais on aurait dit que le savoir n’atteignait jamais véritablement sa conscience ; que son éducation lui avait appris à décrypter les signes d’un langage étranger sans qu’il n’accède à leur sens ; bref, il savait lire les étiquettes sur les cannes mais n’avait pas d’ouvre-boîte. »

Sur les travaux qui ont joint deux rivières abitibiennes pour augmenter le débit et en faire « un gigantesque convoyeur de pitounes », Bégin ajoute : « Quand les poètes et les peintres célèbrent les grands paysages et la majesté du Saint-Laurent, ils donnent tout à la nature et oublient de chanter la force de l’homme qui, trois cents milles plus haut, arrache les rivières à leur lit pour les faire rentrer à la shop, elles aussi. »

Dans La maison de mon père (Boréal), d’Akos Verboczy, son personnage, revenu en Hongrie après une longue absence, est interpellé par un mendiant qui l’interroge sur sa provenance. « “Vous vous promenez les mains vides et vous marchez le regard levé”, fait-il remarquer, comme si c’était la preuve de mon statut d’étranger. L’expérience lui a enseigné que les gens qui ne vont nulle part viennent de loin. »

Dans Kukum (Libre expression), Michel Jean décrit l’effort déployé par ses personnages, en canot, l’hiver. « Faisant fi du danger, nous avons forcé l’allure, ramé plus fort, marché plus vite. Les flocons venaient mourir sur nos fronts et, malgré le froid, la sueur coulait sur nos nuques. »

Puis, comme en écho au passage précité de Plessis, il décrit comment ses personnages autochtones découvrent l’existence de la drave : « Dans nos canots, nous étions paralysés par l’effroi. Devant nous, la Péribonka étouffant sous le poids des troncs vomissait la forêt dans le lac. »

Dans Tête-à-tête avec ma soeur Evelyn (Pleine lune), Carmel Dumas évoque le choc des idéaux sur le réel : « Plus tard, mes recherches me mettraient face à la naïveté de mes espoirs et me dévoileraient le sort du nombre effarant de femmes audacieuses et vulnérables qui arpentent, d’une génération à l’autre, le légendaire boulevard des rêves brisés, la rue principale de la vie. »

Dans Tu aimeras ce que tu as tué (Héliotrope), Kevin Lambert désire ardemment la disparition de quelque chose. « J’ai rêvé ta fin toutes les nuits. Je ferai oeuvre de ta destruction », écrit-il. « Tu te retrouveras enfin dans la poubelle de l’Histoire, ne subsistant qu’au détour d’une phrase trop longue, mal rédigée, dans un paragraphe refoulé, peut-être coupé à l’édition, une bête note de bas de page, un renvoi à un autre ouvrage, épuisé, introuvable. »

Dans Ginette (Cantaloupe), Ginette Reno et son scribe Lambert écrivent : « Céline, toute jeune, disait qu’elle voulait devenir la plus grande chanteuse au monde. Moi, je disais que je voulais devenir une grande chanteuse. Je ne savais pas que le monde existait. »

Aussi : « Le cerveau humain est d’une très inhumaine complexité. »

Dans L’avaleur de sable (Québec Amérique), de 1993, mais que je viens de lire, le protagoniste décrit par Stéphane Bourguignon regarde une femme danser : « Elle a un corps superbe, qu’elle fait bouger avec tant de sensibilité qu’on peut voir des petites notes de musique lui sortir des pores. »

Il est aussi frappé par ceci : « Une toilette de femme, c’est une rose qui pousse dans un dépotoir. Toutes ces fioles qui traînent un peu partout, tous ces parfums entremêlés, ces énergies matinales qui ne se dissipent jamais tout à fait… mon Dieu, ça vous donne le goût d’en aimer une. »

En tout cas, tout ça donne le goût d’aller pêcher dans d’autres romans québécois des perles nouvelles.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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